OpenOffice.org et les mentalités

Individuellement, nous sommes nombreux à nous être heurtés à la résistance de nos proches lors de nos actions d’incitation à découvrir puis adopter quelques logiciels libres, voire même pour les plus téméraires le système d’exploitation en entier avec GNU/Linux.

Bien que la problématique soit différente, nous pouvons alors fort bien imaginer ce que cela peut donner dans un contexte professionnel.

Une situation qui devrait toutefois s’améliorer avec le temps. Le temps justement que les mentalités (mais aussi pratiques, habitudes et conditionnements) évoluent. Le temps également ici pour OpenOffice.org de nous sortir sa prochaine et très attendue nouvelle version 2.

Reprise d’un article publié par Framasoft
sous Contrat creative Commons par Huguesle 27/12/2004

Oh douce litanie !

  • Bonjour Madame, j’aimerais vous rencontrer pour vous faire la démonstration d’une suite bureautique gratuite !
  • Nous ne somme pas intéressés, nous possédons déjà Microsoft Office XP qui fonctionne parfaitement !
  • Vous voulez dire que vous souhaitez continuer de payer des licences ?
  • Euh, vous savez moi je n’y connais rien en informatique et puis, quelle garantie m’apporte un logiciel gratuit ?
  • Je ne parle pas d’une seule garantie mais de plusieurs. En premier lieu la liberté de ne pas payer de licence pour un logiciel, en second celui de ne pas être assujetti aux exigences d’un éditeur qui fait évoluer ses produits sans proposer de réelle compatibilité entre eux.
  • Notre entreprise produit de nombreux documents et je n’ai pas envie de courir le risque de perdre ceux-ci, nous ne pouvons nous résoudre à des des solutions d’amateurs !
  • Si je puis me permettre, un logiciel libre n’est pas synonyme de travail d’amateur, loin de là. Pouvez-vous au moins me donner un rendez-vous afin que je puisse vous faire une démonstration ?
  • Non franchement, nous ne sommes pas intéressés, au revoir Monsieur !

Voici en substance le genre de réponse que j’obtenais lors de mes tentatives de prise de rendez-vous chez les clients.

Le cas d’une SSLL

Je suis collaborateur dans une SSLL depuis deux ans et je suis chargé de promouvoir le logiciel libre au sein des PMI PME de Haute et Basse Normandie. Si vous concluez que je suis un pourvoyeur de services, que je prends le logiciel libre comme une opportunité visant à gagner de l’argent et qu’il est bien regrettable d’agir de la sorte, alors nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde. Le logiciel libre est parfaitement compatible avec la prestation de services et en ce qui me concerne : la formation et l’intégration.

La plupart du temps, il est hors de question de parler de Linux car la simple prononciation de ce mot fait fuir les clients. Comment leur en vouloir, ils ne sont pas tous spécialistes en informatique.

Notre stratégie est donc aujourd’hui plus basée sur des solutions alternatives qui consistent à faire cohabiter des logiciels libres avec des logiciels propriétaires. Nous installons chez nos clients des serveurs Linux et assurons la maintenance à distance. La plupart du temps, ils se contrefichent de savoir qu’un serveur Linux tourne dans leur entreprise, ce n’est pas leur souci à partir du moment où ils obtiennent pleinement satisfaction.

Le choix d’opérer dans une SSLL n’est pas anodin, je suis depuis longtemps convaincu de l’utilité et de l’efficacité des logiciels libres mais qu’en est-il de cet enthousiasme face à des interlocuteurs rompus à l’utilisation des produits Microsoft et qui froncent les sourcils à la simple évocation du mot gratuité ? Vous aurez beau vous parer du plus bel argumentaire, avancer les exemples issus des travaux de Frédéric Labbé, énoncer les recommandations de quelques ministères [1], brandir des témoignages ... En vain. Tout ce blabla pleinement fondé s’effondre devant un scepticisme quasi général.

La technique du phoning, de la prise directe de rendez-vous étant peu concluante, nous avons opté pour une stratégie complètement différente. Nous organisons des réunions informelles auxquelles nous convions des chefs d’entreprise, des DSI [2], des décideurs et même des élus locaux. Au cours de ces réunions, nous procédons à des démonstrations, nous faisons intervenir des clients utilisant des logiciels libres histoire de faire bénéficier tout le monde de leur retour d’expérience.

OpenOffice.org et l’entreprise

La question avait déjà été partiellement abordée chez Framasoft : le logiciel libre est-il une alternative pouvant s’imbriquer dans notre système économique actuel ? A ce titre, vous pouvez lire l’article de Loïc D’Anterroches qui a donné lieu à quelques réactions intéressantes. Cet l’article visait cependant les entreprises éditrices de logiciels. Ma question est plutôt d’ordre général, et concerne tout type d’entreprise. Si l’on se penche sur les statistiques, nous obtenons déjà quelques éléments de réponse : les serveurs Apache, les bases de données MySQL et PostgreSQL, les CMS sont déjà fortement implantés dans des secteurs étrangers à l’informatique. Mais ces exemples ne font référence qu’à des logiciels pointus, intégrés la plupart du temps par des sociétés spécialisées. Qu’en est-il des logiciels libres destinés aux non informaticiens, ces applications que nous rencontrons au détour des rubriques de Framasoft ? C’est la raison pour laquelle je me suis surtout penché sur le cas d’OpenOffice.org.

OpenOffice.org et l’institution

Si nous ne possédons pas de chiffres fiables quant à l’implantation d’OpenOffice.org dans les entreprises françaises, nous avons en revanche quelques témoignages émanant d’institutions publiques. Cela étant, nous pouvons nous demander si sa présence ne reste pas quelque peu marginale [3].

Je me souviens d’une conversation avec quelqu’un travaillant au Ministère du Budget. Je savais que ce ministère utilisait OpenOffice.org et je lui avais demandé s’il était satisfait de cette suite bureautique. Sa réponse ne fut pas celle que j’escomptais. Au lieu d’entendre quelques propos dithyrambiques il m’a simplement avoué que la plupart des employés du ministère rechignait à l’utiliser du fait de son ergonomie peu engageante [4] et que la présence d’OpenOffice.org était surtout le résultat de la volonté de quelques contractuels convaincus de l’utilité des logiciels libres. Bien entendu il faudrait approfondir car ce seul témoignage ne saurait fixer une bonne fois pour toute la réalité des choses.

Pour contrebalancer ce bilan, j’ai personnellement pris contact avec le Directeur Adjoint du centre hospitalier Avranches-Granville [5] qui a tenu un discours autrement plus positif. Grâce à un encadrement et un plan de migration rondement menés, cet hôpital a peu à peu laissé tomber Microsoft Office pour se tourner vers OpenOffice.org. Les utilisateurs sont pleinement satisfaits et les quelques licences propriétaires restantes ne seront probablement pas renouvelées [6].

Voilà donc une première leçon à retenir : la diffusion d’un logiciel libre ne fonctionne pas à l’enthousiasme mais doit s’accompagner d’un encadrement et d’une formation visant à gommer les insatisfactions. On ne saurait pratiquer la politique de la migration imposée sans concertation qui se solderait certainement par une réaction hostile de la part des utilisateurs.

Pragmatisme ou pessimisme ?

Le but de cet article était surtout de faire bénéficier les lecteurs de mon expérience, de démontrer que le tout libre a ses chances mais qu’il n’est pas possible de l’envisager de façon brutale et qu’un minimum de concertation et de pédagogie sont nécessaires.
En attendant, notre chère suite bureautique peine à se développer dans les entreprises françaises qui n’osent franchir le pas et encore, nous ne parlons pas encore de Linux.

Microsoft aurait-il encore de beaux jours devant lui ?

Dans une optique de migration de MS Office à OpenOffice.org, signalons deux livres qui peuvent accompagner l’utilisateur vers la réussite de l’entreprise :

* OpenOffice.org 1.1 efficace (Eyrolles)
* Passer à OpenOffice (O’Reilly)

Il y a également de plu en plus de sociétés qui se spécialisent dans la formation à cette suite bureautique, telle Indesko par exemple et pour n’en citer qu’une.

Sans oublier notre rubrique de tutoriels dédiés.

[1recommandation publiée par l’Agence pour le Développement de l’Administration Electronique (ADAE), plusieurs institutions et ministères utilisent désormais OpenOffice.org comme le Ministère des Finances, des centres hospitaliers, des entreprises comme Chronopost, des lycées, des collèges, des IUFM ...

[2Directeur des Services Informatiques

[3La question mérite d’être posée car je pensais il y a quelques mois que la diffusion d’OpenOffice.org n’était pas discutable au sein des administrations, je suis ouvert aux réactions des personnes concernées

[4J’ai lu dans un article que certains parlaient du look ex RDA d’OpenOffice

[5Une fois de plus, les travaux de Frédéric Labbé - op. cit. - m’ont été d’un grand secours

[6Il a énoncé une centaine de milliers d’euros d’économie, cela a pu permettre d’investir dans du matériel informatique neuf

Posté le 29 décembre 2004

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