De la recherche diligente

Seule une recherche approfondie mais infructueuse des titulaires de droits permet d’affirmer qu’une œuvre est orpheline. Deux textes en cours de discussion, l’un au niveau européen, l’autre au niveau français, évoquent la recherche diligente. Leurs dispositions sont-elles compatibles ?

Voir aussi, « Droit et numérisation. Exploiter les œuvres orphelines  », écrit en 2008, et « Les œuvres orphelines », écrit en 2005, où j’avais déjà présenté les diverses facettes de ce sujet.

L’enjeu des œuvres orphelines

Les règles applicables aux œuvres orphelines permettront de dégeler des œuvres pour qui la négociation des droits est impossible à envisager, les ayants droit ne pouvant pas être identifiés et localisés, et de donner à celles-ci une nouvelle vie sans attendre qu’elles soient, 70 ans après la mort de leur auteur [1], dans le domaine public. Rendre à nouveau disponibles les œuvres orphelines répond à des missions de diffusion de la connaissance, à des visées commerciales (la longue traîne) et politiques (une large diffusion du patrimoine).

La recherche diligente assure un équilibre entre l’apport d’une diffusion des œuvres et le souci de protéger les droits des auteurs, ceux-ci devant être contactés lorsqu’ils sont localisables [2].

La recherche diligente dans la directive européenne

La proposition de directive européenne sur certaines utilisations des œuvres orphelines impose de consulter une liste de sources figurant dans son annexe, avant d’accorder à une œuvre le statut d’orphelin. Cette liste sera étoffée par chaque pays de l’Union européenne au moment de la transposition de la directive, une fois celle-ci adoptée.

Lorsqu’une œuvre sera reconnue orpheline de droits, certains établissements – dont les bibliothèques et les établissements d’enseignement accessibles au public – pourront l’utiliser gratuitement pour remplir des missions d’intérêt public, sous réserve d’autres conditions, notamment « la tenue d’un registre des recherches qu’elles effectuées et d’un registre publiquement accessible de ces utilisations ».

La recherche diligente dans la loi sur les livres indisponibles

Selon la proposition de loi, les livres indisponibles sont des livres publiés avant le 1er janvier 2001 « qui ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur sous une forme imprimée ou numérique ». Parmi ceux-ci, certains sont orphelins, ne serait-ce que parce que les éditeurs, qui ne disposent pas des droits permettant de les numériser, n’ont pas toujours assuré un suivi des auteurs, puis de leurs ayants droit, dès lors que le livre n’assurait plus de revenus et qu’il n’y avait plus lieu de verser de droits d’auteur.

Pour cette loi, encore en discussion [3], à défaut d’une opposition de l’éditeur ou de l’auteur du livre enregistré dans une base de données publique qui répertorie les livres indisponibles [4], « les droits de reproduction et de représentation sous une forme numérique » de ces livres sont cédés à une société de gestion collective qui sera agréée à cet effet.

Selon un nouvel article L 134-8 du CPI, introduit par le Sénat le 9 décembre 2011, lorsque, « en dehors de l’éditeur titulaire du droit de reproduction sur la forme imprimée, aucun auteur n’a été retrouvé » au bout de 10 ans [5], ils ont une forte probabilité d’être orphelins et une utilisation gratuite sera autorisée par la société de gestion collective agréée pour gérer les livres indisponibles (si ce n’est qu’un amendement déposé auprès de l’Assemblée nationale entend remettre en cause cette possibilité).

Focus sur quelques éléments

•  Qui fera la recherche diligente ?

Selon la proposition de loi sur les livres indisponibles, cette tâche incomberait à une société de gestion collective [6] puisque, pour obtenir un agrément, il lui faut présenter « les moyens [qu’elle se] propose de mettre en œuvre afin d’effectuer des recherches avérées et sérieuses permettant d’identifier et de retrouver les titulaires de droit » (art L 134-3 II 6°)[7].

La directive est moins claire puisqu’elle se contente d’affirmer qu’il appartient à « chaque État membre de veiller à ce que pour chaque œuvre, une recherche diligente des titulaires de droits soit effectuée » (considérant 12) ; ce considérant envisage les deux cas : les établissements (utilisateurs des œuvres) mentionnés dans l’article 1 ou d’autres organisations.

•  Comment se fera la recherche ?

Comme l’indique un rapport du Conseil Supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) sur les œuvres orphelines, elles doivent être « sérieuses », le caractère orphelin étant réversible, et qu’à défaut l’ayant droit se manifestera très rapidement, et « avérées » car, en cas de contestation, il faut prouver l’avoir réalisée. Toutefois le caractère sérieux devait être apprécié en fonction des outils existants pour chaque type d’œuvres au moment de la recherche. Doit-on ajouter que la diligence [8] suppose aussi une rapidité de la démarche ? Jusqu’à quel niveau doit-on descendre, notamment lorsqu’il s’agit des héritiers ? Soulignons aussi que l’accès public et gratuit à la base de données des livres est un élément qui facilitera l’identification et la localisation des auteurs.

•  Recherche a priori ou a posteriori ?

Pour la directive européenne, la recherche diligente s’exercerait a priori, pour la loi sur les livres indisponibles, a posteriori.

Dans la proposition de loi, les sommes versées à la société de gestion collective [9] par l’utilisateur lui permettront de numériser un fonds de livres indisponibles, qu’ils soient ou non orphelins, ce qui signifie que cette société n’est pas tenue de faire de tri a priori.

Cette recherche a posteriori peut sembler étonnante lorsque l’on se souvient que c’est un élément du Règlement qui avait été reproché à Google. Google, certes, est un acteur privé et les sociétés de gestion collective représentent les ayants droits, même ceux qui ne lui ont pas donné de mandat exprès, comme c’est le cas en France notamment pour la gestion des droits de reprographie, de copie privée ou de prêt en bibliothèque.

•  Une recherche automatique ?

Selon une étude de la British Library, une recherche manuelle représente 4 heures de travail pour une bibliothèque, et une utilisation automatique, à partir de la base de données Arrow, (Accessible Registries of Rights Information and Orphan Works) ne dure que 5 minutes.

•  Quelles sources ?

La base de données ou registre des livres indisponibles joue un rôle central dans la loi sur les livres indisponibles. Étoffée progressivement par les efforts conjoints de la ou des société(s) de gestion collective agréée(s) et de la BnF, selon l’IABD elle aurait pu jouer le rôle d’outil de recherche diligente. Mais l’initiative a paru incongrue.

Des efforts raisonnables, adaptés à chaque situation

La loi française et la directive européenne n’étant pas encore adoptées, c’est ainsi que l’on conclura aujourd’hui sur une sujet qui a déjà donné lieu à de nombreuses réflexions, comme l’indique cet accord sur les bonnes pratiques, conclu entre une association internationale d’éditeurs et une association internationale de bibliothécaires (pdf) en juin 2007.

Illustr. A days’ work. Keoshi. Flickr by-nc-sa

Notes

[1] Ce délai déjà très long tend à s’allonger. Par ailleurs, le calcul est plus complexe, comme l’indique le Public Domain Calculator proposé sur le site Europeana. L’auteur peut être identifié mais non localisés ; souvent ce sont les ayants droit qui ne son pas connus ou qui, nombreux, ne peuvent pas être tous contactés.

[2] La mention « Droits réservés », appliquée sans recherche effective est une pratique interdite.

[3] Aujourd’hui même à l’Assemblée nationale.
[4] On note aussi que la BnF est appelée à jouer un rôle, puisqu’elle est chargée de « veiller actualisation et l’inscription des mentions prévues dans la proposition de loi » (chapitre IV, art. L 134-2)
[5] Une définition qui limite considérablement le champ des livres orphelins.
[6] Ou société de perception et de répartition des droits d’auteur (SPRD).
[7] C’est elle qui se porterait garante des utilisations des œuvres qualifiées d’orphelines après ses recherches.
[8] Diligent : qui agit avec empressement, zèle et empressement – DILIGENT Synonyms : active, assiduous, bustling, busy, employed, engaged, hopping, industrious, laborious, occupied, sedulous, tied-up, working (Merriam Webster) – characterized by steady, earnest, and energetic effort : painstaking <a diligent worker>
[9] Doit-on le rappeler ? La société de gestion collective n’entre en lice que si les éditeurs ou les auteurs ne s’y opposent pas.

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 19 janvier 2012

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