Creative Commons Italie ! : Compte-rendu lancement officiel - Turin - 16/12/2004

16 décembre 2004 d’après un mél de Dominique Godon

Le projet Creative Commons, né en 2001 aux Etats-Unis, offre des
instruments juridiques libres et simples d’utilisation permettant aux
auteurs de diffuser des contenus créatifs de manière flexible, tout en
respectant le droit d’auteur. Le slogan « Some Rights Reserved », « 
Quelques Droits Réservés » fait apparaître le nécessaire équilibre entre
la protection de la création et l’accès à celle-ci par le plus grand nombre.
A la fin 2003, le Département des Sciences Juridiques de l’Université de
Turin et le Conseil National de la Recherche devenaient des institutions
affiliées au projet d’internationalisation iCommons, chargées de
traduire et d’adapter au droit italien les licences Creative Commons.
Après un an d’activité, le moment était venu de faire le point de la
situation en présentant le résultat du travail effectué. La tâche est
loin d’être terminée, et seule aujourd’hui la licence CCPL est
disponible en version italienne.

Présenation officielle à Turin

C’est dans une salle de conférence de la Fondation Giovanni Agnelli
qu’était organisée la présentation, sous le haut patronnage de la
Municipalité de Turin. Avec 150 pré-inscriptions sur le site du CNR, et
une vingtaine d’intervenants, dont le professeur Lessig, l’après-midi
promettait d’être chargée. Le professeur marco Ricolfi, du Département
des Sciences Juridiques de l’Université de Turin, et leader du projet
iCommons en Italie, assurait avec brio la direction de la conférence.

Après les présentations d’usage, Le professeur Ricolfi donna un aperçu
vraiment précis et exhaustif des enjeux et de la nécessité de développer
des alternatives aux modes de diffusion des biens culturels et de la
connaissance en général. Ce devait être ensuite au tour de Lawrence
Lessig de présenter Creative Commons. Son retard, annoncé par le prof.
Ricolfi, bouleversa quelque peu le programme. Juan-Carlos de Martin, du
CNR, présenta donc les aspects techniques de Creative Commons,
particulièrement les méta-données, ces informations pouvant être
intégrées simplement aux fichiers de tous types (audio, vidéo, etc.) il
présenta également le projet OMS, pour Open Media Streaming, un ensemble
de logiciels serveur et clients, devant permettre de diffuser des
contenus multimédias, tout en étant capable de lire et de « comprendre »
les méta-données comprises dans les fichiers diffusés.
La Free Software Foundation était bien représentée parmi les
intervenants.

La présentation de son porte-parole, Alessandro Rubini,
fut un modèle de clarté, quand aux buts poursuivis par la FSF et la
nécessité de développer les logiciels libres dans le monde, et
d’orthodoxie, quand au fait, notamment, que la plupart des licences
Creative Commons ne respectent pas la définition du mot « libre » de la
FSF, dans le sens des quatre libertés que la licence GNU/GPL assure aux
utilisateurs : la liberté d’utiliser, pour n’importe quel usage, la
liberté de modifier et d’adapter, la liberté de redistribuer des copies,
gratuitement ou contre rémunération, et enfin la liberté de distribuer
des versions modifiées, afin que tout le monde en profite.

Concernant
les licences Creative Commons, en effet, les libertés des utilisateurs
peuvent être restreintes de diverses manières par les auteurs. Mais il
faut aussi rappeler que les logiciels, bien que considérés comme des
oeuvres de l’esprit, ne sont pas, et ne peuvent pas être exactement
équivalents à des oeuvres artistiques. A plusieurs reprises dans
l’après-midi, des critiques, parfois relativement virulentes, furent
exprimées à l’encontre de ces clauses restrictives propres à Creative
Commons. Quoi qu’il en soit, ces sempiternelles prises de position
idéologiques ne font que rendre le discours un peu plus hermétique au « 
grand public », pas forcément constitué de spécialistes en la matière.
On entrait là de plain-pied dans une philosophie politique de la libre
circulation des connaissances, seul et unique contre-pouvoir, selon un
jeune député européen vert par exemple, et seule alternative valable à
l’économie ultra-libérale prônée et pratiquée par la majorité des pays
occidentaux.

Il faut songer que l’Italie de Berlusconi est assez
inquiète de voir ressurgir les démons du passé, et par voie de
conséquence, les moyens alternatifs de diffusion de la culture et de la
connaissance revêtent une importance et une urgence que nous ne
connaissons pas en France de manière si immédiate. Espérons que ce ne
soit jamais le cas.

Lawrence lessig arriva en fin d’après-midi et prit la parole après une
courte introduction et présentation du professeur Ricolfi. Le discours
de L.Lessig, d’une trentaine de minute environ, fut en grande partie
basé sur des analogies présentées sous forme de métaphores.

En commençant par les fermiers américains, contraints d’acheter des sacs
de semence de maïs brevetée par des multinationales, l’accent était mis
d’emblée sur l’actualité autour de la brevetabilité du vivant. Pourtant,
l’argument avancé était plus axé sur la rupture que provoquent ces
brevets dans la tradition fermière (semences sélectionnées, et non
brevetées) que sur les dangers potentiels que peuvent receler la
production et surtout, la consommation de tels produits, la plupart du
temps génétiquement modifiés, ou, si ce n’est le cas, gavés de
pesticides de synthèse. Logiquement, c’est exactement le même processus
qui était ensuite montré comme responsable de la tentative de main-mise
propriétaire et industrielle que subissent la culture et la connaissance
partout sur la planète, tentative sous-tendue, bien évidemment, par des
horizons de profits incommensurables. Le professeur exposa ensuite la
génèse, en quelque sorte, du projet Creative Commons, ainsi que la
manière dont les travaux de Richard Stallman dans le domaine du
logiciel, avec la licence GNU/GPL, avait pu l’inspirer. Il affirmait
ainsi sans équivoque sa volonté de copier, emprunter ou voler toute idée
ou moyen qui pourrait faire progresser la libre circulation des
connaissances.

Le professeur Lessig apparaît comme un citoyen américain dénoncant la
culture américaine et son expansion dans le monde, ce qui pourrait le
faire passer pour un élément hautement subversif, au moins pour les
autorités de son pays, ainsi que de bon nombre de ses concitoyens. Il
n’en est pourtant rien, puisque le « Bien Commun » qu’il défend et dont
il encourage la sauvegarde à tout prix, est bien l’une des idées
majeures qui, entre autres, et sous la plume de Thomas Jefferson, l’un
des Pères de la démocratie américaine, sous-tendait et fondait celle-ci.
En Europe, Victor Hugo affirmait que « si l’un des deux droits, le droit
de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce
serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre
préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous.
 » (Congrès National de Littérature, 17/06/1878) Plus près de nous, le
droit français semble aussi considérer que la possession, et donc la
consultation, de grandes quantités d’oeuvres reproduites chez soi, dès
lors qu’il n’en est pas fait commerce ou diffusion excessivement large,
n’est pas répréhensible et entre dans le cadre de la copie privée.

Lors de sa dernière intervention, le professeur Lessig se posait en père
du projet Creative Commons, ce dont personne ne doutait, même sans cette
précision, pourtant exprimée avec une surprenante insistance.

Le professeur Ricolfi concluait alors la conférence en rappelant l’étape
à venir pour le projet Creative Commons en Italie et ailleurs, « 
building community », la communauté Creative Commons. En effet, pour le
futur, tant Lawrence Lessig que le professeur Ricolfi définissent
troisacteurs principaux dans le développement du projet : en premier
lieu, Creative Commons Inc., à la Stanford University, en second lieu,
les institutions affiliées Commons dans les divers pays, et enfin, les
SPRD, Sociétés de Perception et de Répartition des Droits, telles que la
Sacem en France, la Sabam en Belgique ou la SIAE en Italie. La nature du
rôle que pourraient jouer ces sociétés dans le développement de Creative
Commons et des autres moyens de diffusion « libre » n’est pas clairement
définie.

Grands absents de ce vaste projet, les artistes et les
créateurs eux-mêmes, pourtant parmi les premiers intéressés, et si peu
mentionnés, même si le chanteur du groupe de rock libre français GODON a
pu présenter le travail du groupe, notamment au niveau de la diffusion.

L’apéritif et la « fête » qui suivait la présentation avait lieu dans
une boîte au bord du Po, l’Imbarco Perosino. Au menu, techno française
et nouvelle cuisine. Impossible de se parler, impossible de s’entendre.
Dommage que l’aspect artistique ait été mis de côté, le lancement et la
popularité de Creative Commons n’en aurait été que plus complets.

LIENS

— le site du groupe Godonhttp://www.godon.org]

— 
Dominique Godon
dominique@godon.org

— 
La route est longue mais la voie est libre.

Posté le 21 décembre 2004

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