Sur les luttes de Mélisandre passent souvent des libellules

Au milieu des militants au verbe haut, au poil blanchi et au cuir tanné par des années de militantisme, du Larzac à Notre-Dame-des-Landes en passant par Plogoff, Mélisandre Salomon, la trentenaire de la pointe de la Bretagne, pourrait paraître fragile et frêle. Détrompez-vous, ses combats pour la biodiversité et pour le respect de la vie, sous toutes ses formes, qui la mènent partout où ça chauffe à travers le pays, sont là pour le prouver, Mélisandre ne lâche rien, avec le sourire en plus...

Portrait en ligne sur le site : http://www.histoiresordinaires.fr

Un portrait réalisé dans la séries des portraits de la médiation et de la coopération en partenarit avec Histoires Ordinaires


Mélisandre Salomon, au beau prénom du Moyen-Âge, a un look d’adolescente d’aujourd’hui, badges, col roulé, grandes boucles d’oreilles. Son nom, lui, renvoie au roi d’Israël le plus sage et juste de l’Ancien Testament. Elle s’assoit timidement pour répondre aux questions, étonnée qu’on s’intéresse à elle. Pourtant, aujourd’hui, quand on parle de lutte antinucléaire, d’OGM, de transition écologique, Mélisandre est de tous les réseaux, de tous les collectifs dans tout le pays de Brest.

L’engagement dans les réseaux militants

Le moment-clé de son engament : 2006. Elle a alors 30 ans, elle est particulièrement choquée par le discours du président Chirac de à L’Ile Longue, base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), dans la rade de Brest, qui justifie le recours à l’arme nucléaire en déclarant qu’elle doit permettre d’infliger des « dommages absolument inacceptables » à l’adversaire, quel qu’il soit, en cas d’atteinte aux « intérêts vitaux » de la nation. Elle devient alors de plus en plus active au groupe local de Greenpeace.

Dans cette vie de militante qui s’intensifie, elle rencontre beaucoup de monde. L’activisme lui plaît car c’est l’occasion, dit-elle, de mettre en lumière « le cœur des difficultés, le cœur des problèmes ». Elle s’investit ensuite à l’association écologiste AE2D puis aux faucheurs OGM. Chez les faucheurs, elle découvre un grand sens humain, une proximité avec la terre, une démocratie très transversale mais très forte et très vivante. Pour elle, s’accaparer le vivant c’est synonyme d’aliénation des peuples. Et ça la révolte profondément.

« Payer de sa personne »

Elle manifeste à Quimper avec José Bové, elle va à Millau, Colmar, Paris, Carcassonne, Nantes. Elle y fait des rencontres étonnantes notamment avec Lucien Gorvan, personnalité hors du commun.

« Chez les faucheurs, on discute beaucoup, on n’est pas toujours d’accord, il y a quelquefois des coups de gueule, mais on arrive à des consensus ou alors on vote. Les femmes sont bien présentes. On y développe le respect de l’autre, le partage, la non-violence et on a affaire à des gens qui s’engagent véritablement. Parfois il faut payer de sa personne, monter des silos de 70 mètres de haut, ce qui n’est pas rien. »

Sur le plan international, la question Israélo/Palestinienne la touche profondément. Elle veut aller en Israël, mais elle est bloquée à l’aéroport de Paris, comme plein d’autres militants. La religion, avec ses dérives de violence, de pouvoir, elle n’arrive pas à comprendre. Pour elle, la religion doit rester une quête spirituelle, personnelle.


Faire avec les autres

Elle aime travailler en groupe, elle aime faire avec les gens, mais déteste les conflits. D’un naturel calme et discret, longtemps elle n’a pas osé intervenir en réunion, désormais elle le fait. Son manque de confiance, elle a su le dépasser.

Mélisandre est une optimiste malgré tout, elle dit qu’on peut trouver en nous les ressources nécessaires, chacun à son niveau doit changer. Dans la droite ligne du mouvement des Colibris (1), elle nous engage à « être ce qu’on est », et ajoute que « la planète peut nous donner ce qu’on a besoin ».

Pierre Rabhi l’impressionne, ses mots de « simplicité volontaire » et de « sobriété heureuse » lui conviennent. Elle cherche, elle se renseigne, elle est curieuse, s’intéresse à la méditation, elle veut aller plus loin encore dans le chant engagé, sans tomber dans le professionnalisme, elle « veut sortir du rapport à l’argent ».

Clown, un moyen d’action

Il y a, toujours présente, la passion pour la musique, le chant qu’elle continue à développer. Elle rencontre des théâtreux engagés, les clowns de la BAC ( brigade activiste des clowns). Une autre façon de protester, « on n’insulte pas, on ne jette pas les pierres, on joue sur la seule dérision », dans le droit fil de l’héritage de Jean Kergrist, qui lui convient bien.

Dans le même registre, on la retrouve, récemment, aux côtés de Dédé l’abeillaud, l’éphémère candidat de la biodiversité, dans sa campagne pour l’Élection présidentielle. Comment expliquer cet engagement tout azimut pour la nature ? Il suffit pour cela de remonter à son enfance et à son adolescence.

L’enfant et la libellule

Durant toute son enfance, la petite Mélisandre a été intéressée par les plantes, les insectes surtout les libellules. Elle se voulait vétérinaire ou entomologiste. Elle se souvient émue de son grand-père très proche de la nature qui lui a donné ce « virus » dont on ne guérit pas. Ce papy « écolo d’instinct », «  Géo trouvetou », l’a initiée au recyclage des objets du quotidien, à faire, par exemple, avec trois morceaux de « je ne sais quoi » une douche solaire.

Elle est partie à cinq ans dans le Tarn vivre avec ses parents, cinq années pleines de découverte. Sa mère, avec qui elle passait le plus clair de son temps, a également cultivé et entretenu cet amour pour la nature. Ce fut sans aucun doute le plus beau moment de sa vie d’enfant. Elle a appris à vivre, là-bas, un peu en autarcie, une vie communautaire, en pleine campagne, la rivière fut alors son terrain de jeu préféré.

Sur fond de divorce de ses parents, le retour à Concarneau est difficile. Elle entre en formation au lycée agricole à Suscinio où elle alterne des stages avec des cours d’agronomie, de biologie, et passe son baccalauréat à Morlaix. Elle voudrait continuer ses études par un BTS gestion et protection de la nature, mais ses parents ne peuvent pas l’aider.

Elle s’inscrit à la fac de géographie à Quimper durant un an, et devient maître d’internat. Après ses études, elle travaille durant un an à la maison du littoral à Trégunc qui accueille une exposition permanente sur la faune et la flore et les activités humaines sur le site.

La musique pour transmettre un message

Parallèlement, la passion de la musique s’empare d’elle, son grand-père et son père lui ont montré la voie. Elle écrit de nombreux textes, toujours sur la nature. En 1987, elle tombe sous le charme du groupe Midnight Oil, groupe australien, célèbre notamment pour ses engagements écologiques (contre le nucléaire principalement).

Comme elle chante bien, elle intègre un groupe de musiciens brestois qui joue dans le genre « musiques du monde », elle y fréquente des milieux un peu interlopes de la nuit, elle se cherche...

Les personnes âgées pour aller à l’essentiel

Après quelques années elle trouve un emploi dans les espaces verts, à l’EHPAD de Kérampéré. Remarquée pour son « feeling » auprès des personnes âgées, elle est invitée à rejoindre l’équipe soignante.

De ces années de travail, elle en tire deux enseignements : toute personne est importante à ses yeux quelque soit le handicap, quelle que soit sa maladie ; les personnes âgées, les personnes en fin de vie, sont sans tabous et vivent dans l’émotion du moment, sans masques. « Souvent elles se dévalorisent et se sentent inutiles. Pour qu’elles puissent se sentir vivantes, il suffirait qu’elles puissent transmettre leur vécu. Ce sont des livres ouverts ».

La réflexion qui lui vient en premier à l’esprit c’est qu’« il faut profiter des instants présents, faire ce qu’on en a envie. » Des problèmes de santé au dos, au poignet, l’obligent à changer complètement d’orientation. Après douze années de travail, elle quitte l’EHPAD de Kérampéré, aujourd’hui, elle est en recherche d’emploi... mais son emploi du temps est bien chargé.


Militante « for ever »

Son avenir, il sera militant. Son combat pour la vie et la nature n’est pas terminé, loin de là. Elle se verrait bien vivre (modestement) de ses interventions « gesticulées » ou « artistiques », comme elle vient de le faire récemment à Lyon où elle a mené une l’animation de rue « anti OGM ». Mais elle n’oubliera pas de prendre le temps de vivre, tout simplement, de faire un enfant avec l’homme qu’elle aura choisi.

Christian Bucher

(1) la mission de Colibris : inspirer, relier, soutenir, ceux qui souhaitent participer à une transformation écologique et humaine de la société. Colibris développe une méthode afin d’accompagner des collectifs humains dans la reprise en main de leur destinée sur leur territoire.

Posté le 3 juillet 2012 par Christian Bucher

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