Le fabuleux laboratoire des petits débrouillards ! (Qui a dit fablab ?)

Je vous invite à une petite plongée dans l’histoire des petits débrouillards Bretagne, pour ensuite arriver à quelques enjeux politiques culturels, en passant, bien sur, par les fablabs !

Lorsque j’ai rencontré les petits débrouillards c’était pour participer à une formation d’animateur. Quand on m’a mis face à un ludion, réalisé avec une bouteille de coca, un stylo bic et des trombones, j’ai été surpris, puis j’ai appris et enfin j’ai compris... L’humain pense parce qu’il a des mains !

C’est un animateur qui, membre des petits débrouillards, a décidé d’animer la création d’une association bretonne des petits débrouillards, en 1990.
Pour commencer, il a fallu aller rencontrer de potentiels adhérents, constituer un Conseil d’Administration et démarrer très vite les activités de l’association.
Michel Millot, cet animateur nourrit de l’expérience des petits débrouillards d’île de France, installés depuis 1984, inspirés par les petits débrouillards du Québec a donc rapidement réussi cette installation.

La première Assemblée Générale réunissait des personnes issues de parcours différents et complémentaires :

  • des chercheurs de l’université de Rennes 1,
  • des étudiants en sciences de Rennes, de Brest,
  • des acteurs de l’éducation populaire,
  • des enseignants,
  • des amis,

L’association est fondée en mai 1990 et dès le mois de septembre nous animions l’exposition « animal-animal » de l’espace des sciences de Rennes, sur la dalle du colombier, à Rennes.

La marque de fabrique des petits débrouillards était déjà là :

  • du matériel de la vie courante pour être plus proche du quotidien des publics,
  • du questionnement, moteur de l’apprentissage (nourrit de démarche scientifique et expérimentale),
  • des jeux,
  • une pédagogie active centrée sur l’apprenant,

Alors oui, le matériel de la vie quotidienne n’est pas tape-à-l’oeil : pots de yaourts, boites de conserves, rouleaux de papier toilette, ficelle, bouteille plastique, eau du robinet, etc...

Mais ce matériel, avec lequel nous apprenons aux enfants et aux adultes à réaliser des expériences mettant en œuvre des concepts scientifiques, s’il n’est pas cosmétique, est redoutablement pédagogique ! Ainsi les public repartent des ateliers en possession du savoir et des savoir-faire, pouvant immédiatement refaire les expériences, modifier les paramètres, se poser de nouvelles questions.

Bref, il s’agit de cultiver l’appétence pour les sciences, le goût de l’expérimentation, la culture du débat et de prendre un individu dans sa globalité.

En effet, afin de comprendre la nature des connaissances scientifiques, comprendre la démarche scientifique (surtout pas au sens de Claude Bernard, mais plutôt au sens Gaston Bachelard) est indispensable.
Prendre l’individu dans sa globalité, c’est savoir qu’il se cultive par de multiples canaux qui se nourrissent mutuellement, formation initiale, presse, télévision, musées, expositions, conférences, journaux spécialisés, métier, environnement social, internet.

Pour préparer nos expériences, il fallait nous nourrir ! Nous échangions beaucoup entre membres des petits débrouillards (souvenez-vous de la diversité), mais c’était largement insuffisant, alors il fallait aller à la rencontre des autres :

  • Bibliothèques et médiathèques,
  • Musées et expositions,
  • Universités,
  • associations spécialisées,
  • etc...

Après la bibliographie, il faut tester les manip’s !

Un laboratoire nous était indispensable, bien plus qu’une administration !

Au début des petits débrouillards à Brest, la ville nous a immédiatement mis à disposition une salle de classe (voyez les photos), à Rennes, nous étions hébergés par la maison de quartier de Villejean dans une pièce quelques mètres carrés, puis la ville nous a donné accès à une salle de classe.

Nous sommes passé du stock de caisse pleine de matériel varié sous notre lit ou notre bureau d’étudiant à, enfin, un lieu où préparer les animations.

Alors nous étions enfin dotés d’une bibliothèque/centre de ressource et d’un laboratoire :

  • des parpaings
  • des planches
  • des caisses en plastique
  • un centre de tri pour le matériel de récup’
  • des outils (scie sauteuse, cutter, pistocole, visseuse déviseuse,...).

Etudiant en géologie, j’avais accès aux expériences de modélisation tectonique réalisée à géosciences Rennes avec du miel (connu pour sa stabilité rhéologique), du silicone, du sable. Aussi lorsqu’il fallut développer des animations « géologie » c’est avec des barquettes en plastique de récup (boites de coton-tige) de la farine, du sel, du sucre, du poivre que nous avons mis au point une expérience analogues à celle du labo de tectonique de l’université.

Et de ce labo est sortie pas mal de manip diffusées dans les écoles, les centres de loisirs, dans la rue etc...

Nous avons même cassé quelques rêves de vulgarisateurs, l’expérience de la bougie dans le bocal fut une grande aventure. La quasi-totalité des livres de vulgarisation expliquaient avec la certitude qui caractérise la légitimité de l’autorité scientifique que la bougie consomme l’oxygène et que l’eau monte pour combler cette disparition. Et souvent d’ajouter que : « vous le voyez bien, l’eau est montée de 20% du volume du bocal ça montre bien qu’il y a 20% d’oxygène dans l’air ! »

Erreur méthodologique, conformisme, absence d’esprit critique face à la légitimité scientifique, la réalité de l’expérience ne collait pas tout à fait à la théorie. C’est au sein du labo débrouillards que nous avons fait varier les paramètres, ré-interrogeant nos certitudes, ré-interrogeant nos méthodes, effectuant un travail épistémologique nécessaire sur les sciences.

Alors c’est dans ce « labo-D », fondateur des petits débrouillards, que nous avons construit des modèles de fonctionnement du métro rennais pour le projet « les enfants du VAL », discutant avec les équipes d’ingénieurs, nous avons construit des modèles des portes automatiques, des systèmes de signaux lumineux, des aiguillages, des différents type de TCSP (transports en commun en sites propres), etc...

De ce labo-D est également sortie des expériences géantes (équilibristes de 2m de haut, pendule de Foucault de 4m de haut (s’il était géant pour nous c’était plutôt une miniature, rapport à l’original !), balance d’Archimède de 2m, piscine de maïzena, etc...).
Ce sont également les premières expositions interactives, où il s’agit de donner un caractère plus permanent aux dispositifs expérimentaux à la manière de ce qu’à fait Jack Guichard a la cité des enfants. Ce sont aujourd’hui les modulothèques.

Si vous allez dans une des 10 antennes des petits débrouillards en Bretagne, ou dans les 20 associations régionales du réseau des petits débrouillards vous retrouverez cette sorte de centre de tri, matériauthèque, atelier de bricolage, … un FABuleux LABoratoire !

En regard non-avertit y verrait un capharnaüm incroyable, une sorte de cabinet de curiosité de la récup des matériaux de la vie courante (parmi les évolutions on a de plus en plus de mal à trouver des boites de pellicules photo) et c’est aussi ça.

Mais c’est d’abord un centre de ressource matériel destiné à tester des expériences, inventer des dispositifs pédagogiques, tester et explorer la matière, parce qu’avant d’aller à la rencontre des bénéficiaires des activités, il nous faut comprendre !

Alors notre FABuleux LABoratoire évolue, nous l’avons « pluggé » à internet, de nouveaux matériaux sont apparus à la fin des année 90, début 2000 :

  • Le centre de ressource s’est enrichit d’un ordinateur connecté à l’internet
  • Nous avons créé notre tant rêvé centre de ressource, coopératif et libre, numérique en ligne : Wikidebrouillard
  • Depuis 3-4 ans l’électronique fait sont apparition
  • Aujourd’hui Brest est doté d’une découpeuse vinyl,
  • D’une vingtaine d’Arduino,
  • De composants électroniques,
  • Les réalisations exposées se voient enrichie d’un électro-showroom

Aujourd’hui nous sommes très proche de la dynamique des fablabs et des hacker/maker-spaces. Parce que nous partageons bon nombres de valeurs avec ces mouvements (nous sommes bidouilleurs, coopératifs, curieux, nous ouvrons les boites noires pour comprendre, nous sommes pour une appropriation sociale des technologies, pour une critique rationnelle et active des technologies pour qu’elles servent l’émancipation des citoyens et pas le contraire,…). Parce que également, sans le formaliser, ces mouvements sont des mouvements d’éducation populaire.

L’émergence des fablabs et de la formidable dynamique qu’ils suscitent est un symptôme. Un autre symptôme c’est l’émergence de la dynamique Open Bidouille qui s’inscrit directement dans un succès populaire (l’exemple de Saint-Ouen mais aussi de Brest où le Hall de mairie avait la réputation d’être un lieu non fréquenté pour les manifestations populaires et pourtant, il était plein (plus de 1000 personnes) lors de l’Open Bidouille).

Le croisement de "la bricole" à l’ancienne avec le partage permis par les réseaux, les licences libres pour l’ouverture des possibles, augmentée des compétences technologiques (hardware et software) requises par l’internet et les objets qui l’entourent forment là une occasion unique de partager la culture scientifique et technique, de former des communauté d’intérêt ouvertes, de donner du pouvoir d’auto-organisation et d’actions aux citoyens et de travailler à un "bien-vivre ensemble".

Ce qui est réjouissant c’est que cette dynamique est aussi une dynamique populaire (des assos se montent, des collectifs se créent, des liens se tissent) plus qu’une dynamique institutionnelle pour l’instant. Le rôle du politique serait d’accompagner cette dynamique d’aider ceux qui font, de contribuer à démultiplier les expériences qui fonctionnent. Pas implanter des structures ex-nihilo mais s’appuyer sur les dynamiques existantes (le lien avec les asso de mémoire ouvrière, vieux métiers, éco-musées, asso de patrimoine, PME locales, acteurs éducatifs, EPN, ... Investissez dans ce qui marche, pas dans le cosmétique ! La liste est longue de celles et ceux qui peuvent s’inscrire dans cette dynamique sur les territoires, pas en créant une activité concurrente, mais en s’appuyant dans des parcours existants, dans des histoires et mobilisations existantes).

Et comme je l’ai twitté @fleurpellerin, on ne nait pas innovateur, on le devient !

Enfin, en matière d’éducation au sport, des politiques fortes ont permis de construire un terrain de foot par commune. Hélas, si on estime que les enjeux pour la société de l’innovation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de l’appropriation sociale des sciences sont des enjeux fondamentaux pour une société moderne, inscrite dans son temps, la traduction de ces enjeux en politique publique est bien en dessous de la nécessité.

Alors, de la même manière que les politiques publiques du sport qui ont su doter, au bénéfice de la population, chaque commune d’un terrain de foot, si on visait un objectif modeste : doter chaque canton d’un lieu de pratique scientifique et technique ? (entendons-nous bien, pas un centre tape-a-l’oeil ou la population est invité à célébré la messe des sciences ! Un lieu de pratique pour mettre les mains dans le cambouis ! Un lieu où les sciences et technologies sont "familières", désacralisées, pour mieux les aimer, se les approprier et y réfléchir comme bien commun et enjeux stratégique pour la société).

Et là, pas forcément besoin de couler du béton ! Une simple requalification des EPN (Espaces Publics Numériques), des médiathèques, des centres culturels locaux pourraient accueillir ces lieux culturels du XXIème siècle.

Aux sciences citoyens !

PS : Pour celles et ceux qui ne le savent pas, un Fablab c’est un FABrication LABoratory

Via un article de Antony Auffret / Coordinateur DV et innovation, publié le 5 avril 2013

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