Du côté des éditeurs …

Wordle: Francfort

Chaque année, le Groupement français de l’industrie de l’information (GFII) organise un voyage d’étude à la Foire de Francfort. Utile, donc, fut ce retour de Francfort proposé par le GFII le 31 octobre 2012 pour faire le point sur l’édition, d’où ce résumé qui, comme celui réalisé l’an dernier, semblait s’imposer.

De manière générale, on constate que le marché de l’édition mondiale qui présente des divergences entre l’édition grand public, en plein bouleversement, l’édition professionnelle, stable, et l’édition scolaire, en développement, garde (encore) quelques caractéristiques nationales.

Un voyage et des tags

Tsunami 

C’est ce que représente aujourd’hui le livre numérique pour les éditeurs grand public. Considéré jusqu’alors par ceux-ci comme une simple « curiosité », le livre numérique modifie à présent brusquement et profondément leur modèle économique. Ce sont donc des investissements importants qu’ils envisagent d’engager et le rapprochement entre Penguin et Random House annoncé le 31 octobre 2012, serait lié à la nécessité de partager les coûts imposés par le numérique.

Autoédition

Avec le KDP (Kindle Direct Publishing) d’Amazon, un service d’auto-publication proposé aussi par Kobo, voire sans doute très prochainement, selon la rumeur, par Apple, les éditeurs perdent le monopole de la « captation des talents ». L’auto-édition mine le métier et l’image de l’éditeur auprès du public et des auteurs (bien que les auteurs repérés restent ravis d’être publiés ensuite par de « vrais éditeurs »).

L’auto-publication court-circuite l’éditeur. Avec KDP, il n’y a pas de cession de droits d’auteur à un éditeur dans ce modèle où le prix est fixé par l’auteur qui récupère 70 % des ventes alors que dans l’édition classique, il n’en perçoit qu’entre 6 à 20 %. Avec son service de statistiques en ligne, Amazon est par ailleurs plus transparent pour les auteurs, qui en tirent un intérêt financier lors de la reddition de leurs comptes.

GAMA

Avec Gama (Google Apple Microsoft Amazon), acteurs dont aucun n’a de racine dans le monde de l’édition, mais qui se positionnent tous sur l’e-book, les éditeurs sont confrontés à des puissances financières qui fondent leur modèle sur la vente de hardware ou de publicités leur permettant d’engranger des sommes importantes, et non sur la valeur des contenus.

Amazon n’est qu’un canal de distribution. Avec son service d’auto-édition, non seulement ce sont les auteurs qui s’éditent et font leur propre promotion, mais Amazon qui répond à une logique de catalogue et récupère 30 % du prix sans prendre aucun risque, détourne une partie du flux économique des éditeurs.

C’est aussi un modèle fondé sur une baisse drastique du prix du livre, où les éditeurs perdent la maîtrise du prix de leurs ouvrages et de leurs marges (alors que le dumping à long terme n’est pas envisageable). La France qui permet aux éditeurs d’imposer un prix fait figure de cas très particulier. Mais ce n’est pas une « valeur partagée par d’autres marchés », où l’on a considéré que le droit de la concurrence primait, donnant ainsi gain de cause à Apple et Amazon.

Big data

Aujourd’hui ce sont des millions de titres qui sont disponibles sur les réseaux. Dans cette offre pléthorique, où l’éditeur perd le contact avec lecteur final, on peine à faire un tri, mais aussi à se faire connaître. Avec le numérique, les coûts marketing qui permettent « d’émerger du lot » prennent ainsi le pas sur les coûts de production. L’accent sera fatalement mis ainsi sur les best-sellers, modèle d’édition (plutôt) anglo-saxon qui sera généralisé.

Stabilité

C’est le cas de l’édition professionnelle qui fait partie des 12 du top 50 des éditeurs, où Elsevier notamment surpasse largement Hachette Livre et où la conversion numérique est terminée depuis longtemps. L’édition professionnelle, choix fait par certains éditeurs dans les années 90, reste intéressant tant en termes de chiffre d’affaires que des marges (20% contre 8 % pour l’édition grand public). L’Open Access n’a aucun impact sur un modèle de « location reconductible » (autrement dit d’abonnement), les mises à jours étant indispensables, toujours aussi financièrement rentable.

Révolution différée

Si le développement du e-learning est « palpable », on peine encore à évaluer son ampleur. Pour tenter d’en cerner l’impact, quelques éléments sur l’édition scolaire : Pearson, un éditeur pesant 5 000 milliards $ de chiffre d’affaire qui poursuit sa croissance et des suiveurs largement distancés, des contenus éducatifs définis sur une base nationale car liés aux cultures en matière d’acquisition des connaissances et des évaluations, et, pour l’enseignement scolaire, à la politique publique d’édition[1], et un marché souvent captif, comme aux Etats-Unis où l’achat de livres chers est imposé aux étudiants !

S’il y a une « force industrielle » qui pousse à la numérisation, que le mobile et l’interactif prennent du poids, on note un décalage entre les générations d’étudiants et d’enseignants, des pédagogues réservés sur la qualité de l’apprentissage et une édition scolaire classique qui n’a pas intégré cette dimension. Soulignons aussi que l’encodage des savoirs impliqué par le numérique s’avère plus facile pour certaines matières, que les contenus éducatifs enrichis [2] et interactifs, utiles dans certaines disciplines, demandent des investissements importants permettant ainsi à des grands groupes de se renforcer, mais présentent des risques quant à la nature des contenus largement diffusés. On note toutefois que de nouveaux acteurs tels que AcademicPub, apparaissent pour proposer une plate-forme d’édition permettant aux éditeurs de mutualiser les coûts.

Silence

Il y a peu de temps encore, le livre numérique devait être un livre augmenté, avec une forte dose de multimédia. Aujourd’hui, le chiffre d’affaire se fonde surtout sur la « vente de mots sur une page blanche », très « volatile », autrement dit facilement copiable.

Silence pourtant sur les DRM (seraient-ils abandonnés comme dans le secteur musical ?), silence aussi sur les droit d’auteur, extraordinaire paradoxe, la Foire de Francfort étant surtout un lieu de négociation des droits d’auteur. Combien de temps toutefois va perdurer la durée de cession des droits à l’éditeur de 70 ans après la mort de l’auteur, sous la pression de la Commission européenne qui milite pour un meilleur équilibre entre éditeurs et auteurs ? Combien de temps encore les auteurs accepteront-ils des droits plus faibles, préférant être publiés par un vrai éditeur, sachant, par ailleurs, que Google a le moyen de s’offrir les 8 plus grands éditeurs mondiaux généralistes ? Les droits numériques, trop souvent occultés par les éditeurs français, sont une vraie question. Il est étonnant de constater aussi que les éditeurs ne semblent pas connaître les licences Creative Commons. Avec le livre enrichi, on peut donc effectivement s’attendre à une « jurisprudence élargie ».

Miscellanées

La notoriété de marques telles que Gallimard, Hachette, … reste, pour quelque temps encore, un atout important. Mais ce n’est déjà plus le cas pour les nouvelles générations.

L’édition communautaire, une niche pour des thèmes pointus pour de « vrais éditeurs », s’ils savent animer une communauté.

Un nouvelle génération de workflow éditorial, avec des acteurs comme Jouve qui s’orientent vers une logique de full service où l’éditeur qui conçoit le produit est accompagné dans toutes les phases ultérieures : relecture de copies, création d’illustrations, …

Le poids des contenus pour les mobilesproduits d’appel pour une gamme de produits plus large, et perçus comme moyen de maintenir le contact.

Le workflow et silos du chercheur vont évoluer avec le poids pris par le Cloud pour le chercheur et pour le e-learning.

La rematérialisation des livres numériques pour répondre à la nécessité d’une identification visuelle dans un environnement classique, utile aux bibliothèques dont l’offre sera plus visible.

Les métadonnées enrichies découvertes par les éditeurs généralistes dont le coût va baisser avec l’automatisation de leur création, leur poids pour les actions de marketing et l’émergence d’un marché de la métadonnée (sur lequel les bibliothèques doivent se positionner).

La notion d’écosystème, système d’interrelations entre contenus (auteur /éditeurs), traitement (workflow éditoriaux), terminaux, applications/plateformes, services aux consommateurs (cloud, localisation, dictionnaires, traduction, lecture sociale, créations communautaires, …), source de synergie positive ou négative.

Sauf quelques exceptions, peu d’avenir pour les start-up, mais l’émergence des éditeurs des pays émergents (Inde, Chine, Brésil), pour une édition qui, avec des textes et des images visuellement très différents, démontre la variété des cultures de communication.

Ill. Retour de Francfort 2012, créé avec Wordle.Plagiat que ce nuage de tags. N’ayant pas pris le temps de demander l’autorisation de reprendre le nuage créé pour retracer les informations relevées par les participants à ce voyage, j’ai créé le mien.

Notes

[1] Aux USA, le chiffre d’affaires de 3 grands éditeurs a diminué après la baisse du budget des États prescripteurs.

[2] Dans le domaine scientifique, la valeur ajoutée de l’article enrichi (très différent du livre enrichi) porte sur la navigation vers des vidéos et des jeux de données qui ont du sens pour le chercheur. L’ouverture des jeux de données de la recherche est un signal encore faible mais appelé à avoir du poids.

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 7 novembre 2012

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