Un libre accès obligatoire pour les publications en sciences sociales et humaines ?

Desktop Publishing. Jeremy brooks. CC by-ncLe 11 février 2013, Cairn, portail en sciences humaines et sociales (SHS), organisait une conférence réunissant les représentants de 120 revues et de 50 structures éditoriales, en présence de représentants du ministère de l’Enseignement et de la Recherche.

Pourquoi cette réunion ?

L’inquiétude après l’annonce que la France allait suivre la recommandation de la Commission européenne du 17 juillet 2012 [1] qui se traduira par un libre accès aux publications de la recherche financée par des fonds public après un «  embargo » de 12 mois maximum pour « les publications dans les domaines des sciences sociales et humaines », décision qui mettrait en jeu la survie des revues en SHS.

Une conférence pour faire le point sur le libre accès et adopter une motion soulignant l’impact potentiel d’une application de la recommandation pour un secteur d’activité, l’édition SHS, mais surtout, au-delà, pour les chercheurs et la société, ces revues jouant un rôle dans le débat public et pour la visibilité de la recherche française.

Éléments d’information
Le contexte politique

Le ministère de l’Enseignement et de la Recherche prêt à appliquer la recommandation pour les sciences techniques et médicales (STM), soit pour un embargo de 6 mois maximum, mais qui adaptera sa réponse pour les SHS en fonction des résultats d’une étude d’impact qu’il va lancer, réponse qui pourrait aller au-delà des 12 mois préconisés par la recommandation européenne.

Une durcissement des positions des chefs d’établissements universitaires et des bibliothèques qui, notamment lors des journées Couperin des 24 et 25 janvier 2013, exigent un libre accès à toutes les publications, soit au moins, comme l’ADBU, une « diminution significative » de l’embargo.

Au Royaume-Uni, la voie Gold (royale), soit un libre accès par un financement en amont, voie jugée de meilleure qualité que la voie verte, mais avec une aide de l’État britannique pour assurer la transition (ce qui n’est pas prévu en France), et aux États-Unis, la loi pour élargir l’obligation de dépôt, aujourd’hui appliqué au secteur financé par des fonds publics dans le domaine médical, à d’autres domaines.

Dessiner à grands traits le paysage du libre accès

Trois courants : des pratiques des physiciens « adossées » au numérique, progressivement adoptées par d’autres disciplines (en STM, plus tard par les SHS), un moyen de lutter contre le « racket » des oligopoles éditoriaux dans le secteur STM, une volonté politique d’afficher au plus vite un retour sur les investissements publics.

Trois voies : la voie verte par l’auto-archivage par les chercheurs, la voie royale par un financement par les institutions des auteurs sélectionnés, aujourd’hui aussi la voie platinum financée par des services à forte valeur ajoutée.

Décrypter la recommandation européenne

S’il s’agit d’une recommandation, sans obligation, le contexte est toutefois contraignant : la recommandation s’impose bien. Mais pour l’appliquer, il faudra définir avec précisions les termes de la recommandation : Qu’est-ce qu’ « une publication issue de la recherche financée sur des fonds publics » ? Des articles ou uniquement des données ? Qui a les droits ? Les institutions ou les chercheurs ? Quel statut pour les publications « personnelles » ou pour les revues financées par le Centre national du livre (CNL), des fonds publics ? L’accès implique-t-il aussi une réutilisation ? Doit-on parler de licences (terme figurant dans la recommandation) ou de cessions de droits ? Doit-on veiller à ce que l’incitation à publier dans des revues en libre accès (12 mois ?) ne se traduise pas par des sanctions (universitaires) en cas de manquement ?

Quelle voie adopter ?

Face à une table ronde d’éditeurs adeptes, arguments à l’appui, d’un statu quo, EDP Sciences, un éditeur GOLD heureux, mais en STM, la voie platinum, avec des services freemium « à forte valeur ajoutée » achetés par les bibliothèques proposés par Revues.org devenue Open Edition ou, comme aujourd’hui, des barrières mobiles adaptées, fixées par chaque éditeur, ce que pourrait conclure l’étude d’impact commanditée par le ministère.

Des doutes furent émis sur l’indépendance de l’étude et sur son poids dans les décisions qui seront prises. Si l’accent a été mis sur les « forces telluriques » en mouvement pour un accès gratuit à des œuvres devenues simples informations et noyées dans un « puits sans fond », on a aussi évoqué une autre manière d’aborder l’édition, à l’image du projet Episcience permettant aux éditeurs de puiser dans un fonds « libre ».

Un débat à suivre

Le travail éditorial a-t-il encore une utilité ou cette mobilisation n’est-elle que la défense d’un pré carré appelé à disparaître ? Doit-on repenser l’activité éditoriale en s’appuyant sur le libre accès, mais aussi sur la libre réutilisation, y compris par des maisons d’édition privées ? Mais quel financement alors pour ces produits éditoriaux qui jouent aussi un rôle pour la visibilité et la notoriété d’un chercheur auprès d’un public plus vaste, mais aussi pour la circulation des connaissances dans la société ? Comment résoudre le conflit entre le modèle économique éditorial et le modèle académique alors que les bibliothèques jouent (en s’abonnant ou en payant des services) ou sont appelées à jouer (dans leur propre établissement, en organisant le libre accès, voire par des activités éditoriales) un rôle majeur ?

« Votre petit business model, il ne m’intéresse pas », avait-on entendu lors des journées Couperin. Oui, certainement, à l’aune universitaire où le dépôt [2] de tous les résultats de la recherche qui représentent un retour sur investissement s’impose. Mais comment diffuser les résultats de la recherche auprès d’un public plus vaste ? Au-delà du moissonnage par des moteurs de recherche d’articles en libre accès, on peut envisager un regroupement particulier des articles, commander des articles à des auteurs, restructurer les articles déposés, demander la réécriture de certains passages, ajouter des compléments éditoriaux …. Tout ce travail serait-il inutile ? Les bibliothèques sont-elles prêtes à financer (d’une manière ou d’une autre) ces revues utiles aussi à certains de leurs étudiants et à un public d’amateurs éclairés ? Quelles bibliothèques ?


[2] Il me semble que le recteur de l’Université de Liège ne mettait l’accent que sur le dépôt, et qu’il ajoutait que leur accès dépendait de la politique de l’éditeur.

Via un article de Michèle Battisti, publié le 28 février 2013

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