Un nouvel encadrement juridique permettant d’utiliser des œuvres non disponibles – et non les seuls livres indisponibles comme dans la loi française – dans le commerce s’annonce. Mais de quelles œuvres parle-t-on, quelles sont les règles envisagées et qui pourra en bénéficier ?
Dans un article du numéro de la revue I2D de septembre 2017, j’ai tenté de faire le point en quelques 3 000 signes.
Un texte de Commission européenne entend réviser une directive de 2001 sur le droit d’auteur. Parmi les mesures envisagées pour « faciliter l’accès transfrontière aux œuvres » et le développement des bibliothèques numériques (titre III, chapitre 1), figure un mécanisme permettant aux « institutions de gestion du patrimoine culturel » (bibliothèques, musées accessibles au public, archives, institutions dépositaire du patrimoine cinématographique ou sonore) de conclure des contrats de licences pour la diffusion d’œuvres indisponibles.
Les œuvres concernées
Ce sont des œuvres protégées par le droit d’auteur qui ne sont pas commercialisées. Un accord européen conclu en 2011 visait les « livres et les revues savantes qui ne sont plus disponibles à l’achat dans les circuits traditionnels du commerce »[1]. En France, une loi de 2012 s’applique aux « livres publiés avant le 1er janvier 2001 qui ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur ni l’objet d’une publication sous une forme imprimée ou numérique ».
Dans la proposition de directive de 2016, l’œuvre est indisponible lorsque « l’ensemble de l’œuvre protégée, dans toutes ses traductions, versions et manifestations, n’est pas accessible au public par le biais des circuits commerciaux habituels et qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle le devienne ». Selon son considérant 22 – un considérant donnant des éclaircissements sur les articles de la directive -, il peut s’agir d’œuvres qui bien que divulguées au public n’ont « jamais été destinées à une utilisation commerciale ». Le texte couvrirait donc aussi la littérature grise, soit « des documents… diffusés… en dehors des circuits commerciaux de l’édition et de la diffusion » (Afnor), ce qui comprend notamment thèses non publiées, mémoires et rapports divers (savoir plus sur la littérature grise).
Mais il ne s’agit, en aucun cas, d’œuvres orphelines, œuvres encore protégées mais dont, en dépit de tous les efforts menés, on ne retrouve pas l’auteur et pour qui un autre texte s’applique.
Les règles
À moins que la durée des droits patrimoniaux n’ait expiré, en règle générale 70 ans après la mort de l’auteur, pour proposer en ligne les ouvrages, revues, photographies, etc. des collections des bibliothèques et autres « institutions de gestion du patrimoine culturel », il faut l’autorisation expresse du titulaire des droits (l’auteur ou ses héritiers, l’éditeur, le producteur, etc.) [2], ce qui peut s’avérer difficile voire impossible.
L’œuvre a été publiée ou radiodiffusée pour la première fois dans un pays de l’Union européenne (UE), le producteur de l’œuvre audiovisuelle a son siège dans l’UE, la directive, dans le cas où elle est transposée en droit français, permettrait à certaines institutions culturelles de conclure avec une société de gestion collective une licence non exclusive à des fins non commerciales pour une nouvelle communication au public de celle-ci. Ou plutôt de celles-ci puisque la directive a vocation à permettre la numérisation de masse « si l’on peut raisonnablement présumer que toutes les œuvres de la collection sont indisponibles dans le commerce ».
Les auteurs disposent toutefois de garde fous : une publicité sur les velléités de mise à disposition et la possibilité de s’y opposer (opt-out), une utilisation « raisonnable » par les institutions, un dialogue entre des organisations représentant les titulaires de droits les utilisateurs et autres organisations intéressées sur la pertinence et l’utilité des systèmes de licences » et « l’efficacité des garanties ».
Pourquoi s’intéresser à la proposition de directive européenne ?
La possibilité serait offerte de mettre certaines œuvres des fonds « des institutions de gestion du patrimoine culturel » à la disposition du public en ligne. Mais on peut s’intéresser aux conditions de la licence puisqu’il est peu probable – bien que théoriquement possible – qu’elle soit accordée à titre gratuit. Toutefois, des négociations envisagées avec les « parties intéressées » permettront aux représentants des bibliothèques de donner un avis.
On peut s’interroger sur l’application de ces règles, claires pour les livres et les revues publiées, aux « œuvres n’ayant jamais été publiées » ou ayant « une valeur commerciale limitée ». La licence serait-elle payante pour les bibliothèques ?
« Qui ne dit mot consent ». L’adage s’appliquerait-il à l’opt-out du système ? Comment glissera-t- on du dispositif appliqué aux œuvres indisponibles à celui des œuvres orphelines impliquant une recherche diligente des auteurs ? La numérisation de masse, objectif du texte, pourrait-elle se faire sans avoir à rechercher les auteurs ? Voici quelques questions, parmi d’autres, que l’on peut se poser à ce stade où les dispositions sont encore débattues.
Ill . University of Minnesota, Minneapolis, Minnesota, University history museum – masters and doctoral theses. Runner1928 , WIkimédia, CC BY SA
[1] Les principes de cet accord (repris par la directive) avaient vocation à être élargis à d’autres secteurs.
[2] Hors du cadre défini pour les exceptions Pédagogie/Recherche et Conservation