Illustrer une thèse illustrée d’œuvres publiées à l’étranger : un (autre) casse-tête

Initial mindmap of master thesis.Monica Pinheiro. Flickr CC by-ncLa question. Quel droit s’applique aux reproductions d’œuvres créées dans des pays étrangers (Afrique, Moyen-Orient, Asie, Europe orientale) utilisées dans des thèses rédigées en France ? Le droit applicable semble être celui du pays où le délit est commis, soit la France pour ces jeunes chercheurs.

Sachant que ces œuvres ne semblent pas couvertes par les protocoles d’accord définissant l’exception pour l’enseignement et la recherche en France et qu’il est compliqué contacter les auteurs ou ayants-droits pour les demandes d’autorisation de reproduction d’images ou d’extraits dans ces différents pays, comment procéder ?

Mise en garde. La réponse à cette question anonymisée ne vise qu’à rappeler quelques principes, mais n’est pas en mesure de se substituer à un conseil juridique.

Rappel en guise de confirmation

Comme pour toute œuvre composite, pour illustrer sa thèse ou tout autre écrit par des images ou des « extraits » de textes, le doctorant doit obtenir l’accord des auteurs ou de leurs ayants droit, même si ces documents sont utilisés pour appuyer une argumentation, car ils ne relèvent pas aujourd’hui (malheureusement, ajouterai-je) de l’exception de citation.

Ceux qui souhaitent réutiliser la thèse doivent vérifier que l’usage souhaité, au-delà de quelques copies papier pour la soutenance, de la conservation dans des rayonnages et des quelques consultations sur place ultérieures [1], soit à présent une diffusion sur internet voire quelquefois aussi l’édition d’un ouvrage ou la reprise d’extraits de la thèse accompagnée de ses illustrations dans des articles, est autorisée.

« L’exception pour l’enseignement et la recherche », concrétisée aujourd’hui par des accords sectoriels, autorise la diffusion en ligne de la thèse par des établissements d’enseignement supérieur lorsqu’il s’agit d’un usage non commercial.

Deux cas à aborder pour (tenter) de dresser un tableau :

Photocopies. Les contrats conclus par les établissements d’enseignement avec le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) dans le cadre de la loi sur la reprographie de 1995 ne permettent pas de photocopier des extraits ou l’intégralité de la thèse, la loi ne couvrant que les œuvres publiées alors que la thèse appartient à la littérature grise. Un accord exprès de l’auteur de la thèse est donc nécessaire. Celui-ci ne dispose toutefois généralement pas des droits sur les œuvres de tiers présentes dans sa thèse puisqu’il n’a, dans le meilleur des cas, qu’une licence d’utilisation pour sa thèse, mais pas pour tout autre usage ultérieur. En revanche, pour les extraits d’œuvres ou illustrations présentes dans la thèse et qui ont fait l’objet d’une publication, il suffit d’indiquer les références des documents photocopiées dans le formulaire à remettre chaque année au CFC dans le cadre du contrat conclu avec cet organisme. A charge, pour le CFC, de reverser les droits aux sociétés de gestion collective des pays où les ouvrages et titres de presse (papier) ont été édités.

L’exception pour l’enseignement et la recherche. Les accords sectoriels conclus entre deux ministères et plusieurs sociétés de gestion collective permettent de reproduire certaines œuvres dans des thèses mises en ligne. Dans le cas de textes et d’œuvres des arts graphiques, plastiques, photographiques, architecturaux, par exemple, il ne peut s’agir que d’œuvres dont les titulaires de droits d’auteur ont cédé leurs droits pour des usages « à des fins pédagogiques et de recherche » au Centre français du droit de copie (CFC) et de celles qui appartiennent au répertoire de la Société des arts visuels associés (AVA).

Il faut donc vérifier que l’œuvre est couverte par l’accord (en interrogeant la base de données proposée par le CFC qui comporte, d’ailleurs, de nombreux auteurs étrangers). Attention, si c’est le cas, il faut respecter les règles détaillées dans l’accord : nombre de reproductions d’un auteur, dpi, mentions, etc.

Il faut également veiller à ce que l’œuvre ne soit pas utilisée, directement ou indirectement, à des fins commerciales, dans des articles dans des revues en ligne vendues au numéro ou sur abonnement, ou pour la version numérique d’ouvrages reproduisant la thèse, par exemple, puisque dans ce cas, il faut obtenir une autorisation ad hoc auprès des auteurs ou de leurs ayants droit. C’est aussi le cas, bien sûr, lorsque l’auteur ne figure pas dans le répertoire du CFC.

Photocopies œuvres publiées et usage non commercial Gestion collective obligatoire : Contrat CFC
conclu dans le cadrede la gestion collective obligatoire
de la loi sur la reprographie,y compris pour des
publications à l’étranger couvertes par des accords croisés entre sociétés de gestion collective de divers pays : déclaration auprès du CFC
œuvres publiées et usage commercial autorisation de l’ayant droit via le CFC
œuvres non publiées autorisation des ayants droit (auteur de la thèse et auteurs
des œuvres non publiées qu’il y a insérées)
Accès en ligne œuvres publiées et usage non commercial Gestion collective volontaire  : 1. Œuvres faisant partie du répertoire autorisé au titre de l’exception pédagogique(par un acte volontaire des ayants droit) : déclaration auprès
du CFC. 2. Œuvres ne faisant pas partie du répertoire :
autorisation des ayants droit
œuvres publiées et usage commercial autorisation des ayants droit
œuvres non publiées autorisation des ayants droit

Quelle loi appliquer ?

La question est loin d’être simple. Dans la littérature à ma disposition, je retiens volontiers la présentation claire qu’en avait faite Xavier Linant de Bellefonds. Dans la plupart des cas, on considérera effectivement que la loi qui s’applique est celle du lieu du délit de contrefaçon, autrement dit de l’usage non autorisé [2].

Autre cas

Les œuvres reproduites peuvent être aussi issues de bases de données les usages peuvent être autorisés car négociés dans le contrat qui lie les établissements d’enseignement aux producteurs de ces bases. C’est le contrat qui prévaudra dans ce cas.

Que faire ? Puisque telle était la question.

Sans exemples concrets qui auraient permis de tester les difficultés à contacter les ayants droits, en  l’absence de mention de l’œuvre ou de l’auteur dans le répertoire du CFC (la thèse étant appelée aujourd’hui à être mise en ligne), il conviendrait de faire des démarches auprès de maisons d’édition des publications concernées, des musées aussi, … et de garder les traces de ses recherches. S’il peut y avoir substitution, se tourner vers des œuvres sous licences libres (les licences Creative Commons, par exemple), autorisant la reproduction, faire soi-même des photographies d’oeuvres du domaine public, etc.

La reproduction accompagnée de la mention « droits réservés » reste risquée. Elle suppose que des recherches sérieuses aient été faites pour retrouver l’auteur et que les preuves à cet égard puissent être fournies [3]. Si l’auteur ou son ayant droit se manifestent par la suite, il faut être prêt à indemniser ceux qui en auraient fait la demande. S’il s’agit d’une thèse, la négociation peut être favorable au doctorant (du moins l’espérons-nous au moins pour les usages non commerciaux). Tout dépend de la nature de l’œuvre utilisée et de la manière dont elle a été utilisée.

Je persiste donc toujours à ne pas comprendre que la reproduction d’une œuvre correctement créditée (« extrait » de texte et non l’intégralité, une seule illustration : tableau, schéma, …) (le crédit est important pour le droit d’auteur, certes, mais à mes yeux aussi), lorsqu’elle est réellement utilisée pour appuyer une argumentation dans un document tel qu’une thèse doive faire l’objet d’une autorisation expresse de l’auteur ou de son ayant droit et qu’elle ne puisse pas être qualifiée de citation. Que de calculs ! Pour quels bénéfices pour les ayants droits ?

Ill. Initial mindmap of master thesis.Monica Pinheiro. Flickr CC by-nc

Notes

[1] Un droit de reproduction pourrait être (théoriquement) revendiqué, la thèse étant reproduite pour être distribuée à plusieurs personnes au moment de la soutenance. Serait-on dans le « cercle de famille », soit dans un cadre de diffusion très limité ? La diffusion, avant l’irruption du numérique, était extrêmement limitée.

[2] Mais ce peut être aussi dans certains cas, la loi du pays d’origine de l’auteur, ou celle de la première publication de l’œuvre, la loi du pays pour lequel la protection est demandée (loi du for), la loi retenue par les parties dans un contrat de cession des droits. Droits d’auteur et droits voisins, Xavier Linant de Bellefonds, Dalloz, 2004 (Cours), p. 449-456.

[3] La directive européenne du 25 octobre 2012 sur les oeuvres orphelines définit les modalités d’une utilisation des œuvres dont les ayants droit ne peuvent pas, en dépit d’une recherche sérieuse, être localisés. Cet usage sera réservé aux établissements ouverts au public, ce qui est le cas des bibliothèques universitaires en France.

Via un article de Michèle Battisti, publié le 5 septembre 2013

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