Le poids des algorithmes (note de lecture)

Ouvrage algorithmesNote de lecture à paraître fin mars 2016 dans le numéro de la revue I2D Information, Données & Documents consacré au Développement durable et à la responsabilité sociale des services d’information

À quoi rêvent les algorithmes ? Nos vies à l’heure du Big Data / Dominique Cardon, Seuil, La République des idées, octobre 2015 

Ces algorithmes qui sont « entrés dans nos vies », voire nos envies, sont-il là pour nous libérer ou pour nous assujettir ? Le regard du sociologue Dominique Cardon sur le fonctionnement des calculateurs permet indéniablement de «  prendre des distances face aux mythologies » créées autour du Big Data.

« Réduire les erreurs des gouvernants, les approximations de la médecine et le gaspillage des marchés » , » exprimer des choses interdites et qui étaient inconnues » (…) pour corriger un monde imparfait faute d’avoir pu disposer de données nécessaires, « des données ouvertes pour promouvoir savoirs, services et vigilance citoyenne , créer des services à des tiers, favoriser les contrepouvoirs »,… un monde meilleur, voilà ce que promettent les algorithmes.

Nous sommes sortis du « paternalisme des médias traditionnels », certes et ce sont des « routes » variées, voire « originales et audacieuses » que promettent les calculateurs. Sommes-nous plus libres pour autant ? L’exemple du GPS est tout à fait opportun : Ne suivons-nous pas aveuglement ses indications ? Sommes-nous encore capables de choisir d’autres routes ? Mais connaissons-nous l’ensemble du « paysage » permettant de nous affranchir, « à passer en mode manuel », pour poursuivre la métaphore utilisée par Dominique Cardon ? Qui sont ceux qui sont capables de le faire ? Les calculateurs ne permettent-ils la société de reproduire les inégalités et les hiérarchies ?

Le Big Data est omniprésent dans les discours. Mais l’ouvrage nous rappelle qu’une donnée brute ne « parle qu’en fonction des questionnements et des intérêts de ceux qui les interrogent », qu’il convient de s’inquiéter de savoir à qui on confie cette analyse et de s’interroger sur la notion de vérité mathématique. On nous rappelle que bon nombre de données ne sont pas facilement accessibles, voire pas du tout, les GAFA et les administrations notamment les gardant jalousement, et que, par ailleurs, et elles sont la plupart du temps « peu structurées, prolixes et sans contexte ».

Si l’on ajoute que les données sont hétérogènes et souvent mal catégorisées, qu’elles produisent généralement plus de bruit que de signal, des résultats biaisés, indésirables,… On prend inévitablement du recul. Nul besoin, par ailleurs, de lever le secret des algorithmes, telle n’est pas la question, mais de connaître les flux qui alimentent leurs calculs et l’objectif qui leur est assigné. L’ouvrage décrit bien ce qui fait leur « intelligence » et les paramètres qui expliquent que certains résultats seront aujourd’hui plus intelligibles et certains services plus efficaces que d’autres.

C’est un monde souvent inquiétant qui nous est présenté. Serions-nous passés de Charybde en Scylla ? Il est, quoi qu’il en soit, utile de s’arrêter quelquefois pour mieux comprendre et, ici, afin de « reprendre le pouvoir dans la société des calculs ». C’est la promesse, tenue, de cet ouvrage.

Via un article de Michèle Battisti, publié le 26 mars 2016

©© a-brest, article sous licence creative common info