Mashup, remix, sample, machinima,… au risque du droit d’auteur ?

unending_v1_top_view_by_cutemute34-d2y5mcvRe-cut, échantillonnage, art-collage, fancfiction, … ou autres formes de créations, qu’importe la technique employée ! Toutes ces créations, fondées sur des œuvres déjà existantes, impliquent la copie, la transformation, la diffusion et le partage, soit des pratiques couvertes par un droit d’auteur ainsi que par des droits voisins accordés à l’artiste-interprète et au producteur d’une œuvre audiovisuelle ou sonore. 

Écrit pour le n°11 de « De ligne en ligne  » édité par la BPI, publié pour illustrer plusieurs expositions… à découvrir

Quels droits ?

La copie, c’est vrai, n’implique pas d’autorisation particulière lorsqu’elle est représentée dans le cercle de famille, soit pour quelques personnes de son entourage. Mais insérée dans d’autres œuvres, voire modifiée, l’œuvre ici a vocation être diffusée, très largement même aujourd’hui, sur les réseaux ou lors de manifestations.

Le droit d’auteur est implacable [1] : dans ce cas, il faut une autorisation pour reproduire l’œuvre et la représenter, même s’il s’agit d’un extrait, même si elle est modifiée, devenant ainsi une œuvre dérivée. L’autorisation devrait même être expresse, autrement dit indiquer tous les usages envisagés (salle de concert, exposition, site internet ….). Un vrai casse-tête !

Œuvre collective, composite ou de collaboration ?

Une question sans intérêt ? Elle s’impose pourtant, pour savoir à qui demander les droits. A l’auteur d’une œuvre composite, œuvre contenant des œuvres créées ailleurs, reproduites et diffusées avec l’autorisation de leurs auteurs dans une œuvre seconde ? A tous les auteurs d’une œuvre de collaboration, créée de concert par ceux-ci ? A la personne morale ou physique qui détient les droits sur une œuvre collective, créée à son initiative et avec ses directives et où les apports de chacun se fondent, comme dans un dictionnaire, dans un ensemble ? Ou au cessionnaire des droits qui s’est fait céder les droits pour en gérer certains usages, ce qui serait le cas des sociétés de gestion collective (la Sacem, par exemple), des producteurs d’œuvres audiovisuelles ou, bien que la situation ne soit pas très claire [2], des employeurs de créateurs de jeux vidéos, … ?

Pour les mêmes raisons, il faut qualifier l’œuvre créée par mix, sampling, mash-up … Il peut s’agir, en effet, d’une œuvre de collaboration voire collective si plusieurs auteurs l’ont conçue ensemble ou y ont participé. C’est au moins une œuvre composite, comportant des œuvres précédemment créées, impliquant l’autorisation de leurs auteurs pour les reproduire afin de les diffuser, mais aussi pour les modifier, puisque tel est l’objectif ici.

Attention ! Celui à qui vous accorderez des droits sur votre création doit pouvoir jouir d’une exploitation paisible, autrement dit ne pas se trouver face à des ayants droit revendicateurs, ce qui pourrait se produire si vous aviez accordé des droits que vous n’aviez pas. On peut commencer à se sentir dépassé, surtout si l’on n’est pas un professionnel, face à la masse d’autorisations à obtenir.

Des ouvertures ?

 

  • Certaines exceptions au droit d’auteur ?

Le Code de la propriété intellectuelle autorise certains usages. C’est le cas de la citation, de la parodie, du pastiche et de la caricature, voire de l’usage pédagogique, des pratiques qui pourraient concerner les formes de créativité qui nous intéressent aujourd’hui.

Sont-ce ce des citations ? Non car la partie reprise est modifiée, ce qui ne saurait ce faire sans l’autorisation expresse de l’auteur. Par ailleurs, la citation est autorisée lorsqu’elle est faite « à des fins polémique, critique, scientifique ou d’information », ce qui exclut les fins esthétiques et ludiques, soit a priori l’objet même de ces créations. En outre, la citation qui doit être brève ne s’applique pas aux extraits, ce qui est généralement utilisé mais qui va au-delà de la citation, et qui s’estime au regard de la longueur de l’œuvre initiale. Pas d’exception pour la parodie, la caricature ou le pastiche non plus car si certaines de ces créations ont une fin humoristique, on peinera souvent à trouver une telle intention. Quant à l’exception pédagogique, applicable à un nombre limité d’œuvres, à certains établissements, et au formalisme étroit, elle s’oppose à tout forme de diffusion hors de la classe [3].

  • Le domaine public ?

Il est possible, bien sûr, d’utiliser une œuvre du domaine public, œuvre dont les droits sont échus 70 ans après la mort de l’auteur. Encore faut-il être sûr qu’elle y soit tombée ! Sachant en outre que lorsqu’il s’agit d’une œuvre de collaboration, il faille attendre 70 ans après la mort du dernier survivant, qu’il faille, par ailleurs, tenir compte des droits voisins [4] pour des œuvres tombées, elles, dans le domaine public, sans compter les années de guerre qui repoussent le moment où les œuvres de certains auteurs pourront être librement réutilisables, et encore, sous respect du droit moral qui ne s’éteint jamais.

Le droit moral, autre couche de droit, impose notamment que l’on crédite l’œuvre, mais aussi que l’on ne porte pas atteinte à son intégrité, selon des critères laissés à l’appréciation des réutilisateurs de l’œuvre, de ceux qui ont des droits sur l’œuvre et … des juges.

  • Les œuvres «  libres de droit » ?

Cette expression trompeuse signifie simplement que l’œuvre peut être utilisée, en respectant les usages imposés par contrat, souvent moyennant finance, même si la somme forfaitaire due est souvent minime. Une modification autorisée ? Il convient de vérifier.

Des licences telles que les licences Creative Commons, les plus connues, ou d’autres, comme la licence Art libre, offrent des ouvertures. Ce sont toutefois des contrats dont les termes doivent être respectés. Ainsi, si une œuvre sous Creative Commons peut toujours, à condition d’indiquer le nom de son auteur, être reproduite, la mention ND (non derivated work, pas d’œuvre dérivée) de certaines licences interdit de modifier l’oeuvre sans autorisation. Les licences avec le pictogramme NC (non commercial) interdisent un usage commercial de la diffusion de l’œuvre reproduite. D’autres licences imposent que les modifications soient placées sous la licence choisie par l’auteur de l’œuvre initiale. Malgré ces limites, les Creative Commons offrent des perspectives. Mais, aujourd’hui, elles accompagnent encore peu d’œuvres.

  • Un droit pour les œuvres transformatives ?

Copier pour modifier, tel est le principe même de la création, du moins si on refuse l’idée d’une création ex nihilo [5]. Favoriser la création, tel est l’objectif même du droit d’auteur. C’est pour la favoriser que l’on a convenu que l’auteur sera intéressé en disposant de droits sur son œuvre qu’il gérerait à sa convenance, mais uniquement pendant une certaine durée, et limités par certaines exceptions, permettant ainsi à d’autres de les réutiliser.

Un raccourci, certes, un peu rapide. Il n’en reste pas moins qu’il doit y avoir un équilibre entre droits et usages, et que la somme des droits à négocier pour créer ces œuvres nouvelles, favorisées par les techniques et usages du numérique, paralyse visiblement tout un pan de la création [6], qu’il s’agisse ou non d’usages professionnels.

En 2008, la Commission européenne [7] envisageait de créer une exception au droit d’auteur pour les user-generated content, ces œuvres transformatives (soit des œuvres dérivées) créées par les amateurs. En 2013, elle opte pour des solutions contractuelles [8], soit des licences de type one-click qui, à titre gratuit ou non, faciliteraient la réutilisation des œuvres au niveau européen. Cet angle, totalement différent, impose, des négociations. L’auteur du manichinima créé à partir « d’avatars d’amis, de paysages et créatures d’un jeu vidéo mixés à un célèbre titre pop des années 1960 » [9] trouvera-t-il les réponses juridiques ad hoc ?

Ill. Unending V1-top view, cutemute 34, CC by-nc-sa

Notes


[1] Pour en apprécier la complexité, sur un ton badin, mais tellement juste : Les droits d’auteur pour les nuls, Journal d’un Avocat, Maître Eolas, 29 février 2009.

[2] Le régime juridique du jeu vidéo, Henri Leben, AFJV, 2012.

[3] Savoir plus : Exception pédagogique : les accords de 2012, Géraldine Alberti-Baudart, Savoirs cdi, septembre 2012.

[4] Les droits voisins sont échus 50 ans après la première interprétation pour les artistes interprètes, de la première fixation d’une séquence pour les producteur d’une œuvre sonore ou audiovisuelle.

[5] De la vertu ou non de la copieParalipomènes, 27 août 2012.

[6] Aux Etats-Unis aussi : Lawrence Lessig : Plaidoyer pour un droit de citation élargi au remix, Paralipomènes, 18 octobre 2010.

[7] Le droit d’auteur dans le domaine dans la connaissance. Communication, Commission européenne, 19 octobre 2009.

[8] Culture and Copyright in the digital environment, Androulla Vassiliou, Europa, 4 février 2013.

[9] Vu dans : La nouvelle culture sampling, des vidéos amateurs du Net, Serge Tisseron, Culture mobile, 8 juin 2012.

Via un article de Michèle Battisti, publié le 10 avril 2013

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