Photographier dans les musées ? Droit, muséologie, sociologie

Les-visiteurs-photographes-au-musee_largeLes musées ont-ils le droit d’interdire que l’on photographie leurs œuvres ? Est-ce même opportun alors que la « pratique photographique est un moyen d’action culturelle » ? 

Visiteurs photographes au musée. Sous la direction de Serge Chaumier, Anne Krebs, Mélanie Roustan. La Documentation française, 2013 (Collection « Musées- Mondes »)

Analyse à paraître dans Documentaliste-Sciences de l’information

Le musée, découvrira-t-on, est bien plus qu’un simple lieu d’exposition.

Face à la valse-hésitation des choix faits selon les pays, les établissements, voire même selon les différentes œuvres d’un même musée, voici un ouvrage pour se faire une opinion sur un sujet qui fait débat surtout depuis l’interdiction, largement médiatisée, de photographier édictée par le musée d’Orsay.

Une interdiction fondée sur le droit d’auteur, se demandera-t-on d’abord. Le domaine public et la copie privée s’invitent. Sur le droit du propriétaire ? Seul le propriétaire privé peut s’appuyer sur le « trouble anormal  » causé par la diffusion du cliché. L’occupation du domaine public ? Cet argument serait réservé aux lourdes installations. En revanche, lorsque l’œuvre est reproduite sur le site web du musée, c’est le droit des photographes ou celui des bases de données qui entrerait en lice. Il y a aussi les droits des architectures, des scénographies, tous ces éléments susceptibles d’être photographiés. Mais tous les arguments juridiques (ou presque) seront balayés. Et si certains arguments fondés sur la sécurité des œuvres peuvent être quelquefois avancés, exit cependant le flash, argument technique souvent avancé, qui n’abîme pas les œuvres. Ne restent plus que le confort des visiteurs, le souci de « fluidifier les parcours », voire (surtout ?) d’inciter à l’achat de produits dérivés vendus par le musée.

L’architecture, la scénographie du musée sont-ils protégés ? Ne privatiserait-on pas ainsi l’espace public, un bien commun ? Les visiteurs photographes, une gêne ? Peut-être, mais l’interdiction peut alors devenir un jeu, comme pour les visiteurs adeptes d’OrsayCommons. On trouvera aussi dans cet ouvrage une réflexion sur la gamme des usages professionnels (enseignement, recherche, création), mais aussi sur une gamme de profils et d’usages pas toujours artistiques imaginés par le public. Pourquoi, en effet, se contenter des clichés standardisés proposés par les musées alors que photographier dans un musée a des dimensions toutes autres, tout aussi créatives ?

Au-delà du droit, on trouvera dans cet ouvrage collectif une approche sociologique, anthropologique, esthétique, muséologique des pratiques et des représentations des utilisateurs. Quand photographier construit du sens, tout comme la mise en ligne sur les réseaux, c’est la mission de service public qui s’invite alors.

Sans parler des processus collaboratifs de documentation, des wikis, du crowdsourcing, de l’alimentation de bases de données et d’animations variées prises à titre d’exemples que l’on y a aussi détaillés. Et ce sont les sciences de l’information et de la communication qui s’invitent alors. Bien loin de l’optique de la vente d’objets terriblement réductrice, on se positionne ainsi sur ce qui redonnera au musée « son autorité, son expertise et sa légitimité scientifique par l’encadrement des documents photographiques produits ». Ne négligeant aucun angle, cet ouvrage collectif qui présente les politiques et les actions adoptées par un grand nombre de musées en France et ailleurs, dans le monde, s’interroge aussi sur l’avenir de la question. « La photo, c’est de l’amour » (p. 37), s’amusera-t-on à retenir aussi.

Via un article de Michèle Battisti, publié le 17 octobre 2013

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