Taxer ou ne pas taxer ? Bataille autour du paiement du référencement de la presse

« Presse », « proposition de loi », « lien », « moteur de recherche », « taxe », « Allemagne », ces quelques mots-clefs ne pouvaient qu’attirer mon attention. Dans un article du 21 août 2012, publié sur sur le site Gigaom, Google s’élève contre une proposition de loi allemande qui entend créer une taxe sur le référencement des articles de presse. Cette velléité de faire payer les liens proposés pour accéder à des informations sur Internet n’est pas nouvelle et je l’avais déjà commentée en mars dernier.

De quoi s’agit-il ? Exiger des moteurs de recherche qu’ils s’acquittent d’une taxe, d’après l’article non pour le lien lui-même mais parce que celui-ci fait apparaître le titre et les premières lignes [1] de l’article, autrement dit parce qu’il se traduit par une reproduction partielle (même si les articles sont accessibles gratuitement, droit d’accès ne signifie pas droit de copier). Que quelques éléments d’un article puissent être protégés par le droit d’auteur, c’est ce que soulignait un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), se prononçant sur des séries de 11 mots extraits d’articles de presse. J’ignore si la proposition de loi allemande l’évoque, mais l’atteinte au droit d’auteur pourrait être revendiquée.

L’enjeu : Financer la presse et le nerf de la guerre. Les sommes collectées au titre de cette taxe seront reversées à la presse, ce qui a pu être perçu comme un moyen de subventionner un secteur à qui il est reproché un manque d’imagination pour trouver des sources de financement. « Publishers should be innovate in order to be successful », affirme le représentant de Google. Pas facile tout de même ! Certes, être référencé par Google, accroît le trafic sur son site, et Google reverse un pourcentage des revenus générés par AdSense, son service de publicité contextuelle. Mais la manne publicitaire, liée à l’importance d’un trafic, n’est pas infinie et ne peut être envisagée comme étant l’unique panacée.

Google n’aurait-il pas tiré profit de la presse sans y investir ? Si, pour Google, la contrepartie se trouve dans le trafic qu’il a créé et le pourcentage reversé sur la publicité, on a pu considérer que cela était insuffisant et proche de l’agissement parasitaire [2]. Mais pour Google, taxer les moteurs, pour la plupart américains, est une décision qui a été qualifiée de protectionniste, liée au poids économique, donc politique, d’Axel Springer, l’un des éditeurs majeurs du pays. En Allemagne, on avait aussi songé à faire payer les entreprises pour les articles lus sur internet dans un cadre professionnel, solution toujours privilégiée par la presse allemande ! Que les entreprises doivent payer pour accéder aux articles de presse accessibles gratuitement sur Internet, pour Google, cela représente un danger pour l’économie allemande, un argument qui m’a laissée perplexe.

Dans le passé, on rechignait déjà à payer des copies d’articles de presse faites dans un cadre collectif, certes, dans leur intégralité, à l’époque, et on y avait mis le holà, en France, en instaurant en France une loi sur la reprographie. Une très vieille histoire, certes, à replacer au début des années 1990 ! Aujourd’hui la gratuité reprend du terrain, avec une force nouvelle, et la presse réagit. Que doit-on attendre plus de 20 ans après, alors que l’environnement a considérablement changé, tant du point de vue technique, que des usages et de l’économie, et que sont apparus de nouveaux acteurs ? Quel modèle économique pour la presse  ? L’accoler à des services payants de diverse nature, comme certains l’ont fait avec succès, quelque fois de manière plus étonnante, voire dérangeante  ? La presse doit-elle être gratuite et considérée comme un bien commun ? Un point de vue qui repose la question de son financement.

Que met ainsi en exergue cet article ?

  • Au niveau économique, le poids de la gratuité

- Cette taxe toucherait tous les portails de liens et non uniquement un mastodonte comme Google, qui, contrairement à d’autres acteurs, pourrait s’acquitter de la taxe, ce qui engendrerait un risque de monopole. Inquiétant ! J’imagine toutefois qu’il s’agit de moteurs ou d’agrégateurs qui, comme Google ou Meltwater, tirent des bénéfices en mettant à la disposition de leur clients des articles de presse accessibles gratuitement sur les réseaux.

- Un déréférencement de la presse allemande par les moteurs, en réaction, à l’image de ce qui s’est passé en Belgique après une condamnation par les juges belges, mettrait la presse allemande à l’écart. Signalons tout de même que les juges belges ne s’opposaient pas au référencement par Google, mais surtout, semble-t-il, au manque à gagner du à l’accessibilité des articles, via des copies caches, sur Google News.

Mais, « plus le temps passe, plus un passage au payant sera difficile », soulignait aussi en 2011 Le vif, un titre de presse belge.

  • Au niveau juridique, le poids de l’op-out

Le référencement est indéniablement dans l’« esprit du web » et l’opt-out semble de plus en plus une tendance de fond dans l’environnement numérique. Qu’on le veuille ou non, Google avait amorcé ce mouvement et Google réplique toujours avec les mêmes arguments, arguments qui appellent aussi quelques commentaires Ne rappelle-t-on pas dans cet article qu’on peut recourir au robot.txt pour bloquer l’accès aux moteurs et qu’en 2007, on évoquait la balise noarchive qui évite aux articles de presse d’être reproduits dans des caches ? Autrement dit, il appartiendrait désormais aux ayants de droit de se prémunir de tout copie non voulue et, à défaut, ils seraient réputés autoriser le référencement par les moteurs ? Ceci (dois-je le rappeler ?) renverse les règles de droit d’auteur, où l’opt-in, soit un système où une autorisation expresse préalable est nécessaire, prévaut encore.

  • Le référencement, une opportunité ou une menace pour l’accès à l’information ?

Faciliter l’accès à l’information est un autre argument en faveur du référencement souvent utilisé par Google. Référencer, une opération essentielle pour l’accès à l’information, sans nul doute, mais qui pose aussi un problème majeur, celui de la hiérarchisation des informations, si ce sont les nouvelles les plus triviales, car plus populaires, qui occupent le devant de la scène, un aspect rarement souligné, et qui est, à mes yeux, particulièrement grave. On peut aussi imaginer contrecarrer Google en proposant son propre portail à l’image de ce qu’envisage de faire Axel Springel (une autre forme de hiérarchisation, certes, mais ce ne serait plus la seule), et on n’hésitera pas non plus à reprendre l’argument que représente le poids de l’éducation et de la formation à la recherche de l’information.

Illustr. Magnet Scott Hamlin, Fotopedia CC by-nc-sa
Honni soit qui mal y pense ! Repris pour illustrer le référencement et non une collecte des taxes.

Références

  • Google lashes out at German Copyright « threat », David Meyer, Gigaom, 21 août 2012
  • L’Allemagne veut obliger Google à verser une taxe aux éditeurs de presse, rfi, 6 mars 2012.
  • Allemagne : la « lex Google » veut faire payer les liens vers des articles de presse, AFP, Ecrans, 5 mars 2012
  • Google désindexe la presse belge, Jérôme G., GNT, 18 juillet 2011, 19 juillet 2011,
  • Google s’accorde avec la presse belge, Guerric Poncet, Le Point, 19 juillet 2011
  • Googe vs Copie pressse. Et si les éditeurs se trompaient de combat ? Le vif, 19 juillet 2011
  • Pour Google, la presse belge francophone n’existe plus, Pascal Riché, Rue 89, 16 juillet 2011

Gratuité et modèle économique de la presse est un thème complexe, que je me suis bornée à évoquer. Pour un aperçu, un article de Marie Schweitzer, écrit en avril 2009 dans Les Cahiers du journalisme.

Notes


[1] L’article évoque les premiers paragraphes, ce qui est sans doute excessif.

[2] Une qualification qui n’est pas évoquée dans cet article, mais dans un autre article de Gigaom concernant Meltwater

 

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 27 août 2012

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