Défense de la copie privée à l’assemblée nationale

Une intervention assez tonique du député Didier Mathus, lors de la
discussion du budget du Ministere de la Culture.

d’après un mél de Maurice Ronai

"En marge du budget de la culture, je voudrais appeler votre attention
sur ce nouveau mode d’échange par internet qu’est le peer to peer - en
espérant qu’une terminologie française convenable apparaîtra bientôt.

Ce phénomène concerne des millions de personnes dans notre seul pays
et a d’ores et déjà bouleversé le champ culturel. L’action publique ne
peut donc pas l’ignorer : le risque serait celui d’une coupure radicale
entre les pratiques de la société vive et la rhétorique d’une société
institutionnelle déphasée.

En revanche, je me limiterai à l’échange de fichiers musicaux, qui a
ouvert des champs nouveaux au consommateur, alors que l’échange de
fichiers cinéma ne crée pas, selon moi, de véritable valeur ajoutée.

Depuis quelques mois, les multinationales du disque, aidées de
quelques sociétés de droits d’auteur, au train de vie souvent fastueux,
s’appliquent à dépeindre les jeunes qui téléchargent de la musique
comme des délinquants. Les médias, dont les intérêts sont souvent liés,
se mobilisent et certains artistes sont instrumentalisés. Intimidés par
l’argument douteux de la spoliation des créateurs, influencés par le
lobbying, les pouvoirs publics européens et le Gouvernement français
ont emboîté le pas. Résultat : 50 procès en cours - sur 8 millions
d’usagers ! Le législateur serait bien inspiré de s’intéresser à cette
question, qui touche à la vie quotidienne et qui met en cause l’avenir
des échanges intellectuels.

  • Premier constat : l’échange de fichiers par internet est un progrès.
    Il accélère l’échange intellectuel et permet une nouvelle forme de
    mutualisation culturelle, en marge des lois du marché. Comme le dirait
    Adam Smith, il accroît le bien-être général !
  • Deuxième constat : ces échanges nuisent aux intérêts des
    multinationales de la musique qui, depuis quinze ans, sont entrées dans
    une logique de marché, raréfiant l’offre musicale et favorisant le
    mariage morganatique entre la musique et la télévision - il n’est qu’à
    regarder la Star Academy !

Il faut bien souligner que personne ne défend la gratuité : elle ne
peut exister, c’est un leurre. Mais il est temps de dire que loin
d’être responsables de la ruine des artistes, les internautes
participent à une désindustrialisation salutaire de la musique !

La dématérialisation est l’une des meilleures armes contre la
concentration des industries musicales, contre la politique des têtes
de gondole. Elle permet de découvrir de nouveaux talents, de retrouver
des enregistrements non commercialisés et de combattre la réduction
drastique des catalogues, qui se réduisent aux chansons plébiscitées
par la télévision.

Pourtant, l’écrasant lobby des industries du disque mène des campagnes
de plus en plus agressives. Lorsqu’elles parlent de l’assassinat des
artistes, les quatre majors - EMI, Sony, Warner et Universal - qui
représentent 80 % du marché, ne parlent que de leurs propres intérêts,
bien différents de ceux des artistes ou des consommateurs ! Elles
défendent le format qu’elles contrôlent, le CD, et un modèle économique
obsolète qui a fait leur fortune : la distribution physique. N’y
aurait-il de création en dehors d’elles ? Si demain elles
s’effondraient, seul le portefeuille des actionnaires en souffrirait,
pas la musique ! Mozart ne les a pas attendues ! On peut noter par
ailleurs leur incapacité à proposer des plateformes légales adaptées.

Des solutions sont possibles, par le biais de licences légales par
exemple, et de prélèvements forfaitaires auprès des fournisseurs
d’accès. La création et les artistes, qui seraient rémunérés
normalement, y gagneraient. Rien ne sert de criminaliser les
utilisateurs en s’accrochant à un modèle dépassé par la société. C’est
au législateur et au Gouvernement de proposer un cadre légal à ce
formidable progrès, même si cela doit déplaire aux multinationales.

Prenons-y garde : derrière cette offensive des oligarques de la
culture, appuyée par les sociétés de répartition de droits, c’est toute
la liberté des échanges de l’esprit qui est en cause. C’est l’idée que
toute œuvre doit donner lieu à taxation, que rien de ce qui relève de
l’esprit ne peut échapper aux griffes des grands marchands mondiaux.
Comme d’autres veulent la brevetabilité du vivant, ceux-là veulent le
monétarisation de l’esprit. Cette question n’apparaît pas directement
dans votre budget, Monsieur le ministre, mais je pense qu’elle est
prépondérante pour les années qui viennent. Personne n’a intérêt à
laisser faire ces Dark Vador du cash-flow. (Applaudissements sur les
bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et
républicains).

Didier Mathus etait a l’origine d’une proposition de loi visant à
interdire le recours à des mesures techniques de protection des CD et
DVD ayant pour effet de priver les utilisateurs du droit à la copie
privée

Posté le 14 novembre 2004

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Nouveau commentaire
  • Novembre 2004
    19:50

    > Défense de la copie privée à l’assemblée nationale

    Je recommande vivement la lecture du "plus d’info". C’est un plaisir de voir que le décalage entre la société civile et ses représentants se réduit en matière de réflexion sur le P2P.