Quelle exception pédagogique voulons-nous ?

Dans un de ses billets récents, Lionel Maurel attirait l’attention sur une velléité de modifier l’exception pédagogique et de recherche.

Dans « le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République  », on trouve en effet un article 12 qui « vise à simplifier l’application du code de la propriété intellectuelle en élargissant le domaine de l’exception pédagogique (..) ».

Dès 2006, après l’adoption de la loi Dadvsi qui a introduit plusieurs nouvelles exceptions au droit d’auteur, nous étions plusieurs à trouver que l’exception pédagogique était inapplicable et qu’elle serait inappliquée.

Telle est en effet, la version adoptée à l’époque et toujours en vigueur de l’exception qui autorise la « représentation ou la reproduction d’extraits d’œuvres, sous réserve des œuvres conçues à des fins pédagogiques, des partitions de musique et des œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit, à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que le public auquel cette représentation ou cette reproduction est destinée est composé majoritairement d’élèves, d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs directement concernés, que l’utilisation de cette représentation ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu’elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l’article L. 122-10 ».

On comprendra que des explications se soient toujours avérées indispensables et ce d’autant plus que l’exception n’était pas en vigueur en tant que telle mais sous couvert d’accords sectoriels, terriblement pointillistes, conclus entre plusieurs sociétés de gestion collective et deux ministères.

Dans le projet de « loi Peillon », les modifications, effectivement « minimalistes », sont au nombre de 2 :

- Passons rapidement sur la possibilité d’insérer des d’extraits d’œuvres, « pour l’élaboration et la diffusion de sujets d’examen ou de concours organisés dans la prolongation des enseignements ». C’est ce qu’autorisent, depuis 2006, les accords sectoriels. Une précision utile, peut-être, même si les fins pédagogiques pouvaient être comprises dans un sens extensif, mais qui ne représente pas un changement radical.

- La deuxième modification, plus intéressante, supprime l’exception à l’exception (toujours amusant à présenter lors des formations sur le droit d’auteur) qu’étaient les œuvres « réalisées pour une édition numérique de l’écrit », soit la partie soulignée dans le texte ci-dessus, exclue donc précédemment de l’exception. Si la proposition de M. Vincent Peillon était adoptée, on pourrait envisager d’utiliser, sous couvert de cette exception, des œuvres déjà numérisées et non se contenter des numériser des œuvres. En 2012, il était temps ! (Même s’il est vrai que les accords sectoriels avaient fini par accorder quelques usages numériques).

Dans son billet, Lionel Maurel soulignait fort justement que les accords sectoriels étaient inadaptés. Je renchéris : trop de détails – j’ai dû mal à imaginer quiconque respecter scrupuleusement les limites imposées par les accords. Imaginait-on donner des ordres de grandeur ? Par ailleurs, il est certes regrettable que rien ne soit mentionné sur les ressources « ouvertes ». Mais rien n’empêche d’y recourir.Je crois aussi en la vertu de l’exemple.

Plus grave, me semble-t-il, une exception pédagogique non applicable aux établissements qui ne dépendent pas des deux ministères signataires des accords sectoriels. En raison de la compensation financière à organiser, tout un pan de l’enseignement ne peut pas bénéficier aujourd’hui de cette exception. Pourquoi ne serait-elle pas, par ailleurs, applicable à la formation continue, exclue aussi des accords sectoriels, à l’heure où la formation tout au long de la vie joue un rôle majeur ?

Je me surprends à reprendre les arguments donnés en juillet 2012 par un groupe de travail de l’IABD au questionnaire sur les exceptions au droit d’auteur remis par la Hadopi. L’occasion de leur redonner une nouvelle vie.

Qu’avait- préconisé l’Interassociation dans ses remarques ?

  • A propos de l’exception

« Une exception à élargir à tous les actes pédagogiques car « il est inutile d’exclure les œuvres ludiques (les serious games ont un rôle éducatif indéniable) ou purement esthétiques, difficiles à distinguer de celles qui ne le sont pas.

Une exception non limitée aux sources papier ; tous les supports et tous les types d’œuvres doivent être réintégrés dans son champ d’application, sans en exclure les partitions ou les manuels.

Les extraits d’œuvres couverts par une nouvelle exception à des fins de citation, tout comme la revue de presse. Il devient inutile d’instaurer une exception pour couvrir cet usage lorsque celui-ci respecte les conditions attachées à la citation telle que préconisée par la directive européenne : une autorisation pour  des citations faites à des fins de critique ou de revue, pour autant (…) et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi”.

La compensation financière couvrirait l’utilisation des œuvres numériques intégrales, appliquée à la mise à disposition d’œuvres présentes licitement dans les fonds des bibliothèques (achat, prêt, au titre d’un service, don..). Selon des récentes études sur les usages du numérique dans les établissements d’enseignement, pour alimenter leurs supports pédagogiques, les enseignants complètent leurs discours par différentes œuvres couvertes par des licences ou trouvées sur les réseaux sans prendre la peine de les numériser. Faire échapper les manuels à l’exception n’a de ce fait aucun sens. Ils relèvent de l’exception de citation (voir ci-dessus), ou d’une licence.

  • A propos des accords sectoriels

Conclus entre les ministères et les sociétés de gestion collective stipulent qu’il est interdit de diffuser les bases de données d’extraits mais que les travaux pédagogiques contenant des extraits pourront être diffusés sur Intranet et des extranets. Or, l’indexation des œuvres dans les bases de données doit être possible pour les besoins des enseignants et des professionnels, puisque ceci n’a qu’un seul objectif : aider à concevoir d’autres supports pédagogiques. Une telle restriction est absurde, puisqu’il n’y a aucun moyen de capitaliser les opérations déjà réalisées, et contre-productive si elle devait être suivie.

Les limites quantitatives imposées par les accords sectoriels sont inapplicables et, de toute manière, inappliquées. Il convient d’adopter la notion d’extraits, entendue au sens de proportionnalité aux objectifs visés. Aucune distinction ne devrait être établie entre les disciplines, au risque de retrouver le pointillisme décrié plus haut. Comment faire de l’histoire (tout court), sans montrer des peintures, des sculptures, des photographies, des cartes ?

Les élargissements souhaitables et possibles. Dans les accords sectoriels qui interprètent aujourd’hui l’exception pédagogique, les supports et travaux pédagogiques contenant des extraits doivent pouvoir être mis en ligne sur des extranets.. Réutilisés, ils acquièrent une plus grande visibilité, incitent les achats ou d’autres formes de reconnaissance …. Les supports « gagnent » à être mutualisés.

Sur un autre plan, l’administration peut exploiter de plein droit les droits d’auteurs de ses enseignants et de ses chercheurs (sauf pour les ouvrages qui ne relèvent pas de l’exception pédagogique). Il en est de même des articles de recherche lorsque la recherche est financée sur des fonds publics. Les œuvres créées par les enseignants et les chercheurs pourraient bénéficier d’une diffusion au sein d’un établissement (y compris sur des extranets).

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élargissement, l’IABD souligne que les exceptions au droit d’auteur ne doivent pas être contournées par des licences ».

Illust. Standing on the shoulders of giants. Rosa Menkman. Flickr CC by

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


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Via un article de Michèle Battisti, publié le 23 décembre 2012

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