
Et si les Archives municipales de Toulouse avaient fait sauter un verrou ?
(Open | Joonas Vainio | CC by-nc)
Ce billet a été initialement publié sur le blog Papiers et Poussières, Il est signé Jordi Navarro, archiviste et membre du collectif SavoirsCom1.
Nous tenons à saluer les choix faits par la Ville de Toulouse parce qu’ils sont complètement en phase avec le point numéro 5 de notre Manifeste :
5. L’ouverture des données publiques dans des conditions qui évitent les enclosures doit favoriser des cercles vertueux. Quand il s’agit de favoriser le développement de nouveaux modèles d’affaires, cela doit se faire dans des conditions de “partage à l’identique” où ce qui est créé et vendu de manière exclusive ne doit pas être la ressource mais les services qui lui sont associés.
Voici le billet en intégralité :
C’est probablement une petite révolution dans le monde de la réutilisation des contenus culturels. Les Archives municipales de Toulouse viennent en effet de publier leur nouveau règlement de réutilisation, qui vient tout juste d’être adopté par le Conseil municipal.
Pour la première fois, un service d’archives se dote d’un règlement permettant une libre réutilisation de ses ressources, tout en empêchant tout phénomène d’enclosure.
Ayant eu, dans le cadre professionnel, le plaisir de participer à la rédaction de ce règlement, je voudrais revenir ici sur ce projet et en expliquer le principe.
Il convient tout d’abord de faire un petit rappel du contexte.
Les Archives municipales de Toulouse avait, en 2010 ou 2011, je crois, adopté le même règlement que la plupart des services d’archives. Il proposait 3 types de licences en fonction de l’utilisation faite des images, c’est à dire des reproductions de documents :
- Pas de rediffusion publique d’images : licence « tacite » et gratuite, sous réserve de respecter la loi 78-753.
- Rediffusion d’images, sans but commercial : licence gratuite, mais obligation de formaliser par la signature manuscrite de la licence.
- Rediffusion d’images, avec but commercial : licence payante. Le montant de la redevance est fonction du type de diffusion (papier, web…) et du nombre d’images réutilisées.
À l’heure d’un premier bilan sur le fonctionnement de ce règlement, les Archives municipales ont très rapidement pu constater qu’il soulevait plus de problèmes qu’il n’en résolvait. La complexité du système (et notamment la difficulté à définir clairement le caractère commercial de certains usages) faisait que la plupart des agents du service étaient eux-mêmes perdus dans ses méandres juridiques. Ils se trouvaient donc dans l’incapacité bien compréhensible de répondre clairement à une demande de réutilisation.
Remarquons d’ailleurs que ce constat est partagé par d’autres services. Trois années après la mise en place de ce règlement, nous nous trouvons avec deux cas de figure : d’un côté, des services qui appliquent le règlement à la lettre, ce qui nécessite quasiment un poste à temps plein pour gérer les demandes et, de l’autre côté, les services qui, ne pouvant répondre à la demande, passent leur temps à fermer les yeux et à accorder dérogation sur dérogation. Il faut bien le reconnaître, le système actuel est un échec et se révèle inefficace.
C’est donc tout d’abord un soucis de simplification administrative qui a poussé les Archives municipales à revoir leur copie. Et je pense que c’est un point sur lequel il est nécessaire d’insister. Nous le savons, les arguments politiques en faveur de l’ouverture (démocratie, transparence, etc.) ne sont pas toujours suffisants pour convaincre les décideurs.
Il est donc important de constater qu’au delà de l’idéologie, les nécessités de fonctionnement correct d’un service public, peuvent également être un vecteur d’ouverture. Est-ce synonyme d’une « ouverture au rabais » ? Je ne le pense pas. C’est au contraire une corde supplémentaire que les militants de l’ouverture devraient mettre à leur arc. Libérer ses informations simplifie le travail des agents et leur permet de se consacrer à des tâches plus productives. Et croyez moi, par les temps qui courent, c’est un argument qui peut avoir beaucoup de poids.
Il ne faut pas oublier bien sûr que la ville de Toulouse, dans le cadre, notamment, de Toulouse Métropole, s’est engagée dans une politique d’open data. La possibilité de raccorder le wagon des Archives au train de la Communauté Urbaine a bien entendu largement facilité le processus. Mais ce n’est pas ce qui a impulsé le mouvement.
Il fallait donc trouver un système juridique qui, pour résumer, simplifie la vie de tout le monde (agents comme usagers). Il était donc hors de question de multiplier les régimes de réutilisation.
Par ailleurs, la mairie avait trois objectifs en terme d’ouverture :
- permettre le plus grand nombre possible de réutilisations,
- contrôler les enclosures (pour faire simple, si la mairie ouvre ses données, ce n’est pas pour que d’autres les enferment à leur place),
- proposer des clauses juridiques qui soient compatibles avec la licence ODbL choisie par le Grand Toulouse pour son portail open data (et dont j’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais).
Mais ce qui semble facile de prime abord, ne l’est pas forcément s’y l’on y réfléchit plus avant.
Car quelles sont les ressources proposées par les services d’archives ?
On trouve principalement
- des informations publiques. Elle peuvent avoir été reçues (état civil, cadastre, recensements…) ou produites (métadonnées descriptives, essentiellement) par le service. Cette catégorie est régie par la loi 78-753.
- des œuvres de l’esprit (principalement des photographies et des cartes postales anciennes). Celles-ci peuvent, selon les cas, être dans le domaine public, ou non. Dans ce dernier cas, la mairie peut, ou non, en détenir les droits patrimoniaux. C’est ici le code de la propriété intellectuelle qui s’applique, avec toutes ses « subtilités », ses cas particuliers et ses exceptions.
- Ces deux catégories sont de plus mise à disposition sous la forme d’une base de données, elle même soumise audroit des producteurs de bases de données, dont la mairie est ici la titulaire.
Vous l’avez compris, nous nous trouvons finalement face à un grand nombre « d’objets juridiques », dont les régimes de réutilisation peuvent être très différents. Il convenait donc d’unifier les systèmes pour proposer un régime commun, qui diffère le moins possible selon les catégories de contenu réutilisées.
Pour y parvenir, les Archives municipales de Toulouse ont fait le choix de proposer trois licences différentes :
- Les œuvres dont la mairie détient les droits patrimoniaux sont placées sous Creative Commons, avec les conditions By-Sa (libre réutilisation, sous réserve de mention de la paternité et de partage à l’identique).
- Les informations publiques, prises individuellement, sont placées sous le régime de la loi 78-753 (libre réutilisation, sous réserve de citer la source), auquel a été ajouté une condition supplémentaire de partage à l’identique.
- En cas de réutilisation d’une partie « substantielle » du contenu de la base (œuvres et/ou informations publiques), alors la licence ODbL s’applique (libre réutilisation, sous réserve de mentionner la paternité, de partager aux mêmes conditions et de garder ouvert le résultat de la réutilisation).
Vous allez me dire qu’il s’agit là d’une nouvelle usine à gaz. Mais, si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que les conséquence juridiques de ces trois licences sont en fait quasiment identiques. Les trois licences s’unissent parfaitement au sein d’un seul et même régime de réutilisation, que les archives municipales ont récapitulé sur cette page et que je résume ici :
Tout un chacun (particulier, association ou entreprise) est libre de partager, créer et adapter les contenus mis à disposition (œuvres, informations publique et base de données) à condition de mentionner la paternité, de partager son travail aux mêmes conditions et de garder ouverte la base de données s’il la rediffuse.
Bien entendu, les œuvres du domaine public sont exclues de ces licences, puisque aucune restriction ne peut être opposée à leur réutilisation. Elles seront cependant explicitement mentionnées comme faisant partie du domaine public.Sont également nécessairement exclues les œuvres dont la mairie ne dispose pas des droits suffisants pour les placer sous CC. Les éventuelles restrictions seront alors précisées au cas par cas.
Il reste bien entendu à savoir comment ce règlement sera effectivement appréhendé par les réutilisateurs. Si cela ne posera a priori aucun problème pour l’usager moyen, qu’en sera-t-il des grands opérateurs commerciaux ? Comment vont-ils utiliser les clauses d’ouverture et de partage à l’identique qui leurs seront imposées ?
Malgré ces questions en suspens, un constat s’impose. Avec ce nouveau règlement, les Archives municipales de Toulouse ont gagné un triple pari : simplifier le fonctionnement du service, respecter le droit à une libre réutilisation et contrôler les usages afin d’empêcher les enclosures.
Il est donc possible, on le voit, d’utiliser les différents régimes juridiques pour produire des mentions légales équilibrées, respectant le droit et les usages, permettant à tous de s’approprier pleinement le patrimoine tout en s’assurant qu’il conserve toujours son caractère de bien commun.
Ce faisant, les Archives municipales de Toulouse ont probablement fait plus pour la diffusion du patrimoine culturel que la plupart des autres services d’archives en France.