Lorsque l’on demande à Martine comment elle qualifie son métier, elle écarte d’emblée le volet « technique » pour mieux en pointer la dimension « humaine ». De fait, dans le quartier populaire de la Cabucelle au sein du 15ème arrondissement de Marseille - « l’un des quartiers les plus en difficulté », précise-t-elle - où est implanté son Espace Régional Internet Citoyen (ERIC) Arborescence, Martine a vite compris que la « lutte contre l’illectronisme » ne pouvait se payer de mots, mais devait s’inscrire avant toute chose dans une véritable économie de la parole. Comme elle le dit, « parler ici, c’est d’abord parler français. Trouver les mots au lieu de se bagarrer, surtout pour les enfants. Pour les adultes, ça va être d’extérioriser, bien que ce ne soit pas tout à fait de notre ressort, c’est une nécessité ne serait-ce que pour vivre ensemble ». On comprend alors que pour Martine les technologies de la communication, ce sont d’abord et surtout celles qui libèrent le langage, qui favorisent l’expression, bref, qui font dire les maux.
Pour ce faire, elle s’efforce de préserver – non sans difficultés ! – un climat « convivial » au sein de son ERIC, de façon à ce que l’accès aux ordinateurs puisse se réaliser dans un contexte qui favorise les discussions amicales et l’entraide entre adultes, autour notamment des démarches administratives ou des recherches d’emploi sur Internet. « Je vois que les personnes que l’on reçoit, elles sont souvent au chômage. Elles n’ont pas encore fait le pas d’utiliser l’ordinateur et surtout Internet, elles sont un peu angoissées. Donc là, d’abord, on gère l’angoisse de ceux qui se disent "j’ai raté le coche mais il faut absolument que je m’y mette parce que c’est nécessaire" ». Elle s’emploie également à dédramatiser la pratique de la lecture, sans laquelle il n’y a pas de manipulations informatiques possible, en mettant par exemple le « côté ludique » en avant. Pour les plus jeunes, c’est une toute autre histoire, car il s’agit au contraire de tempérer ce type d’usage. « Parce que l’ordinateur, pour eux, c’est souvent plus le jeu. Donc on les incite à être créatifs. On a créé un système de points. On leur propose de dessiner sur un papier, de le scanner et de le compléter sur ordinateurs. Ça fait une petite création que l’on peut conforter ensuite avec d’autres recherches sur Internet ». C’est alors qu’il faut faire accepter la place de l’adulte dans les apprentissages, sans pour autant l’imposer, trouver des astuces et naviguer à vue, parfois faire la morale, et sans cesse rappeler les règles de civilité, comme celle – élémentaire - qui consiste à dire « bonjour ».
De sa formation aux Beaux-arts et de son ancien métier de graphiste, Martine conserve la volonté farouche de « faire passer les choses via un message », ce que son expérience dans l’animation n’a fait que renforcer. Aussi, même si elle occupe aujourd’hui un poste de chargée de développement numérique, entend-elle demeurer un « passeur d’idées ». Pour ses publics bien sûr, mais également à destination des acteurs du réseau régional des ERIC qui ont, comme elle, vocation à démocratiser les outils informatiques à destination de publics défavorisés. « J’essaie d’écrire une méthodologie, de mettre ça sur papier ou sur écran afin qu’il y ait une façon de procéder qui soit transmissible. Bon, c’est pas grandiose, ce ne sera pas une thèse. Ce sont plutôt des petits trucs pratiques : les choses à faire, ce qu’il vaut mieux éviter, comment on s’y prend, quelle est la meilleure manière de travailler avec des jeunes, etc. » Inversement, elle s’appuie sur d’autres expériences qui ont cours ailleurs et qui peuvent, à l’occasion d’une action ciblée, lui être utiles (en particulier, la structure O2zone pour la vidéo, ZINC pour la culture).
Si Martine sait compter ses forces, elle sait aussi combien sa structure est fragile. Car la première difficulté à laquelle elle est confrontée est de tenir ses engagements financiers pour assurer le fonctionnement quotidien de son association. Il s’en suit une deuxième difficulté, qui consiste à tenter de pérenniser les actions, surtout lorsque les « partenaires de terrain » sont composés pour l’essentiel d’associations de proximité soumises généralement aux mêmes contraintes économiques, et que « six mois plus tard, elles n’existent plus ». Mais Martine n’est jamais à court de ressources, ni d’idées. « Par exemple, nous, on fait de l’accompagnement à l’emploi, de façon un peu bénévole disons. Est-ce que ça ne vaudrait pas le coup de faire un vrai partenariat avec Pôle Emploi ? ». Il suffit de se rendre dans son ERIC pour connaître la réponse à cette question.
Le profil de Martine
Portrait réalisé dans le cadre l’Observatoire des TIC en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (OBTIC) et du programme Espace Régional Internet Citoyen en partenariat avec l’association ARSENIC, le Laboratoire de Sciences Sociales Appliques (LaSSA) et ITEMS International (AMO OBTIC).