Portraits de la médiation numérique

Fabien Perucca, ZINC (Marseille, 13)

Artisan numérique

« Essayer d’innover tout le temps. Ne pas se contenter de reproduire des projets. C’est pour ça que j’adore travailler avec des artistes. On dit que les artistes sont les radars du monde, ça me permet d’être bousculé et à mon tour de bousculer ma façon de travailler ».

Lorsque l’on demande à Fabien de définir ses fonctions, il se qualifie lui-même volontiers d’« artisan multimédia ». Il faut dire que Fabien n’a jamais eu de véritable plan de carrière. Il se laisse le plus souvent guider au gré des opportunités et de ses envies, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne prend pas de décision. Lorsqu’ Emmanuel Vergès – le directeur de ZINC à la Friche de la Belle de Mai à Marseille – lui propose en 2010 d’occuper le poste de chargé de développement numérique au sein de la structure, il l’accepte comme la suite logique de ses activités. « C’était l’occasion. J’étais à ZINC depuis 2007 dans un cadre qui était orienté animation, tout en développant déjà des projets en relation avec des partenaires. Et ce poste de CDN est arrivé un peu comme ça, je n’en avais pas vraiment entendu parler avant ». Et d’ajouter, après un léger silence, « j’étais peut-être CDN avant de l’être officiellement ». Fabien ne croit pas si bien dire, car, chargé de développement numérique, il l’est en effet presque viscéralement. S’il n’en avait pas jusque-là formellement le statut, il en a en réalité toujours eu l’esprit, en ce sens qu’il est un adepte de l’innovation sociale, et pas seulement depuis qu’il est à ZINC. Tout, en effet, dans son parcours et ses expériences de vie, témoigne d’une volonté permanente d’apporter des solutions nouvelles et créatives à des besoins qu’il ressent ou des problématiques qu’il rencontre.

Déjà, lorsque dans sa jeunesse il fréquente le club informatique de la bibliothèque d’Aubagne, Fabien reste sur sa faim. « J’étais frustré de ne pas pouvoir aller plus loin dans la création ». Il entreprendra alors plus tard des études universitaires à Nice qui déboucheront sur l’obtention d’une Licence Arts – Communication - Langage et qui lui permettra, comme il le dit, « d’ouvrir les yeux sur l’art ». Il passe ensuite une année à Paris pour parfaire sa formation aux Gobelins, l’école de l’image. Son diplôme de réalisateur multimédia en poche, il est recruté dans la foulée par l’entreprise Pernod-Ricard en tant que Webdesigner. « Création de sites, Intranet, petits films : une application brute de décoffrage de ce que j’avais appris. Un travail assez répétitif, peu passionnant. En fait, ça ne m’intéressait pas que mon travail soit validé par une personne, puis une autre, jusqu’à qu’on me demande de refaire. Et puis j’étais en recherche d’autre chose, je manquais de contact, de relations humaines ».

Dès lors, décision est prise de revenir dans sa région d’origine et d’y créer, « un peu à l’aveuglette », une association de création multimédia pour, précise-t-il, « développer les pratiques chez les plus jeunes ». Dans un contexte général où l’émergence d’une société française dite « de l’information » est affichée comme une priorité dans les discours politiques, Fabien n’est certes pas le seul à avoir senti le vent favorable qui souffle dorénavant sur toutes structures associatives désireuses de « lutter contre la fracture numérique ». Mais lorsqu’il se lance en 2003, c’est sans véritablement connaître le secteur de l’accès public à Internet, alors en pleine structuration, et avec pour seule aspiration celle de suivre ses envies. « J’ai proposé des choses qui me ressemblaient : de la création de films pour les enfants de 8-10 ans, des concours de tablettes graphiques, des approches ludiques qui permettaient de faire d’autres usages que le simple jeu vidéo ou la rédaction de courrier. L’idée, c’était de montrer qu’un ordinateur, ce n’est pas juste une machine à écrire évoluée, ni une télé, et qu’on peut faire des choses plus créatives ». Ce n’est jamais évident de se lancer seul, de convaincre les financeurs, d’attirer du public, mais Fabien y est parvenu, et avec succès. Pendant quatre années, à Aubagne, il se forme à l’animation multimédia et apprend à connaître, comme il le dit, « toutes les facettes du métier » (montage de projet, recherche de subventions, animation d’ateliers). Il découvre également peu à peu le réseau régional des espaces publics numériques, dont ZINC à Marseille qui en constitue une sorte de tête de pont et qui finira par faire appel à lui en 2007.

Initialement recruté en tant qu’animateur, Fabien devient rapidement force de propositions et ne cesse depuis de faire évoluer ses missions. C’est d’ailleurs de cette manière qu’il conçoit sa fonction. Si, à ses débuts, il effectue quelques initiations à Internet et à l’informatique, il bascule rapidement dans l’animation d’ateliers collectifs et l’accompagnement de projets individuels. « C’est par exemple l’amateur de vidéo qui veut aller plus loin, le photographe qui voudrait développer une galerie en ligne. Ce sont généralement des personnes qui ont déjà une pratique numérique de base et qui viennent chercher de nouvelles connaissances ». Il faut dire aussi que depuis 2006 la structure ZINC a elle-même entamé une évolution, délaissant progressivement les activités qui touchent au « libre accès » (consultation du Web, bureautique, recherche d’emplois, etc.) pour mieux se concentrer sur le développement de workshops multimédia qui associent artistes et publics dans une « logique de projet ». À cette fin, Fabien a appris à organiser son temps de travail et celui de ses collègues, à créer les dynamiques collaboratives qui permettent d’avancer collectivement tout en s’adaptant individuellement. « En cinq ans, j’ai beaucoup changé ma façon de travailler. Avant, j’étais seul et responsable de tout. J’ai appris à déléguer, à m’appuyer sur les compétences des autres, à anticiper également ». C’est donc sans difficulté que Fabien s’est glissé dans ses nouveaux habits de CDN, même s’il ne rechigne pas à l’occasion à revêtir ceux de l’animateur, comme cela est souvent le cas lorsqu’il conduit des projets de coopération artistique en milieu scolaire à Alexandrie, au Caire ou à Beyrouth.

Aujourd’hui, Fabien ressent le besoin de « de passer à autre chose ». Depuis peu, il a entamé une formation de formateur à Montpellier (avec le soutien de l’AFDAS) pour, dit-il, « faire le point sur ce dont j’ai envie ». Il n’envisage donc pas cette démarche comme une validation d’acquis d’expériences, mais bien plutôt comme « une façon de faire des choix ». Comme il le dit, « Je ne serai peut-être pas CDN pendant 10 ans. Je ne serai sans doute plus dans ce milieu dans 10 ans. Pourquoi ne pas créer une petite entreprise de création internet par exemple ? ».


Le profil de Fabien

Portrait réalisé dans le cadre l’Observatoire des TIC en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (OBTIC) et du programme Espace Régional Internet Citoyen en partenariat avec l’association ARSENIC, le Laboratoire de Sciences Sociales Appliques (LaSSA) et ITEMS International (AMO OBTIC).

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Posté le 2 juillet 2012 par Natacha Crimier

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