Un autre regard sur la copie

Avec « Copie, modes d’emploi », n°32-33 de la revue Médium, juillet à décembre 2012

Lire l’analyse de Régis Debray

Copier, quelle horreur au regard de la déontologie et du droit ! Voici pourtant un ouvrage qui dédramatise la question en analysant la « genèse » de la copie et ses « variantes », et en présentant diverses « transgressions » et « offensives » autour de la copie.

Que de facettes à aborder, en effet, de la copie de la grotte Chauvet à la copy party, des anges à la fausse monnaie, de l’estampe au produit culturel, de l’interprétation à la communication télévisuelle, de la photographie vintage à la musique concrète, de Wikileaks à Wikipédia, des icônes byzantines au moine copiste, d’un faux Véronèse à la Tour Eiffel miniature, du sac Vuitton à la brebis Dolly, du gène à la génétique textuelle, du Cloud aux UGC ou User generated content, ces créations faites par des usagers dans un cadre non commercial, … La question semble inépuisable.

Que de déclinaisons aussi pour la copie, au-delà du simple copier-coller (et ses multiples acceptions), de la réplique ou de la duplication, tour à tour qualifiée de pastiche, (auto)citation, hommage, plagiat, clone (qui n’est jamais une copie conforme), recyclage, variation, mutation, traduction, permutation, découpage, détournement, hybridation, collage, symbiogénèse, … pour le poids accordé à l’intertextualité, l’imitation, l’inspiration, la revisitation, la réminiscence, l’emprunt, l’incise, l’allusion, l’inclusion, la transposition, la transformation, la transcription, la reprise de motifs, l’arrangement, au mixage, au fragment … Des pratiques, aux multiples zones grises, qui présentent souvent des « difficultés pour placer le curseur entre emprunt frauduleux et emprunt créatif ».

On y évoque des copieurs légitimes, des adeptes du kopinisme, (étonnante) religion reconnue en Suède, mais aussi des voleurs et des usurpateurs, des « créateurs endettés », … Le « durcissement juridique » lié à la naissance, au XIXe siècle, du mythe romantique de l’auteur dont la création serait unique (l’originalité, requise pour une protection juridique, ne signifie-t-elle pas aussi bizarre comme on s’est plût à le rappeler ?), l’est sans doute bien plus par le poids de l’industrie culturelle. Ou lorsque l’œuvre devient produit, marché.

La copie, une transmission nécessaire. Mais si « apprivoisée, édulcorée, policée », « la copie [qui] s’administre comme une drogue légère … stimule sans causer trop d’effets secondaires » est créative, elle peut avoir des effets néfastes. C’est ce que démontre un détour sur l’« éthique de la citation », ou lorsque de « petites phrases [se traduisent par de] gros dégâts ». Par ailleurs, puisque « l’enfer c’est le même », si la copie fascine, elle dérange aussi. La copie n’est-elle pas un courant esthétique, légitimé alors pour certaines œuvres (mais non légalisé, comme ce fut justement souligné) par les institutions culturelles ?

La copie circonscrite à son produit, opposée alors à l’original (c’est ce que fait le droit qui l’encadre), est aussi une activité associée à l’apprentissage et à la réflexion. L’occasion d’évoquer le conflit des attentions, la culture de l’écran, associée au hit, que si « lire fut différent dans le passé », il peut l’être aussi dans l’avenir. L’occasion aussi d’évoquer les jeunes générations pour qui copier-coller n’est qu’une technique informatique, sans droit particulier, liée au routing, au caching, au browsing, au streaming et au content embedding (ni citation ni copie mais transclusion). Droits ou exceptions ?

Quelle valeur accorder au document téléchargé, converti, compressé, copié-collé, largement partagé sur les réseaux, ce qui peut s’avérer troublant, l’effort se trouvant ici dans la maîtrise d’outils ? Quelle valeur accorder au clic, au retweet, au like, accompagné quelquefois de commentaires, donc susceptible de favoriser la co-création ? Quel statut, quelle valeur accorder à l’œuvre restaurée, déplacée quelquefois ? Ou lorsque le faux semble plus vrai que le vrai, mais aussi magie de l’original et de l’emplacement de l’œuvre. Que d’ambiguïtés !

Il fallait aussi évoquer ces « industriels de la copie » que sont Google, Facebook, Amazon, … , la dépossession des données et des documents au gré de l’acquisition ou de la cession des plates-formes d’hébergement, et les risques pris ainsi pour la diffusion de données privées, voire secrètes, mais aussi pour la conservation du patrimoine culturel mondial. Pour pallier les risques courus pour le patrimoine, ne conviendrait-il pas, en effet, d’envisager très sérieusement d’ouvrir davantage les droits accordés pour des usages privés mais aussi collectifs de la copie ?

Sur le plan économique, juridique ou sociétal la copie, qui favorise la création a une valeur. Rien de neuf sur ce point. Mais où placer aujourd’hui le curseur de l’interdit ? Si vous ne trouverez aucune réponse précise à cette question, vous ne verrez sans doute plus la copie de la même façon après avoir lu cet ouvrage, bel objet éditorial par ailleurs, qui reprend les interventions d’un séminaire tenu en avril 2012 (mais par souci d’exclusivité tout commentaire via Twitter furent interdits, apprend-on aussi).

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


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Via un article de Michèle Battisti, publié le 8 janvier 2013

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