un articlerepris du site Animacoop
Les clés de réussite pour faire murir le réseau ?
Notre questionnement de départ était le suivant : Existe t-il des facteurs de réussite et d’échec propres à chaque stade ? Comment alors passer d’un stade à un autre ? Quel rôle doit jouer l’animateur pour assurer la réussite du projet ? Et enfin, comment utiliser les outils afin que ces derniers soient au service du projet et du groupe ?
Lors d’un entretien par visioconférence, Jean-Michel Cornu nous a éclairé sur ces questionnements en prenant comme référence les différents stades de maturité de projets collaboratifs existants.
La vie d’un réseau est évolutive : au départ, le groupe est "enfant", il devient ensuite adolescent et passe enfin au stade adulte. Au fil de ces trois stades, le réseau va se construire en plusieurs étapes.
Dans un premier temps, le collectif est chaotique puis la communauté se forme : le groupe est au stade de maturité "enfant". Ensuite la communauté s’informe et se transforme : le groupe est au de maturité "adolescent". Enfin, la communauté rayonne puis le réseau s’ouvre et se consolide : le groupe devient adulte.
Principale clé de réussite : une démarche et un questionnement tout au long du processus
Quelque soit le stade, le contexte, les problématiques rencontrées, le réseau ne grandira que s’il est en mesure de se poser les bonnes questions avant d’essayer d’y répondre.
Chaque étape de transition est un point crucial mais délicat. JM Cornu est souvent revenu sur le principal facteur d’échec de la coopération : la difficulté à se poser des questions nouvelles en adéquation avec son stade de maturité du groupe. En général, le groupe a tendance à se poser les questions de l’ancienne étape, ce qui peut être source de conflit.
Nous pensions initialement qu’il existait des freins et des leviers spécifiques à chaque étape. JM Cornu nous a expliqué que notre angle de vue était trop restreint. Les freins et les leviers sont au contraire bien souvent les mêmes.
Quelques questionnements sont néanmoins spécifiques aux étapes de la vie du réseau :
- dans la transition entre le "collectif chaotique" à la "communauté se forme", les questions portent sur la construction de l’identité commune : comment trouver des consensus ?
- au stade entre la "communauté se forme" à la "communauté s’informe", on prend conscience de l’effervescence des idées et des projets qui fusent dans toutes les directions. L’enjeu consiste alors à structurer ces idées autour d’un projet commun.
- Lors du stade de la "communauté s’informe" à "la communauté se transforme", la communauté n’est plus passive : il faut entrer dans l’action, il s’agit ici de se questionner sur le "comment faire".
- Enfin, dans la dernière transition entre "la communauté se transforme" à "la communauté rayonne", il est question de s’ouvrir vers l’extérieur. L’enjeu consiste à accepter cette vision dynamique et à la gérer.
Ci-dessous des exemples qui permettent d’illustrer ces étapes de transition et le nouveau questionnement qui en découle.
L’exemple de l’ADAPRO
Il s’agit déjà d’un réseau adulte qui traverse un stade de remise en question, d’essoufflement (l’association a été créée en 1998 et l’animatrice actuelle est embauchée depuis un an).
Les besoins, le contexte et les membres du réseau ont évolué. Il faut donc peut-être requestionner les besoins et les attentes des membres et envisager de nouvelles réponses sur les actions fédératrices à mettre en œuvre.
Par ailleurs, le fonctionnement s’essouffle, le CA ne se renouvelle pas, il y a peu de gens qui s’impliquent.
Une enquête a été lancée afin de dégager des pistes de travail pour évoluer en termes d’actions et de fonctionnement.
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L’exemple du collectif des Garrigues
Au sein du réseau du collectif, se poser les bonnes questions au bon moment a permis de faire évoluer un projet, lequel accompagne le réseau dans ses différentes phases de maturité. Ce processus a abouti aujourd’hui à une action forte et fédératrice qui joue un rôle fondamental dans la montée en puissance et dans la continuité de la dynamique du réseau : les Rendez-vous des garrigues.
L’idée première, à travers ces Rendez-vous était de mettre en débat l’avenir du territoire des garrigues, amorcé par l’exposition itinérante « Mais où sont passées nos garrigues ? ». Cette exposition a tourné durant 4 ans sur le territoire des garrigues du Gard et de l’Hérault, et l’envie de retrouver de nouvelles dates s’est vite fait ressentir. Les premiers Rendez-vous des Garrigues ont été couplés à l’exposition.Le "collectif chaotique" est devenu une communauté qui se forme avec un objet commun. Peu à peu, ces Rendez-vous ont évolué vers de nouveaux publics, sous de nouvelles formes. Ils sont devenus un véritable outil d’animation et d’innovation territorial. Néanmoins, ces actions ne sont pas intégrées par le réseau dans son ensemble.
Les "objectifs" sont alors redéfinis et le rôle des rdv est réorienté afin de répondre aux besoins des membres qui souhaitent favoriser la mise en lien des acteurs et des personnes ressources de ces territoires. Aujourd’hui, ils sont une véritable force pour le réseau du Collectif des Garrigues qui s’est formé et affirmé durant ces quelques années.
Un outil facilitant la démarche de questionnement
JM Cornu a donné l’exemple du processus de la rédaction des 28 mots clés de la coopération par le groupe Intelligence Collective de la FING. Après avoir tenté de définir chaque mot clé de la coopération, ce groupe de travail a finalement décidé de rédiger un questionnaire facilitant la réflexion.
Le questionnaire s’intitule 30 minutes pour mieux comprendre par vous-même ce qui se passe dans un groupe. Cet outil facilite la prise de conscience et donne à voir différents points de vue des relations qui se jouent dans un groupe.
L’auto-questionnaire est dans un premier temps personnel. Il permet à chacun de s’interroger, de prendre du recul et de se positionner par rapport à son groupe.
Dans un second temps, on peut (si on le souhaite) échanger sur ce qu’on veut partager avec les autres. Ce travail place le groupe dans une démarche lui permettant de dépasser l’aveuglement paradigmatique. Selon Edgar Morin, ce serait la capacité du groupe à faire co-exister différents points de vue et de passer d’un point de vue à un autre. Cette prise de conscience lui permet d’être autonome et de trouver lui-même les bonnes réponses. C’est une démarche qui s’inscrit ainsi dans la philosophie du proverbe : "si tu pêches pour lui, il aura à manger un jour mais si tu lui apprends à pêcher, il aura à manger toujours".
La nécessité des crises dans le processus de coopération
Nous l’avons vu, le passage d’un stade à un autre de la vie du réseau implique de poser de nouvelles questions et de faire de nouvelles propositions. Dans ce contexte, des réactions de rejet peuvent émerger : on parle de réaction de "conservateur", qui, comme l’explique Norbert Alter, consiste à freiner l’évolution vers quelque chose de nouveau. Ce phénomène est donc une crise, processus que l’on peut décrire et sur lequel on peut agir pour aider le passage à l’étape suivante. Mais comment ?
On observe, pendant les crises, de véritables changements de posture, du créateur, des conservateurs... La dimension humaine a une place essentielle et la situation peut demeurer irrationnelle si les idées ont convergé mais que les changements de posture n’ont pas eu lieu (les conservateurs restent opposés, le créateur refuse l’appropriation de son idée par les conservateurs...).Des idées nouvelles peuvent remettre en cause les postures et la légitimité des personnes dans le groupe. A l’inverse, si l’idée finale est présentée comme le fruit d’une réflexion et d’une évolution collective, chacun peut se sentir valorisé et s’approprier la proposition finale. L’estime donnée aux membres du réseau est donc un facteur facilitateur du changement de posture. Par ailleurs, puisqu’il s’agit d’aspects humains, entretenir des moments conviviaux, informels, peut s’avérer très efficace.
Afin d’illustrer ce phénomène, voici un exemple concret au sein de l’ADAPRO
Exemple d’une association d’apiculteurs
Comme indiqué plus haut, l’ADAPRO est un réseau adulte mais qui traverse une période de remise en question : l’association perd des adhérents et les membres ne s’impliquent plus. Comment ré-impliquer les adhérents et en attirer de nouveaux ?
Deux propositions sont formulées par le CA et l’animatrice à savoir modifier le montant des cotisations et mettre en place un nouveau service "achat groupé". Le constat posé est le suivant : avec seulement deux idées, le débat contradictoire n’a pas lieu.
Le CA engage alors une réflexion collective en soumettant les idées au vote : aucune proposition n’obtient la majorité mais une troisième idée émerge qui fait consensus et répond à la problématique de départ : "créer une nouvelle cotisation supplémentaire et optionnelle pour le service achat groupé". Est-il pour autant sorti de cette situation de crise ?
Quel rôle de l’animateur pour gérer les crises et garantir les processus de coopération ?
Comme nous venons de le voir, différentes postures s’opposent dans les situations de crise. Nous nous interrogeons maintenant sur le rôle que l’animateur peut et doit jouer des ces situations délicates afin de garantir le processus de coopération.
Un des outils de médiation consiste notamment à valoriser les différents membres de son groupe et à fabriquer de l’estime et de la légitimité. Le rôle de l’animateur est avant tout d’expliquer, de rassurer, de donner de la légitimité à tous, de valoriser les individus et le projet.
Rappelons que le rôle de l’animateur évolue en fonction du stade de maturité d’un groupe :
- Lorsque le groupe est "enfant", l’animateur "pleure" car il doit tout gérer.
- Lorsque le groupe devient "adolescent", le groupe se construit souvent en opposition à l’animateur : en conséquence, plus personne ne l’écoute.
- Enfin, le groupe devenu adulte est indépendant : l’animateur doit alors réviser sa position initiale..
Aussi, un animateur doit savoir s’adapter à ces différents changements : il ne jouera pas le même rôle durant les différents stades d’un réseau.
Revenons maintenant au chapitre précédent sur les situations de crise qui correspondant à un changement d’étape. L’animateur doit amener le groupe à se poser les bonnes questions.
Le principal écueil qu’il doit éviter est de se focaliser sur une chose en particulier, sans quoi il perdra de vu tout le reste. Il lui faut dépasser l’aveuglement paradigmatique afin d’être en mesure de remplir son rôle d’animateur, facteur de réussite clé dans le processus de la coopération.
L’animateur va jouer un rôle de médiateur entre les différentes postures et rôles qui s’affrontent lors des crises. A noter qu’en fonction des étapes, il va se trouver face à différents enjeux :
Lors de la transition entre "le chaos collectif" et "la communauté se forme",nous assistons à "un génocide d’idées" ; le créateur va alors proposer des idées qui seront condamnées par le reste du groupe.
Le rôle de l’animateur,de par sa place centrale dans la construction identitaire du réseau sera d protéger le créateur.
En revanche, par la suite, les anciens créateurs perdront de la légitimité, leurs idées seront transformées car appropriées par le reste du groupe ; ainsi, ces derniers pourront basculer dans la posture de conservateurs. Le rôle de l’animateur sera alors de protéger les conservateurs lors de cette phase d’appropriation.
Ces rôles successifs nécessiteront de la part de l’animateur des capacités à analyser la complexité des situations et d’accompagner le changement, ce qui nécessite une remise en cause perpétuelle.
Autre exemple du collectif des Garrigues
La communauté se forme rapidement grâce à la création d’une liste de discussion généraliste. De nouvelles thématiques nouvelles émergentautour du patrimoine.
Les animateurs proposent une nouvelle liste de discussion spécialisée sur le "patrimoine",
Des tensions apparaissent entre "conservateurs" et "créateurs". Le rôle de l’animateur est alors de rassurer, de maintenir les liens entre les membres et de veiller à la valorisation auprès du grand groupe. .
Comment l’utilisation des outils peut garantir le succès d’un projet ou le mettre en difficulté ?
Ne l’oublions pas, ce sont bien les personnes qui sont au cœur de la collaboration. Les outils ne remplacent pas les hommes. Bien choisis, les outils sont facilitateurs de la vie d’une réseau s’ils sont expliqués et accompagnés dans leur usage. Sinon, ils peuvent très vite contraindre et avoir un effet contreproductif.
Avant de choisir des outils, l’animateur et les collaborateurs du groupe définiront des objectifs communs (Que souhaitent-ils faire ? Quels outils mettre en place pour tendre plus facilement vers ces objectifs ? Et nous encouragerons une utilisation progressive des outils selon le degré de maturité du groupe.
Ainsi au démarrage du groupe on proposera des outils facilitant la connaissance des membres du groupe et l’échange d’information (liste de discussion, annuaire, cartographie...). Plus le groupe avancera dans le temps, plus il aura besoin d’outils de co-construction (outils de partage de documents, de communication synchrone et asynchrone, d’écriture collaborative,...), jusqu’à vouloir diffuser et à donner à voir ses projets à l’extérieur du groupe (outils de gestion de contenus,...).
Avant de lancer un nouvel outil, il est intéressant de passer par une phase de "cobayes testeurs" auprès de quelques membres du groupe avant d’envisager sa diffusion plus largement afin d’écarter tout problématique technique qui contraindrait son usage et se révélerait dévastateur au sein du réseau.
En effet, si l’outil est trop complexe par rapport à la situation, il ne sera pas approprié, même s’il peut s’avérer utile à une étape plus avancée du projet.
Pour qu’un outil fonctionne, tous les membres du réseau doivent se trouver dans la même dynamique. Par exemple, sous "Doodle", outil d’organisation de date de réunion, si les participants ne répondent pas assez rapidement, la date ne sera pas décidé collectivement mais sera fixée de façon arbitraire.
Exemple de la visioconférence en Bretagne en cours...
Une fois par mois, la Cité des Métiers des Côtes d’Armor organise une table ronde sur la découverte de métiers à destination du grand public (jeunes, chercheurs d’emplois,...) et retransmise en visioconférence dans plusieurs villes du département et bientôt au délà puisque Brest Métropole Océane réfléchit à son extension sur son bassin d’emploi. Mais avant de l’ouvrir au grand public, Brest métropole océane a convié ses partenaires pour une phase test, ainsi une vingtaine de professionnels de l’emploi, de la formation, de l’insertion se sont prêtés au jeu. L’objectif de cet exercice était double : d’une part de tester l’outil et de prouver l’intérêt d’un tel dispositif, d’autre part d’obtenir l’adhésion des professionnels qui ensuite seront relais de l’information de ce nouveau service auprès du grand public. Cette première étape s’est révélée très riche d’enseignements et a permis de soulever plusieurs points à améliorer : améliorations techniques (taille de l’image, qualité sonore,...), améliorations en terme d’animation de réunion à distance. Mais l’adhésion des partenaires est en bonne voix sous réserve d’améliorer la qualité du service et pour cela ils se sont donnés rendez-vous dans deux mois pour un nouveau test et celui ci se révélera déterminant ! D’ici là, les promoteurs de ce nouvel outil devront travailler en amont pour faire en sorte que le jour J les contraintes techniques soient gommées au risque sinon de ne pas obtenir l’adhésion des ambassadeurs ce qui mettrait fin au dispositif avant même qu’il n’ait réellement vu le jour.
Selon les habitudes de travail, les habiletés des personnes, l’introduction d’un outil pour un nouvel usage, une nouvelle pratique, peut avoir un effet totalement contreproductif au sein du groupe et démobilisateur pour diverses raisons (peur du changement, manque d’habileté, problèmes de confidentialité, perte de contrôle,...) s’il n’est pas accompagné, expliqué. Les membres du groupe mettant en place un nouvel outil joueront un rôle essentiel pour en faciliter son appropriation. Pour cela, le choix d’outils simples est primordial . Les outils les plus avancés en terme de fonctionnalités ne facilitent pas forcément leur utilisation par le plus grand nombre. Il est préférable de limiter le nombre d’outils qui remplissent bien des fonctions différentes et complémentaires.
Ils seront attentifs à l’accompagnement des usagers sous toutes ses formes (en organisant des ateliers se sensibilisation, en mettant à disposition des "guides pratiques à l’utilisation", en rédigeant des FAQ, en assurant une sorte de "hotline"...).
L’animateur du réseau, jouera un rôle essentiel dans la bonne utilisation des outils en donnant des règles de conduite claires connues de tous (charte d’utilisation par exemple).
Si le groupe décide à un moment donné de donner à voir ses projets en mettant en place un site web, l’écriture participative sera encouragée. Il faut bien prendre en compte le temps long du passage à l’écriture en ligne. Les gens ne sont pas forcément à l’aise avec l’expression en ligne (parce qu’ils ne veulent pas s’exposer, parque qu’ils pensent que ce qu’ils ont à dire ou à montrer n’intéresse pas les autres,...). Là aussi, l’animateur sera vigilant en donnant des clefs facilitant ce passage à l’écriture (ateliers à l’écriture journalistique, supports en ligne,...). Pour une contribution du plus grand nombre dans une écriture participative, l’animateur sera en attention aux personnes pour encourager tout le monde, notamment les plus éloignés de l’écriture en ligne en les encourageant, les motivant, les valorisant.
Exemple de l’expérience de "Brest à pied et à vélo
Afin d’illustrer cette première partie et l’ensemble des processus à l’œuvre quand le réseau murit, voici un exemple concret :Le nombre d’adhérents actifs est en augmentation et de nouveaux projets se mettent en place au sein de l’association "Brest à Pied et à Vélo". La dynamique est très positive mais s’accompagne (heureusement ? ) d’une crise identitaire, qui se traduit par des discussions assez vives au sein du conseil d’administration : les "créateurs", qui veulent multiplier les projets, parfois de manière non structurée, se confrontent à des "conservateurs" qui freinent chaque nouvelle initiative lancée. Entre les deux profils, il a bien sûr des "modérés" qui souhaiteraient conjuguer lenteur et réactivité mais qui peinent à se faire entendre.
Pourquoi cette crise, à cette étape de la vie de l’association ?
Cette interroge à la fois la philosophie de l’association et son mode de fonctionnement.
Cette situation se traduit par l’échange de mails non structurés : les outils Internet sont, dans ce cas précis, vécus comme un frein à la mise en œuvre d’un débat constructif. Deux solutions émergent : le crise doit se régler sans les outils ou alors les outils doivent être utilisés comme un moyen de régler la crise.Dans ce contexte et au regard de la formation Animacoop, l’animatrice s’interroge évidemment sur le stade de maturité de l’association. L’association grandit et traverse une crise identitaire : elle se sent pousser des ailes qui l’emportent vers de nouvelles perspectives mais elle a peur de ces nouveaux projets qui impliquent l’ouverture et une autre forme de communication.
Le rôle de l’animatrice serait de faciliter la médiation entre les "créateurs" et les "conservateurs" et de faire converger les idées dans une démarche rationnelle tout en tenant compte des aspects humains et des postures. Cette étape nécessite ainsi de nouvelles idées, sans doute de nouveaux outils mais surtout d’être en mesure de se poser les bonnes questions et de ne pas être focaliser sur un point en particulier.
Nous avons jusqu’ici parlé des aspects d’animation et des dynamiques d’interactions au sein des groupes. Néanmoins, pour qu’un groupe soit pérenne il y a aussi des conditions économiques à prendre en compte.
Besoins et moyens pour la mise en œuvre et la durabilité d’un projet coopératif
Dans cette partie, nous avons voulu identifier :
Quels sont les besoins d’un réseau ? A quels moments de la vie du réseau sont t-ils indispensables ? Quelles alternatives de financement sont à privilégier ? …
Les besoins économiques d’un réseau et les moyens
Les besoins d’un réseau peuvent être classifiés en trois types :
- de l’information : des contenus et des connaissances, des écrits, des éléments multimédia, de l’expertise des personnes se rassemblant sur des thématiques, etc.
- des outils matériels au sens large : le matériel, les outils informatiques et de communication, espaces de travail, etc.
- du management collaboratif : organisation, coordination et animation pour faire vivre et évoluer le collectif chaotique en un réseau qui produit, qui s’ouvre et se consolide.
Ces trois types de besoins sont plus ou moins importants selon l’étape de la vie le réseau et de son objet. Plus les objectifs du réseau sont orientés vers des projets collectifs, plus les besoins sont importants. Aussi, selon le stade de maturité enfant-ado-adulte, plus un réseau est jeune plus il a besoin de soutien, pour ensuite évoluer vers l’autonomie.
Selon Jean-Michel Cornu dans la phase d’amorçage du projet, il est souhaitable de trouver des solutions pour combler les besoins sans faire appel à la recherche de financement. Pourquoi ? Parce que s’embarquer dans une démarche de recherche de fonds consomme beaucoup d’énergie. Cette implication de la part des membres est plus vitale dans un premier temps dans les étapes de formation, d’information et d’organisation du réseau. Une autre raison c’est le risque de déviation des objectifs du réseau afin de s’adapter aux cadres ou aux conditions imposés par les dispositifs de financement.
Néanmoins, c’est seulement en développant une culture de la collaboration que le réseau pourra économiser en moyens financiers.
Quand l’activité de production du réseau démarre (soit du contenu, des événements, etc.), il est nécessaire de compter sur des moyens humains, financiers et matériels pour mener les projets à bien. C’est le cas également lorsque le réseau rentre dans l’étape de rayonnement puisqu’il cherche à communiquer vers l’extérieur et à diffuser ses productions. C’est le moment où le réseau doit devenir autonome.
Exemples de financements
Nous avons constaté la pertinence des idées précédentes dans les exemples suivants :
- Une association travaillant sur la transition énergétique en Aquitaine a souhaité produire un scénario régional type Négawatt. Il leur fallait beaucoup d’information et des connaissances pointues dans les domaines concernées. Il y a eu des essais de formation d’un réseau de professionnels travaillant sur ces thématiques, mais les échanges se sont orientés directement vers le démarrage du travail productif et vers la recherche de financement avant de s’attarder sur les étapes de formation et d’information du réseau. Le résultat a été l’essoufflement des volontés et le déclin de la dynamique.
- Un autre réseau travaillant aussi dans la transition a voulu regrouper plusieurs associations régionales afin de partager les compétences et d’impulser une dynamique national. Cette association a misé d’abord sur la recherche de fonds pour financer l’animation. Les financements ont été obtenus, mais le temps de recherche de ces fonds a consommé la plus grand partie du temps de travail de l’animateur et les objectifs du réseaux ont du être adaptés aux conditions de l’organisme de financement. Résultat : la dynamique s’est aussi essoufflé et la production d’un travail collectif prévu pour fin 2012 n’a pas été réalisé.
- Le réseau Colibris (déjà dans son étape de consolidation) a invité à la création de groupes locaux en s’appuyant dans l’organisation d’évènements type Forums Ouverts dans plusieurs villes de France. Ils ont apporté des moyens matériels et humains pour permettre l’émergence des groupes. Au début de la création de ces réseaux locaux, une attention particulière a été donnée à l’étape d’information et d’organisation, grâce au suivi des consignes données par Colibris national. Ces consignes étaient orientées vers la création d’une culture collaborative au sein des nouveaux groupes et d’un cadre d’organisation et de connaissances nécessaires. Le résultat s’est concrétisé par la réalisation de plusieurs forums ouverts (réalisation de projets) et par la création de groupes locaux. Ceux-ci ont pu vivre le stade de groupe enfant (formation, information), se sont transformés et ont rayonnés.
- Le réseau Tela Botanica, réseau mature est dans une étape d’ouverture et de consolidation. Il s’appuie sur sa légitimité et sur son rayonnement pour s’engager dans des projets privés, qui vont au delà de l’activité du réseau. Ces projets sont financés par des partenaires et des institutions, et représentent de nouveaux défis pour le réseau, qui doit consacrer du temps à ce nouveau type de projet tout en conservant suffisamment de temps et d’énergie pour le fonctionnement et les activités déjà en place. L’équilibre n’est pas toujours facile à trouver, aussi bien dans le temps à y consacrer que du point de vue des membres, qui peuvent contester l’implication de tel ou tel projet et questionner le lien avec le projet initial.
Il est toujours possible d’imaginer des solutions pour pallier au manque de moyens.
Un réseau au démarrage peut réduire ses coût en n’ayant pas de local dédié et en privilégiant l’utilisation d’outils collaboratifs permettant le "travailler ensemble" à distance tout en maintenant des réunions physiques nécessaires à la dynamique collective.
Cependant, certains besoins restent incompressibles et augmentent avec le réseau : c’est la cas d’animateur de réseau même si une partie de son travail peut être délégué par "transfert de compétences" auprès de membres investis ; tout en tenant compte des limites de la disponibilité et de réactivité d’un bénévole.
Les besoins évoluent en fonction des stades d’avancée du projet, fluctuent sans cesse selon les objectifs que se donnent et se permettent les acteurs de celui-ci. Il en est de même pour les moyens. Entre forte disponibilité et baisse de l’implication des membres, face aux oscillations constantes du contexte économique global, et en touchant des aspects plus concrets de ressources matérielles disponibles, nous voyons bien que les moyens d’un réseau varient tout au long de son histoire...
Face à cette hypothétique instabilité, quels peuvent être les clés et surtout les techniques à développer pour accompagner au mieux l’avancée et l’aboutissement du projet ?
Entre forte disponibilité et baisse de l’implication des membres : le temps mobilisable pour la coordination et l’animation du projet
Le temps mobilisable pour dynamiser le projet, le mener à bien, le diffuser vers l’extérieur, est variable selon les personnes, et selon les périodes. Mais alors, comment peut-on assurer une continuité dans l’action, assurer les tâches à effectuer dans un contexte de disponibilité en temps toujours plus fluctuant ?
L’exemple du collectif du collectif des Garrigues
Une des solutions trouvée par le Collectif des Garrigues est d’essayer de jouer sur l’augmentation du nombre de participants aux différents projets, afin de répartir les tâches entre plusieurs personnes. Il n’y a plus qu’une seule personne, l’animatrice, qui organise et communique sur un événement, mais bien plusieurs personnes relais qui s’en chargent. Ce qui a aussi le mérite d’ouvrir le réseau vers des acteurs que l’animatrice n’a pas l’habitude de toucher. Ces personnes relais ont besoin d’avoir une bonne connaissance des objectifs et des attendus de l’événement en question, et s’approprient ainsi la dynamique. On démultiplie les forces et cela ne demande finalement que quelques heures à chacun au lieu de deux jours à une seule personne..Les ressources matérielles disponibles : jouer sur le partage et l’échange de bons procédés...
Il arrive que des réseaux, des projets ne bénéficient pas de ressources matérielles très importantes. Une solution avancée par le collectif des Garrigues est de mutualiser les moyens auprès des partenaires du réseau : exemple d’une salle de réunion, salle de formation, matériel informatique etc.
Il suffit ainsi de profiter de ce que les membres du réseau peuvent et ont envie de partager.
Trouver du temps et mutualiser moyens et savoir-faire font partie de la dynamique des réseaux, il est ainsi facile de trouver des solutions à ces problèmes. En revanche, définir la stratégie de financement d’un réseau est plus complexe.
Quand il y a un apport financier extérieur, ça facilite un peu les choses...
Face à une diminution des financements publics, il est impératif, pour assurer la pérennisation de nos structures et de nos projets coopératifs d’inventer d’autres systèmes de financement. L’économie marchande ne serait plus alors ni unique, ni incontournable.
Pour cela, nous devons agir à trois niveaux :
- diminuer et rationaliser nos coûts de fonctionnement
- diversifier nos sources de financement (Fonds publics, Fonds privés)
- et développer des produits et services générateurs de ressources nouvelles (Ressources propres).
Un nouveau secteur économique pourrait ainsi voir le jour, selon des critères et des valeurs à chaque fois particuliers, monétarisés ou non, professionnalisés ou non, pourvoyeurs d’emplois et/ou d’activités bénévoles.
Il s’agit de repartir des hommes, de leur soif d’action, d’utilité, de partage, pour redéfinir des ambitions politiques nouvelles parce que porteuses de progrès pour la société entière.
Ainsi, les activités économiques reposeraient sur l’hybridation permanente de trois pôles économiques : l’économie marchande, l’économie non marchande et l’économie de don ; ce que certains nomment une économie plurielle (Eme B., Daniel Mothé , Jean-Louis Laville , Guy Roustang , Bernard Perret, Vers un nouveau contrat social, Sociologie économique, DDB Collection, 2000).
Graines de Pays
Le projet de l’association GRAINES DE PAYS porte sur l’usage du Multimédia et des TIC pour les personnes fragilisées.
L’étude menée en amont du projet a fait émerger la pertinence de création d’un Comité Interdisciplinaire (Étude menée par 3 bénévoles).
Pour mener à bien ce travail de coopération entre les acteurs, nous avons à ce jour quatre demandes de financements en cours : Communes, Politique de la ville, FSE (Mesure 4.3.2.) et la Fondation MACIF.
Exemple de l’ADAPRO
Nous sommes confrontés à la baisse des subventions (dépendance à 70% de subventions des collectivités et de l’Etat/Europe) et les adhérents ne sont pas prêts à cotiser plus (170€/an par apiculteur).
Par conséquent, nous avons réfléchi à un modèle économique "gagnant-gagnant" pour l’association et les apiculteurs :
nous avons mis en place un système d’achat groupé de marchandise qui permet de réduire les coûts pour les apiculteurs. Ce sont les économies d’échelle qui permettent de générer des fonds pour les membres et pour l’association.
En conclusion
Nous vous proposons cette schématisation de l’évolution que peut suivre un réseau, en tenant compte de l’augmentation au fil du temps du nombre de membres et du nombre de projets, et des besoins en animation et en ressources financières. Ce schéma est issu de nos réflexions et expériences, et ne s’appuie pas sur une analyse mathématique.
Dans notre modèle, le besoin en animation suit une courbe exponentielle avec l’augmentation des membres et des projets : le nombre d’échange entre les membres augmente plus rapidement que leur nombre.
Dans cette représentation, les trois courbes s’éloignent les unes des autres, ce qui traduit un risque que l’on peut expliquer de la manière suivante.
Lorsqu’un réseau s’étoffe, il doit faire face à des besoins humains et financiers supplémentaires.
Instable économiquement, il peut s’éloigner de ses objectifs initiaux et être tenté de répondre à des projets dans une logique de prestataire. Cette situation est susceptible de laisser moins de place à l’émergence de projets internes.
Tout au long de notre réflexion, notre fil rouge a porté sur les phases d’évolution du réseau. Nous vous invitons maintenant à mener une réflexion sur votre propre réseau à partir de cette clé de lecture :
- A quelle étape pensez-vous être ? Quelles questions vous posez-vous ?
Quelles sont vos contraintes ? Avez-vous choisi d’expérimenter une approche économique innovatrice ou alternative ?
Nos vous invitons à partager avec nous vos réponses pour enrichir ces questionnements collaboratifs !