Portraits de la médiation numérique

Tania Cognee, Le Hublot (Nice, 06)

Fée Clochette

« Tu peux rester à faire ton projet tout seul, pourquoi pas ? Mais moi c’est le public qui donne du sens à tout ce que je fais, qui me permet de faire ce que je fais et qui m’apporte ma motivation »

Tania possède la motivation de ceux qui entrent par la fenêtre lorsque vous les faites sortir par la porte. Elle ne lâche rien. Et contrairement à ce qu’elle prétend, ce n’est certainement pas le fruit du hasard si elle est actuellement chargée de développement numérique au Hublot, à Nice (06). Après des études « poussives », comme elle le dit, elle obtient une maîtrise en sciences de l’information et de la communication qui lui permet de se voir offrir un poste rémunérateur dans une prestigieuse agence de publicité. Mais c’est dans une toute autre voie que Tania entend s’engager : « j’ai choisi de travailler dans le milieu associatif, car le milieu privé ne me convenait pas. Moi, je donne de toute ma personne à partir du moment où ça a un sens, pas pour engraisser le patron. Après ce sont des choix, je savais déjà que je n’allais pas casser des briques au niveau salaire. Je préfère m’éclater dans mon travail, plutôt que déprimer et gagner plus d’argent, je ne fais pas partie non plus de ceux qui consomment à tout va. Je suis plutôt « miss recycle ». ». Et de fait, c’est en bénévole, puis dans le cadre d’un contrat emploi-jeune, que Tania fait ses premières armes dans le monde de la culture, en œuvrant durant près de cinq ans à la publication d’un journal satirique et l’organisation d’évènementiels dans des lieux de proximité pour mixer les publics et créer du lien social dans les quartier Est de Nice. Elle participe activement à l’aventure des Diables Bleus, unique friche culturelle qui a existé à Nice, et qui a permis de renforcer les liens entre des énergies de disciplines artistiques différentes à Nice.

Aussi, quand l’association DIVA ouvre un espace multimédia Le Hublot en 2004 sur St Roch au sein des entrepôts Spada suite à la fermeture des Diables Bleus, son directeur - Frédéric Alemany – fait appel à elle pour inaugurer et développer le projet. « Au début, c’étaient des missions courtes. Fred m’appelait au fur et à mesure à travers des petits CDD, quand il avait une enveloppe ». Pour autant, Tania ne compte pas ses heures. Elle réalise en autodidacte un portail Web, afin de concevoir un outil de référencement en ligne des acteurs culturels et artistiques de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Puis, de « conceptrice », elle devient par la force des choses « animatrice », toujours en auto-formation. « J’ai appris beaucoup toute seule. Personne ici ne m’a dit comment ça marche. Il n’y avait pas de méthode, j’ai tâtonné. Rien que pour l’allumage des ordinateurs par les publics, il a fallu que je teste avec eux pour valider. En plus, les personnes que je forme me demandent des choses. Du coup, je dois chercher sur Internet, je me suis formée en ligne et grâce à des personnes qui étaient présentes à
ce moment et m’ont montré les clés, je les ai prises ». Pour valider cette expérience, Tania entreprend une formation à distance dans le domaine des TIC auprès de l’AFPA à Cannes. Mais au travers de ses nouvelles compétences numériques, c’est surtout une « vocation », selon ses propres termes, qui se révèle à elle. Dans l’animation, précise Tania, il faut savoir « transmettre » et faire preuve de « générosité ». Il faut également apprendre à « s’adapter aux publics ».

Il faut dire que l’enjeu est à la mesure des défis auxquels les quartiers Est de Nice sont confrontés, et avec lesquels - de par sa situation géographique - le Hublot a partie liée. « Nous, on a des publics qui sont des publics éloignés des TIC et de la culture. C’était intéressant de travailler avec ces publics qui sont essentiellement des demandeurs d’emploi et des personnes en insertion. Du coup, j’ai commencé à faire des ateliers pour désacraliser l’outil pour ces personnes-là, afin qu’elles soient autonomes sur le Web, sur le mail et par rapport à l’emploi ». Comme l’indique le nom de la structure qui héberge le Hublot, Tania s’efforce inlassablement de « construire des ponts », d’abord pour offrir à son public un accès aux outils numériques, ensuite pour créer une médiation vers le lieu de création lui-même, avec la conviction que les rencontres avec les artistes qui y sont en résidence feront jaillir l’étincelle. « Quand tu mets un ERIC tout seul, c’est pauvre. C’est bien le trafic de personnes différentes qui fait la richesse et l’intérêt. (…) Il y a des gens qui sont étonnés par la méthode du Hublot, ils ne pensaient pas que ça existait. Et bien maintenant ils respectent, ils respectent vraiment ! » Et quand les publics adhèrent, participent à un événement, découvrent un lieu et qu’ils se mélangent aux artistes, Tania se dit que sa motivation et ses engagements font sens.

C’est d’autant plus vrai lorsque Pôle emploi oriente ces mêmes publics, faute de savoir ou de pouvoir leur proposer autre chose, vers l’action de formation aux TIC que propose le Hublot, financée par la Politique de la Ville. « Parfois on n’a l’impression de faire le
travail des institutions qui elles sont payées pour le faire ». C’est pourquoi, Tania essaie de réaliser l’objectif de rendre autonome les publics face à une recherche sur internet et sur la communication par email lié à l’emploi mais pas seulement. « J’essaie de trouver
l’intérêt du public à utiliser l’outil ». Elle essaie de montrer la ressource qu’est Internet, qui n’est pas seulement un moyen de trouver une offre d’emploi et d’y répondre.

Heureusement la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour sa part, perpétue son soutien notamment à travers des appels à projet sans lequel – Tania en est certaine – « l’ERIC aurait fermé ».

En 2007, elle en vient donc à occuper « le premier poste en CDI de l’association DIVA », qui apporte avec lui son lot de nouvelles charges et responsabilités. Pour y faire face, il faut savoir jongler. Alors Tania jongle. « Je suis responsable de l’ERIC, au-dessus de moi il y a Fred. J’ai la mission d’encadrer et de recruter l’animateur. Je fais tout quoi, je fais de l’animation, de l’initiation, je monte des projets, je fais des demandes de subventions, j’accompagne des porteurs de projets, je fais de la maintenance informatique. J’ai la chance d’avoir un métier très riche qui change tout le temps, on ne s’endort jamais ». Bien sûr elle préférerait une organisation du travail plus simple, moins contraignante. Mais de cela aussi, elle tire une force : toujours la même capacité à « faire des ponts », en inaugurant de nouveaux partenariats comme avec les associations REFLETS et ARBRE, tout en s’ouvrant à de nouvelles méthodes de travail et à d’autres horizons.


Le profil de Tania

Portrait réalisé dans le cadre l’Observatoire des TIC en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (OBTIC) et du programme Espace Régional Internet Citoyen en partenariat avec l’association ARSENIC, le Laboratoire de Sciences Sociales Appliquées (LaSSA) et ITEMS International (AMO OBTIC).

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Posté le 2 juillet 2012 par Natacha Crimier

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