Quels droits pour un usage public des œuvres ?

Exceptions_GalopinDes droits ou de simples exceptions ? Quels usages ? Jusqu’où et pourquoi ? Une nouvelle évolution nécessaire ? Voilà quelques unes des nombreuses questions examinées par Benoit Galopin, auteur d’une thèse portant sur les exceptions à usage public en droit d’auteur publiée récemment [1].

Droit d’auteur, droit de l’auteur, comme on le rappelle si souvent. Mais aussi un droit qui, même en France, accorde une place à l’utilisateur lorsque les exceptions sont qualifiées de «  baromètre de la réception harmonieuse du droit d’auteur dans le corps social » (C. Caron). Tout est dit, là. C’est donc avec intérêt que l’on se penchera sur cet instrument politique que sont les exceptions au droit d’auteur.

Ces exceptions (un droit ?) à usage public que sont notamment la citation, l’illustration pour l’enseignement et de la recherche, mais aussi la revue de presse, la parodie, ou ceux qui bénéficient aux personnes handicapées, les voilà analysées dans cet ouvrage. Avec Benoit Galopin, son auteur, on découvre comment elles sont apparues et comment le juge les a interprétées car, rôle du législateur et rôle du juge, telle est la question dans la naissance et l’évolution des exceptions.

Le poids du juge, c’est ce qu’illustre le triple test à l’aune duquel une exception doit passer et dont le juge peut s’emparer pour refuser l’exercice si elle devait porter « atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ». Ce pouvoir donné aux juges, qui ajoute une dose d’insécurité juridique, ébranle le principe d’une liste fermée d’exceptions définies de manière stricte, comme le veut le droit français qui laisse peu de place à l’interprétation. Le Fair Use des États-Unis, plus flexible, qui se contente d’une réponse satisfaisante à quatre critères pour admettre un usage, serait-il plus accueillant pour les usages numériques ? L’occasion de découvrir que cette superposition de systèmes fermé et ouvert, troublante, existe déjà … au Royaume-Uni et au Canada.

En tant que législateur, comment arbitrer entre les intérêts des parties quand on sait que ni les auteurs ni les investisseurs ni même le public, devenu lui-même auteur, n’est monolithique, et dans un domaine où les groupes de pression se multiplient ? Des vainqueurs ? Rien n’est moins sûr, mais des textes alambiqués, tant au niveau européen que français, comme le sont la directive européenne de 2001 et sa transposition en 2006 dans le droit français, voilà qui est certain, tout comme le brouillage de la notion d’intérêt général qui demande pourtant de distinguer les intérêts solipsistes (catégoriels égoïstes) des intérêts universalisables.

Revendiquer un droit à l’information ? N’y pensez pas. Un droit à la culture ? Encore moins. Quoique … Pour retracer l’actualité, constate-t-on, on jouit de multiples dérogations, l’abus de droit a pu être sanctionné, on a pu faire jouer le droit de la concurrence et pas moins de quatre nouvelles exceptions (dépôt légal, bibliothèques, handicapés et enseignement et recherche) répondent aujourd’hui directement à des finalités sociales et culturelles. Certes, mais pour des champs restreints afin de ne pas déséquilibrer une balance des intérêts particulière, a-t-on souligné. Oui, vous avez bien lu : à côté de l’équilibre général du système des exceptions, il s’agit aussi de veiller à l’équilibre des intérêts pour chaque exception. La tâche est complexe.

Toujours dans la complexité (ou la nuance) : une loi à interpréter de manière stricte par le juge (pas de création d’exception ex nihilo, même en se fondant sur la directive européenne), sans s’interdire pour autant un assouplissement dans l’interprétation et de s’appuyer sur des principes fondamentaux que sont la liberté d’expression et la liberté de création. Et, s’il est judicieux, au regard du droit français, de laisser au législateur et non au juge le soin de faire évoluer les exceptions, le juge s’est pourtant parfois émancipé, en créant une exception prétorienne, pour l’inclusion accessoire ou fortuite d’une œuvre ou en admettant l’exception de citation pour des extraits de presse dans des bases de données. Les rôles ne sont pas toujours si tranchés non plus.

Équilibre. Bien qu’expression bannie en France, Benoit Galopin s’est lancé ici dans l’étude d’une balance des intérêts à la française. Raisonner à long terme sans se focaliser sur les antagonismes du moment, se pencher sur la notion d’intérêt général, voilà quelques difficultés à surmonter. Mais que dire lorsque la licéité de l’accès n’est pas une condition pour exercer une exception, mais que des mesures techniques de protection font émerger un droit nouveau, un droit d’accès aux œuvres ? Il y a des aspects encore bien inquiétants, à mes yeux.

L’absence d’accès raisonnable aux œuvres, voilà qui pâtit aussi à la création de valeur pour une économie, souligne-t-il pourtant, tout comme les coûts transactionnels trop élevés face au bénéfice retiré de l’utilisation des œuvres. Cette analyse économique, ajoute-t-il aussi, existe également en droit français lorsqu’on retient l’absence de préjudice, l’absence de concurrence ou encore l’existence d’une réciprocité, et le triple test ne signifierait même pas un triomphe des seuls aspects économiques.

Tout ceci crée un paysage fascinant où évoluent législateurs et juges, des exceptions aux termes concis, parfois « énigmatiques  », ou trop précis aux interprétations strictes, parfois inadéquates, et sur un fond (lointain ?) d’harmonisation (à défaut d’uniformisation) des régimes de droit d’auteur. On peut regretter que la souplesse du régime que nous avions en France par le «  jeu rédactionnel ouvert » des exceptions, nous l’ayons perdu en 2006 avec la multiplication des exceptions catégorielles « de résistance », entrées, ajoutera-t-on, sans doute dans notre droit par l’application trop stricte par les juges de certaines exceptions, comme cette exception de courte citation cantonnée encore aujourd’hui aux textes.

En dépit des dysfonctionnements actuels, pour Benoit Galopin, nul besoin de changer de paradigme, mais veiller à accorder une attention aux libertés fondamentales et à la liberté de création, ne pas se fonder sur l’avenir les mesures de protection techniques, et accorder aux exceptions un caractère impératif afin qu’elles ne soient pas contournées par contrat. Voilà quelques points, parmi bien d’autres, que l’on retiendra d’une analyse très riche.


[1] Les exceptions à usage public en droit d’auteur / Benoit Galopin .- Paris : Lexis-Nexis, 2012 (IRPI,Le droit des affaires Propriété intellectuelle, 41) Prix de thèse IRPI

Via un article de Michèle Battisti, publié le 5 avril 2013

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