Plusieurs services sont proposés au titre du prêt de publications par les bibliothèques. Licence légale ou accords contractuels pour ceci ? L’encadrement juridique varie. Dans un article du numéro de la revue I2D de septembre 2017, j’ai tenté de faire le point en quelques 3 000 signes.
Depuis une loi de 2003 instaurant une licence légale, l’auteur d’un ouvrage (ou le titulaire des droits, l’éditeur souvent) ne peut plus s’opposer à son prêt gratuit [1] par une bibliothèque de prêt car il est « rémunéré équitablement » pour ceci [2]. La loi ne couvre pas le prêt des thèses [3], documents non publiés, ni le prêt des revues ni l’envoi de photocopies de publications à d’autres bibliothèques ou leur fourniture en ligne, deux services auxquels tendent à recourir les bibliothèques au titre du prêt.
Un accord contractuel
Un contrat du 1er octobre 2015 entre le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), la Conférence des présidents d’Université (CPU) et le ministère de l’Enseignement supérieur pour les photocopies couvre aussi celles qui sont envoyées à titre gratuit dans le cadre du prêt entre bibliothèques (PEB). Pour ceci, les bibliothèques du réseau paient 0,42 € TTC par étudiant inscrit en thèse. Serait-ce que seuls les doctorants puissent bénéficier de ce service ?
L’accord ne couvrirait, par ailleurs, que des extraits (30 % d’une revue, 10 % d’un ouvrage) [4] alors qu’à des fins d’étude, c’est l’intégralité d’un ouvrage qui, souvent, est nécessaire. Quant aux bibliothèques n’appartenant pas à ce réseau, elles doivent pouvoir s’appuyer sur un contrat ad hoc pour proposer ce même service.
Complétons le puzzle
Pas d’autorisation expresse pour l’envoi postal du document à une bibliothèque de prêt, si le prêt est gratuit. Les services payants, en revanche, ne sont couverts ni par la loi sur le droit de prêt ni par le contrat sur les photocopies présenté supra. Bien qu’ayant conclu un contrat avec le CFC, l’Inist et la CCI de Paris avaient été condamnés pour avoir envoyé des photocopies à titre payant [5].
L’exception pédagogique et de recherche qui permet d’insérer des extraits d’œuvres sur un support pédagogique, un sujet d’examen, une thèse ou autres travaux d’étudiants et de chercheurs, mais pas de consulter un document dans son intégralité, ne répond pas à ces attentes non plus. En outre, les destinataires doivent appartenir aux établissements d’enseignement et de recherche ayant conclu les accords sectoriels définissant les usages accordés au titre de cette exception. Si les accords en vigueur autorisent une diffusion via une messagerie électronique ou un support amovible (clé USB, etc.), ce n’est qu’à un public composé d’utilisateurs directement concernés par l’acte d’enseignement, de formation ou l’activité de recherche nécessitant cette reproduction.
Pour envoyer des documents numérisés à des usagers hors de ce cercle, même à titre gratuit, la bibliothèque doit avoir un accord pour cet usage avec l’auteur ou l’éditeur si celui-ci a les droits numériques ou avec le CFC si l’éditeur lui a confié la gestion des droits numériques.
PEB et livre numérique. L’emprunt de livres numériques est un service offert par les bibliothèques. La règle européenne sur le prêt public des livres, avec rémunération équitable aux auteurs, est-elle transposable aux livres numériques ? Oui, pour la Cour de justice européenne [6], s’il s’agit d’une copie de livres de leurs fonds sur leur serveur pour une copie temporaire sur l’ordinateur ou autres supports de leurs usagers sur le modèle « une copie, un utilisateur ». Peut-on se passer en France de PNB, cet accord collectif conclu pour le prêt de livres numériques en bibliothèque [7] ? Non, pour tout prêt simultané d’un ouvrage numérique. Non, même pour un prêt unique car, bien que cela puisse être envisagé, il faudrait modifier la loi française de 2003 sur le prêt public de livres [8]. En outre, c’est un contrat et il est probable que chaque bibliothèque est tenue de le signer pour bénéficier de ce service.
PEB et thèses électroniques. L’envoi postal de la thèse au titre du PEB ne pose pas problème (sous réserve de confidentialité) et un arrêté ministériel du 15 mai 2016 autorise la diffusion électronique de la thèse auprès de l’ensemble de la communauté universitaire. L’autorisation de l’auteur, requise pour une diffusion en ligne de la thèse au-delà de ce périmètre, sur Internet par exemple, s’impose. Les bibliothèques sont de ce fait incitées à obtenir un accord ad doc des doctorants dès le dépôt de la thèse.
Illustration Bookcase in Hereford Cathedral. In : Libraries in the Medieval and Renaissance Periods. (1894) Wikimédia Domaine public
Notes
[1] La directive européenne sur le droit de prêt interdit tout avantage commercial direct ou indirect.
[2] Le droit de prêt en bibliothèque en France Site Service Public
[3] Les thèses déposées par les doctorants auprès des bibliothèques de leur université peuvent faire l’objet d’un prêt entre bibliothèques.
[4] Un livre épuisé peut être copié dans son intégralité avec l’autorisation du CFC.
[5] « Proposition pour un nouveau modèle de fourniture
de documents à l’ESR après l’arrêt de la Cour de cassation », 4 février 2014
http://www.inist.fr/?Proposition-pour-unnouveau-modele&lang=fr
[6] Le prêt d’un livre électronique peut, sous conditions, être assimilé au prêt traditionnel, Communiqué de presse n° 123/16, CJUE, novembre 2016
[7] « 30 articles sur le prêt numérique en bibliothèque », Livres Hebdo.
[8] La décision de la CJUE qui n’est pas « d’application directe » ne s’impose pas, la licence légale pour le prêt public n’étant qu’une faculté offerte par la directive sur le droit de prêt.