Music 3.0 : inventons ensemble les nouveaux modèles économiques de la musique en ligne.

compte-rendu par Dominique Godon

C’est dans une des salles des fêtes de la Mairie du III° arrondissement de Paris que s’est tenue le 20 avril dernier une conférence/débat intitulée : « Music 3.0 : inventons ensemble les nouveaux modèles économiques de la musique en ligne. »

un texte de Dominique Godon
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L’évènement était organisé en partenariat avec neteconomie.com, cyber-elles.com, allmusicbox.com, apachnetwork.com, generationmp3.com, network-angel.com, la mairie du III° et msn.fr. Les cinq invités présents étaient Tariq Krim (dirigeant de L8R Media, auteur d’une étude pour l’ADAMI sur la musique en ligne, fondateur du site generationmp3.com), Grégory Olivier (directeur marketing chez MSN), Morvan Boury (directeur adjoint de Virgin Music France et directeur de la stratégie numérique pour EMI Music France), Sylvie Krstulovic (diplômée ESSEC et auteur d’un mémoire intitulé « les stratégies de différentiation des fournisseurs d’accès à internet dans la distribution de musique en ligne ») et Alban Martin (diplômé HEC, et auteur du livre « The Entertainment Industry is Cracked, Here is the patch ! », sur la co-création de valeur).

La conférence était animée par Jérôme Bouteiller, de neteconomie.com.

Les axes de réflexion

A lire la simple présentation de la conférence, le ton était donné : il s’agissait bien des aspects économiques, des modèles économiques en rapport direct avec la diffusion de musique en ligne. Lors d’un tour de table préliminaire, les invités donnaient quelques axes de réflexion.

Sylvie Krstulovic, après un rappel des stratégies marketing classiques dans ce domaine, exprimait le fait que les comportements des consommateurs connaissaient de profonds bouleversements, en ligne en particulier. C’est ainsi que l’ « essai avant achat » est devenu une pratique presque incontournable, a fortiori lorsqu’il s’agit de biens immatériels. Concernant la musique, elle donnait l’exemple de qui2nous2.com, le site officiel du chanteur Matthieu Chedid, et communauté online de ses fans, gérée par attitude-net.com. Forte de plus de quarante mille adhérents, cette communauté procure à ses membres une expérience allant plus loin que le simple achat d’un disque.

Alban Martin, à son tour, exposait sa vision de ce que pourrait être le modèle économique de demain. Le consommateur est à la recherche d’une bonne expérience musicale, pas seulement d’un produit. Cette expérience doit être adaptée à ses besoins, et doit lui permettre de se démarquer de la masse des autres consommateurs. Ces expériences musicales personnalisées sont co-créées avec le public, et donc sources d’interactions et de richesses infinies, richesses pas uniquement économiques d’ailleurs. Alban donnait pour finir l’exemple du site artistshare.com, site sur lequel un statut de membres peut valoir jusqu’à mille dollars par an. En échange le membre (Gold !) peut voir son nom figurer sur le disque de l’artiste ou groupe en question !

Tariq Krim, de generationmp3.com, rappelait ensuite qu’avant la fin de l’année 2005, ce sont entre sept et huit millions de personnes qui seront connectées à l’Internet en haut voire très haut débit, et qu’environ cinq millions de baladeurs numériques tous formats et toutes marques confondus seraient sur le marché, prêts à être remplis des musiques favorites de leurs propriétaires, également à la fin de cette année. Tariq indiquait ensuite qu’en ce moment co-existent deux approches marketing, l’une classique et l’autre plus « rock and roll », et que personne ne peut dire ce qui en sortira demain. Il conseillait aux artistes et musiciens en phase de développement de faire figurer leurs musiques sur le plus grand nombre possible de bases de connaissances et de bases de données, telles que Wikipedia, allmusicbox.com ou encore allmusicguide.com.

Morvan Boury, directeur adjoint de Virgin Music France et directeur de la stratégie numérique pour EMI Music France, expliquait en quelques mots la finalité et la nature de son métier : la vente, et, partant, la rémunération des artistes. A propos de la stratégie de diffusion sur Internet, le groupe dont il est le représentant ne peut envisager d’innovations que dans un cadre « légal et monétisé ». Le groupe se fixe un objectif à cinq ans de vingt cinq pour cents de son chiffre d’affaires sur le commerce en ligne de musique et de contenus musicaux, ce pourcentage se situant actuellement autour de deux pour cents. Il mettait ensuite l’accent sur les difficultés rencontrées, notamment logistiques, dans le processus de publication de contenus sur toutes les plate formes simultanément.

Grégory Olivier, directeur marketing chez MSN, donnait quelques indications sur ce réseau, qui compte trois cent cinquante millions d’utilisateurs dans plus de vingt pays. MSN mène des enquêtes régulièrement auprès de ses connectés, qui expriment l’envie de trouver en ligne plus de choses que dans le commerce traditionnel, le désir d’accéder facilement à la musique et de faire de bonnes affaires. Quelques gadgets inclus dans MSN Messenger et espaces membres (« spaces ») plus loin , et le tour de table était terminé.

Questions, réponses et réactions

Sur l’impulsion de Jérôme Bouteiller, chaque invité était amené à réagir à ce qui venait d’être dit. Sylvie Krstulovic faisait part de l’exemple de trustmedia, un projet de personnalisation de la musique elle-même, avec à l’appui l’invention d’un nouveau format de fichier visant à rendre le remix en quelque sorte « natif » dans le morceau. Morvan Boury évoquait alors un partenariat avec une salle de Perpignan, le Médiator, où avait eu lieu des « battles » de remix et de vidéos sur des titres et des clips du chanteur Cali. Ces évènements et les produits résultants sont vus par la major comme des « outils d’animation promotionnels », des « goodies ». Il est quand même envisagé « d’industrialiser le process ». Alban Martin souhaitait réagir et rectifier, car il apparaissait plus que nécessaire de bien définir ce que recouvre selon lui, l’expression « co-création de valeur ». Il faut pour cela tenir compte du fait que l’entreprise n’a plus de nos jours le monopole de la création de valeur. Le consommateur peut à son tour intervenir et créer de la valeur, pas seulement économique, d’ailleurs. Morvan Boury ne semblait pas être en mesure d’accepter l’existence d’un cadre un tant soit peu démonétisé, et ne pouvait qu’évoquer le phénomène de la super distribution, dans laquelle le consommateur devient lui-même distributeur, rétribué pour cela. Tariq rebondissait alors, en évoquant de nouveau ces deux approches, l’une classique, s’appuyant sur les DRM (Digital Rights Management), et l’autre, plus souple et libre, se fondant sur le don, l’échange et le partage, avec le libre téléchargement et les communautés de fans co-créateurs de valeurs envisagés comme tels, et non pas vus uniquement comme un agent économique supplémentaire. Morvan, ne pouvant décidément pas envisager un seul instant une alternative valable, remettait en avant le modèle du « tout économique », seul viable et créateur d’authentique valeur à ses yeux.

C’est lors des questions et interventions de la salle que l’on a pu mesurer une certaine forme d’indignation de la part du public. Le fait qu’un représentant de l’une des quatre majors du disque soit présent n’y était probablement pas étranger. Faut-il rappeler que ce sont en grande partie les majors qui sont responsables des attaques en justice, plaintes, déconnections intempestives, saisies, poursuites, amendes et autres condamnations à l’encontre de simples internautes amateurs de musique ? Comment accorder crédit aux paroles, assez doctes en l’occurrence, du représentant d’une industrie qui cherche à attaquer, condamner voire emprisonner ses propres clients ? En terme de marketing, on a vu plus intelligente pratique ! Cela explique probablement les exclamations entendues dans la salle et les applaudissement consécutifs, en réponse aux affirmations de Morvan Boury, qui, il faut bien le dire, répétait pour la énième fois son crédo, « le tout économique », « le cadre l égal et monétisé » accompagné du sempiternel « nous nous occupons des artistes » ! Tant que l’industrie cherchera à se faire passer pour un gentil commerçant de quartier proche des besoins de ses clients, en attaquant en même temps en justice ces mêmes clients, elle s’exposera à ce type de réaction.

La libre diffusion, en particulier avec les licences Creative Commons, comptant plus de dix millions d’oeuvres publiées à ce jour dans le monde, fut évoquée de manière assez anecdotique, même si l’on parlait du groupe de rock Godon, affichant bientôt trente mille téléchargements sur son site web godon.org ; le chanteur du groupe, accessoirement auteur de ce compte-rendu, rappelait à cette occasion que la diffusion sous licence Creative Commons offrait un cadre parfaitement légal et pas forcément dé-monétisé, à la diffusion de musique en ligne. D’autre part, il fallait aussi dire que la tentative d’amalgame, avec les plate formes de téléchargements des maisons de disques, entre la légalité et le caractère payant, se trouvait ainsi fortement contrecarrée. L’exemple de Cory Doctorow, auteur anglais de science-fiction, dont le premier roman, « Down and out the Magic Kingdom », téléchargé à cinquante mille exemplaires, avait connu en 2003 le même nombre de ventes, était enfin cité, à l’appui de la viabilité, y compris économique, de la libre diffusion.

Il est bien dommage que Jérôme Bouteiller ait du mettre fin aux questions/réponses à l’issu de l’intervention d’un auteur/éditeur, qui se permit de proposer à son tour des solutions, de manière assez ironique et mal-venue : griller les feux-rouges, conduire à deux cents kilomètre/heure là où la vitesse est limitée à cinquante, bref, faire ce qui est interdit et pénalement répréhensible. Ce monsieur était donc un ardent défenseur du « télécharger, c’est voler ». Il eut été bon de lui répondre, en citant par exemple Dominique Barella, président de l’USM, l’Union Syndicale des Magistrats, qui suggérait fermement il y a peu, de remettre les choses à leurs justes places. Il est en effet urgent de cesser d’assimiler les mélomanes et les internautes lambda à des criminels, au même niveau que des trafiquants de drogue, d’armes ou d’enfants. Il y va de la crédibilité et de l’indépendance de la justice, et de la solidité de la République.

La conférence se terminait par une courte conclusion de la part de chacun des orateurs.

Cocktail et conclusion

Le cocktail permettait à chacun, invités et auditeurs, de se rencontrer et d’échanger autour d’un verre. Des partenaires ne s’étant jamais rencontrés pouvaient enfin mettre des noms et des pseudo sur des visages, et nul doute que de nombreux contacts furent échangés à cette occasion. On peut regretter la rapidité avec laquelle les agents de la Mairie encouragèrent tout le monde à regagner l’extérieur. Peut-être serait-il bon, pour de prochaines éditions, d’imaginer un « after », lors duquel diverses animations pourraient être proposées, concerts ou autres. Cela permettrait également de se retrouver dans un cadre moins formel.

Une question reste : pourquoi n’avoir envisagé la musique en ligne qu’à l’étalon des modèles propriétaires, à l’heure où le logiciel libre, comme la libre diffusion, explosent littéralement ? Des personnalités comme Mélanie Du Long De Rosnay, responsable de la traduction et de l’adaptation des licences Creative Commons en France, ou encore Florent Latrive, journaliste à Libération, et auteur de « Du bon usage de la piraterie », auraient certainement pu apporter des précisions intéressantes à ce débat. On sait maintenant que les aspects économiques, légaux et libres sont tout sauf antinomiques. Il faut vraiment espérer que cette carence provenait d’une méconnaissance de ces données essentielles, et non d’une volonté consciente d’écarter les modèles « libres ».

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La route est longue mais la voie est libre.

Posté le 25 avril 2005

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