Reprise d’un article publié par Internet actu
Dans : Opinions/ Enjeux, débats, prospective/ Nanotechnologie - Par Daniel Kaplan le 28/04/2005
(magazine en ligne sous licence Creative Commons)
C’est en effet le point de départ des auteurs : l’innovation technologique des années à venir se concentrera autour de la "méta-convergence" entre nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et sciences cognitives, ce que les Américains désignent par l’acronyme NBIC (nano-bio-info-cogno). Le potentiel de transformation que libèrent ces technologies est sans précédent. Mais dans le même temps, ils font émerger des risques, voire des questions proprement métaphysiques qui, s’ils ne sont pas explicités et discutés dès aujourd’hui, pourraient générer de violents chocs en retour.
"Le principal argument en faveur des nanotechnologies, qui explique que leur développement est inéluctable, est qu’elles seules seront à même de résoudre, en les contournant, les difficultés immenses (climat, vieillissement, santé, pollutions, énergie, développement équitable et durable...) auxquelles ont à faire face les sociétés industrielles et post-industrielles, dans leurs dimensions privée et publique. Mais leur viabilité même est assujettie à de multiples incertitudes conceptuelles, physiques, industrielles, économiques et sociétales.
En particulier, les risques associés aux nanotechnologies ne sont pas dans leur nature même comparables à ceux qui s’attachent aux technologies dont nous avons à ce jour connaissance, en particulier si l’on se réfère aux potentialités de combinaison des nanotechnologies avec d’autres technologies à capacité transformationnelle. (...) A la méta-convergence répond le méta-risque , c’est dire la très grande difficulté d’imaginer des procédures, normes ou règles qui permettraient de faire face à tous les types de risques engendrés, directement ou indirectement, par l’interférence des nanotechnologies avec la vie quotidienne, les pouvoirs structurels et les pouvoirs relationnels."
Le rapport analyse d’une part le potentiel de ces technologies, soulignant que "les applications des nanotechnologies sont transversales au monde industriel et économique et toucheront tous les secteurs." Il s’intéresse ensuite aux incertitudes et aux risques, en distinguant les causalités simples (par exemple, les risques de toxicité), les risques systémiques (écologiques, par exemple) et l’approche dynamique (par exemple, l’auto-réplication "sauvage" de nano-robots).
Mais la partie la plus neuve et la plus profonde du rapport porte, au-delà des risques, sur les effets en profondeur - qui ne peuvent pas toujours être simplement qualifiés de "positifs" ou "négatifs" - que ce cycle d’innovation pourrait entraîner sur le pouvoir, le rapport à la nature, le rapport à la connaissance, ainsi que sur les repères mêmes sur lesquels se fonde l’humanité : "Le naturel non vivant, le vivant et l’artefact sont en bonne voie de fusionner", avec pour conséquence un doute sur "la possibilité même de l’éthique."
Le rapport n’est nullement l’oeuvre de technophobes, au contraire. Tout son intérêt provient précisément de la volonté de susciter, dès aujourd’hui, un débat construit qui évite, tant les hyperboles très présentes dans les documents de l’"Initiative nationale pour les nanotechnologies" américaine que les refus radicaux, afin de "fonder sur l’éthique un consensus social raisonnable et durable, en France, autour des nanotechnologies" et "d’orienter le dialogue international responsable par une contribution active à la définition d’outils d’évaluation normative dynamique réellement adaptés à la réalité qui s’affirme d’une méta-convergence industrielle." Il s’agit à la fois, de manière simultanée et urgente, de stimuler la R&D française dans ce (méta-)domaine essentiel pour l’avenir, de promouvoir l’observation, d’élaborer des critères d’évaluation et d’engager des travaux sur les nouvelles régulations, la pr ! évention des risques, l’éthique, etc. Vaste chantier que ce rapport esquisse avec talent.
Daniel Kaplan