[Que] Vive le domaine public !

Au regard du droit d’auteur, entre dans le domaine public une œuvre dont les droits patrimoniaux sont échus, soit généralement 70 ans après la mort de l’auteur. L’œuvre peut alors être réutilisée librement, sous réserve des droits moraux de l’auteur. Voilà qui semble simple à appliquer.

Or, le calcul permettant de fixer le moment où l’œuvre passe dans le domaine public s’avère souvent complexe (voir aussi) et on constate que le domaine public, qui joue pourtant un rôle essentiel pour l’économie et la société, tend à se réduire.

Fêter le domaine public le 1er janvier, lorsque certains auteurs, morts depuis plus de 70 ans, y pénètrent, voilà une excellente occasion d’attirer l’attention sur ces questions. Tel fut l’objet d’une conférence organisée jeudi dernier par Wikimédia France, Communia et Creative Commons France.

Un domaine public pour favoriser la création et l’innovation

Pour le prouver plusieurs exemples évoqués. Parmi ceux-ci, on citera les projets menés par Wikimédia, sources de multiples développements, projets qui reposent sur le domaine public ou la libre réutilisation des œuvres placées sous une licence Creative Communs forçant le partage. On rappellera volontiers aussi que, dans le passé, la copie par des graveurs des œuvres de grands maîtres a joué un rôle majeur dans la diffusion de l’art et la vocation de nombreux créateurs. Exemple moins connu, sans doute, mais édifiant, les copies du Nosferatu de Murnau, diffusées illégalement car condamnées par la justice à être détruites, sur la plainte de la veuve de Bram Stoker, l’auteur de l’ouvrage Dracula, copies qui ont donné lieu ensuite à bien d’autres créations.

Dans un autre champ, ce sont des données publiques utilisées par Regards Citoyens pour créer des outils d’aide à la citoyenneté, en l’occurrence une connaissance du Parlement, accessibles à tous.

Le domaine public joue donc un rôle majeur pour l’éducation, la culture et la politique. Le domaine public, a-t-il été dit aussi, c’est ce qui « permet de créer une culture commune au niveau mondial, c’est une vision de la connaissance au-delà d’une élite ». Il faut donc le préserver.

Comment préserver le domaine public ?

Information, technique, action politique …, on retrouve la trilogie habituelle.

  • L’information

Simple et efficace, une liste des auteurs qui entrent dans le domaine public le 1er janvier de l’année venant de débuter, afin de promouvoir la réutilisation de leurs œuvres.

  • Le recours à la technique

La technique peut s’avérer utile, lorsqu’elle crée des outils comme ce Public Domain calculator, calculateur automatique de l’expiration des droits attachés à un type d’œuvre (livre, audiovisuel, …), fondé sur un arbre de décision bâti sur les règles de la durée des droits de chaque pays européen. Certes, les réponses données par le calculateur ne pas sont pas encore suffisamment précises, les métadonnées bibliographiques qui l’alimentent étant inadaptées ou incomplètes [1]. Mais le web de données qui fait sortir les données des silos où elles sont enfermées, et les rend interopérables et interprétables par les machines, offre des perspectives intéressantes, surtout si les données bibliographiques sont libérées des conditions juridiques qu’imposent encore certains de leurs propriétaires. Fort heureusement, bon nombre de bibliothèques ont déjà adopté des licences libres, telles que Creative Commons Zéro et ouvert leurs catalogues. Ces métadonnées libérées doivent être à présent reliées, y compris avec des celles qui sont proposées par d’autres acteurs. A cet égard, un bel exemple est donné par DBpédia qui interconnecte Wikipédia avec d’autres bases de données.

  • Des actions politiques

Le domaine public n’est défini qu’en en creux dans le code de la propriété intellectuelle. Il semble ainsi n’avoir aucune valeur juridique et économique. Le projet Communia a joué un rôle majeur en lui donnant une définition positive dans son Manifeste. Communia étant un projet soutenu par la Commission européenne, celle-ci devrait, comme elle l’avait fait dès 2008 avec son livre vert sur le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance (voir aussi ou là) accorder une attention particulière à la libre réutilisation des œuvres, dans un cadre non commercial, soit des pour des usages privés ou pédagogiques.

Ne serait-il pas opportun aussi de changer les règles du droit d’auteur actuelles, en fixant une date butoir qui feraient « tomber » dans le domaine public toutes les publications antérieures à une date donnée (par exemple avant 1920) [2] , date qui glisserait ensuite au fil des ans ? Ne conviendrait-il pas non plus d’harmoniser et de simplifier les règles applicables aux œuvres [3] rendant ainsi le droit d’auteur plus lisible pour le public, ce qui lui donnerait une meilleure crédibilité ?

L’harmonisation, ajouterai-je, devrait se faire au niveau mondial aussi, car les différences se traduisent quelquefois par des situations paradoxales [4], dont l’aberration est manifeste à l’heure de la mondialisation [5]. Le paysage devient rapidement ubuesque quand il s’agit de calculer les droits pour des œuvres de multiples origines, comme doit le faire Wikipédia.

Pourquoi ne pas imaginer aussi, à l’instar de Michel Jarre, que les œuvres soient protégées comme des marques par un dépôt et une rémunération annuelle pendant 10 ans, renouvelable indéfiniment par leurs ayants droit, mais à défaut, tomberaient dans le domaine public ? A condition d’évaluer l’impact économique et pour la société d’une telle disposition qui va à l’encontre des règles de la convention de Berne, qui n’impose aucun dépôt pour arguer d’une protection. La décision d’étendre la durée des droits voisins des œuvres sonores de 50 à 70 ans ne s’est-elle pas faite en dépit des études qui soulignaient les conséquences négatives pour l’intérêt public  ?

Et des batailles à gagner, comme un droit de citation appliqué à l’image afin de pouvoir illustrer des œuvres à des fins pédagogique et d’information, voire pour un droit de réutiliser des œuvres pour des usages non commerciaux (mash-up, remix) alors que l’image qui comme le son d’ailleurs, « grammaire des jeunes générations », fait toujours l’objet de réticences particulièrement fortes.

Il est plus que jamais important de promouvoir le domaine public « par le haut » en le faisant entrer dans les textes au niveau international le plus élevé, mais aussi « par le bas », lorsque « les pratiques d’internet rebattent les cartes du juridique ».

Bien d’autres choses ont été dites lors de cette conférence … ce n’est qu’un angle parmi d’autres que j’ai choisi de mettre en exergue.

Illustr. J’ai peiné à trouver sur Europeana une œuvre qui soit librement reproductible. En voici une proposée par The Wellcome Library sous une licence CC by-nc. Zuleika. Photograph by Julia Margaret Cameron, c.1864/1867, l’occasion d’attirer l’attention sur Julia Cameron, photographe que j’apprécie depuis fort longtemps.

Notes

[1] Ainsi, par exemple, la définition de l’œuvre anonyme par un bibliothécaire diffère de celle du juriste et les fiches bibliographiques ne mentionnent pas les œuvres dérivées ; on y trouve métadonnées de l’auteur du texte principal mais pas celles e l’auteur de la préface, ; indique-t-on qu’un auteur est mort pour la France, donnant ainsi 30 ans de protection supplémentaire ?
[2] On note volontiers que la proposition de loi sur les livres indisponibles fixe une date butoir, le 1er janvier 2001, pour fixer le champ des livres indisponibles (dans le commerce) couvert par le champ de la loi.
[3] On a bien ri en découvrant le graphique retraçant les règles fixant la durée des droits en Roumanie, mais les règles adoptées en France ne sont guère plus simples.
[4] Des œuvres françaises tombées dans le domaine public au Canada, pays où la protection prend fin 50 ans après la mort de l’auteur, mais pas en France [1]. Des œuvres d’auteurs étrangers encore protégées aux États-Unis mais qui ne le sont plus dans leurs pays [2].
[5] A condition aussi de ne pas systématiquement envisager d’adopter les règles de protection les plus élevées, la libre réutilisation des œuvres, y compris par des acteurs commerciaux, et de tenir compte ainsi des impacts positifs de l’usage libre des œuvres.

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 29 janvier 2012

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