Portrait de Marc Le Gall par Patrick La Prairie

Marc Le Gall et ses lycéens web-trotteurs de Brest

Depuis plus de douze ans, des lycéens de Brest tissent sur la toile interviews et reportages. Un projet plus citoyen que technique, mené par des enseignants passionnés, autour de Marc Le Gall.

La silhouette juvénile ne dépareille pas au mileu des lycéens qu’il encadre, le visage respire l’équilibre, les yeux clairs sourient, la voix bien timbrée est à la fois douce et ferme. Voilà pour l’image et pour le son, pour la forme donc. Mais, et Marc Le Gall en a fait son credo, l’important c’est le fond, les savoirs, et le savoir être.

Agrégé de génie électrique, maître en informatique industrielle, il n’a pas les yeux rivés sur les machines mais sur ses élèves du lycée Vauban à Brest. Avec lui le numérique n’engendre pas des numéros, mais des êtres citoyens. Alors, en pédagogue averti, depuis plus de douze ans, il amène ses élèves à « mettre la main à la pâte ». En partant de sujets qui les motivent, les lycéens réalisent des reportages diffusés sur un site dédié : celui des Web-trotteurs de Brest. Une belle histoire, qui continue...

http://trotteurs.ac-rennes.fr

Début à l’Elysée...

« Mon père était prof de maths et ma mère institutrice ». Quand bien même ils le voudraient, les chiens ne font pas des chats. Et sont fidèles. Marc Le Gall était élève dans le lycée où il enseigne aujourd’hui et où il a toujours enseigné, le lycée technologique Vauban, au sein de la cité scolaire de Kerichen. Fidèle donc, mais avec l’innovation chevillée au corps. Curieux de vivre le monde réel, horizon professionnel de ses élèves, il fera un stage d’un an dans une entreprise brestoise, Atlantide, où il a apprivoisé et assuré le développement du Web.

L’aventure des « Trotteriou » (pour Web-trotteurs de Brest) prend sa source en 1998. Marc Le Gall trouve quelques élèves pour participer à un concours national de création de site web. Ce sera sur le festival du film court de Brest qui ouvrira ses portes à l’équipe de cinq lycéens. Ils travaillent comme des pros... et gagnent le premier prix ! Ils se retrouvent même à la garden Party de l’Elysée. Mais Marc Le Gall garde la tête froide et n’oublie pas l’objectif. « Ils étaient fanas du web mais ne savaient pas écrire un article. Pour continuer il fallait entraîner d’autres enseignants, en français notamment. »

De la classe au club motivé

L’idée était dans l’air. Déjà Radio France avait ouvert son site à l’écriture de lycéens, et Marseille avait fait de même dans des quartiers. A Brest, Michel Briand, adjoint au maire, veut éviter la fracture numérique et pressent que le combat pour la citoyenneté passe par l’accès de tous à ce nouvel outil d’expression et d’information qu’est Internet. La ville finance du matériel. Le terreau est favorable, Marc Le Gall peut se lancer.

En 2001, 70 élèves de trois classes de seconde et première de trois établissements (Vauban, Lesven et Kerichen) vont couvrir le Festival du Film Court. Le Quartz , première scène nationale, les accueille dans une salle de rédaction ad hoc. Des professeurs de lettres, d’anglais, de sciences les accompagnent. « Les élèves ne sont pas a priori des littéraires, ce sera pour eux une découverte et un épanouissement culturels . Un vrai temps fort , 90% d’entre eux n’avaient jamais franchi les portes du Quartz ! », se souvient Marc Le Gall.

« Mixer les compétences »

Mais pas facile de faire participer tout le monde. Alors quand les nouveaux programmes proposent une heure et demi « d’accompagnement personnalisé » par semaine, Marc Le Gall s’engouffre dans la brèche. Les lycéens volontaires doivent choisir entre plusieurs types d’ateliers (pratique théâtrale, journal papier...) dont celui des Trotteriou, et écrire une lettre de motivation.

« C’est plus juste que de choisir sur des notes ». Se retrouveront des élèves de 1ère STI, des bac pro ; certains sont plus techniques mais ils auront en commun d’aboutir à des articles, à des reportages. Ils devront préparer des interviews, choisir des angles, faire des montages de qualité. « On essaie de valoriser ce qu’apporte l’élève, il a toujours quelque chose à dire, ou à interroger ».

Marc Le Gall annonce et assume une juste hiérarchie, celle de l’éducateur : « L’objectif n’est pas ce qui est en ligne, c’est la demande de mettre en ligne. » Mais si c’est bâclé ? « Si c’est vraiment bâclé, on ne met pas. Mais c’est le comité de rédaction qui décide, et si un professeur qui connait l’élève juge que Oui, il faut y aller, on y va ! »

« Mixer les compétences, c’est la richesse du projet », dit Marc Le Gall, qui rend hommage aux autres enseignants associés à ce beau projet, « une équipe de profs costaude » : Gaëlle Metz (français), Brigitte Priol (histoire-géographie), Nathalie Kerdelhué (en lycée professionnel), Francesa Brehonnet (physique) et Danièle Guillou (documentation). Il dit aussi le rôle du CPE du lycée de Kerichen, Jean-Yvon Corre.

Voir Naples et se nourrir...

La motivation se nourrit de sujets et de rencontres fertiles. Et même de voyages inoubliables. Ainsi, à Montréal en 2004, cette Semaine contre le racisme ou deux ans plus tard à Monaco l’interview du Prince Albert sur son engagement en faveur de la préservation de la planète. L’an dernier, le fil rouge était l’égalité homme-femme et des lycéens ont été à St Malo pour la Biennale sur ce thème.

A Brest même, des partenariats avec le Festival du Court (il se poursuit et devra se renouveller) la Carène (scène de spectacles actuels) ou avec Oceanopolis donnent du grain à moudre aux Trotteriou. « Les élèves ont ainsi l’occasion de poser des questions, par exemple à des scientifiques, cela leur donne confiance, provoque un déclic. Tout à coup l’élève change de statut, il devient acteur, il va comprendre le système ».

Cette année les Trotteriou se sont rendus à Naples, pendant huit jours. Merci au projet Comenius, à la Région Bretagne, à la ville de Brest, au fonds social des lycéens (pour que les 400 € restant aux familles ne soient pas un obstacle). Les jeunes Brestois (7 filles et 13 garçons) ont travaillé sur la remédiation et les nouvelles technologies, ils ont rencontré les lycéennes du lycée Comenio qui planchaient elles sur la remédiation des élèves fragiles.

Sujets cousins pour des échanges fertiles. Mais il fallait aussi voir Naples... et se nourrir des empreintes de son histoire. Marc Le Gall était parti avec trois collègues, ainsi la collecte de savoirs fut diverse. Et l’histoire ne s’arrêtera pas là : les lycéennes de Naples ont créé sur Facebook une communauté qui permettra de prolonger les liens, hors les murs des institutions...

Sans tabou, avec garde-fous

« Tous les lycéens sont sur Facebook », confirme Marc Le Gall. Pas de fracture numérique ici, au contraire, l’outil est apprivoisé. « Nous venons d’obtenir des Ipad et les derniers reportages ont été réalisés directement avec ces tablettes. » La question est celle du propos, en liberté. « Sans tabou mais avec des garde-fous », précise l’éducateur, soucieux de la formation à la citoyenneté. Il travaille avec le Clemi, Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information, mais ressent le besoin de rencontres avec des professionnels des médias.

Avec des moyens renforcés par les collectivités, on l’a vu, mais aussi par la taxe d’apprentissage de Peugeot, l’engagement du rectorat qui héberge le site, Marc Le Gall veut travailler davantage les questions éthiques. « On pense à une charte des webtrotteurs, et on regarde de près avec les élèves les questions de droits sur la musique et l’image ». Ce savoir faire est, depuis cinq ans, mis au service des autres lycées, grâce à « mediablog » (http//www.mediablog-brest.net) qui permet de valider et de classer leurs vidéos.

On se demande pourquoi les Trotteriou n’ont pas essaimé en Bretagne et ailleurs... Mais, comme souvent, la réponse est dans la capacité des personnes à incarner un projet à multiples facettes. Et cette capacité, Marc Le Gall l’a démontré, avec son « équipe costaude ». Il l’a fait partager dans son rôle de formateur académique pour les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

« Nouvelles » vraiment ?... Pas pour les jeunes, qui sont tombés dedans quand ils étaient petits ; par contre, ils doivent être accompagnés dans les réponses aux questions qui irriguent nos sociétés médiatiques : qui dit quoi à qui, où, quand, comment et pourquoi ? Marc Le Gall, le techno-scientifique, est un explorateur de ce nouveau champ de l’éducation citoyenne. A cloner !

Posté le 30 mai 2012 par Valérie Picolo

©© a-brest, article sous licence creative common info