Lobbying pour les indisponibles et les orphelins

 

A propos de l’action menée par l’Interassociation Archives-Bibliothèque-Documentation (IABD) (Intervention : 10 mn lors du Congrès de l’ABF, le 9 juin 2012)

Que sont ces indisponibles et ces orphelins ? Pourquoi s’y intéresser ?

 

  • Avant les indisponibles, il y avait les épuisés

Un point commun : il s’agit d’œuvres qui ne sont plus commercialisées. Or, dès lors que l’éditeur n’exploite plus commercialement une œuvre, l’auteur peut recouvrer ses droits, selon des conditions définies par le Code de la propriété intellectuelle (CPI). Peu d’auteurs le savent ou, s’ils le savent, peu d’entre eux exploitent cette possibilité qui leur est accordée lorsque l’œuvre est épuisée.

  • L’épuisement : une question cruciale avec le numérique

L’expérience d’Amazon, de Google … les éditeurs ont eu l’idée de numériser les œuvres de leurs catalogues pour leur donner une nouvelle vie commerciale.

Comme l’éditeur est tenu d’assurer « une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession », on peut considérer qu’à défaut, les contrats sont résiliés.

Cette question se pose d’autant plus que les droits numériques, droits permettant de numériser une œuvre et de l’exploiter, n’ont généralement pas été cédés dans le passé à l’éditeur dans les contrats d’édition initiaux.

  • Et les indisponibles apparaissent …

Ce glissement sémantique, de l’épuisé à l’indisponible, met l’accent sur l’absence de commercialisation mais occulte la disparition de la cession des droits au profit de l’éditeur.

Dans la loi nouvelle adoptée, le 1er mars 2012, le nouvel article L134-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), précise qu’un livre indisponible est « un livre publié en France (…) qui ne fait plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur et qui ne fait pas actuellement l’objet d’une publication sous une forme imprimée ou numérique ».

  • Des orphelins parmi les indisponibles

Des auteurs non mentionnés ? Des auteurs mentionnés mais qu’on ne peut pas (plus) localiser ? On se trouve face à des œuvres orphelines.

L’œuvre n’est plus commercialisée, il n’y a plus de droits à verser à l’auteur d’une œuvre et donc peu d’incitation à garder en mémoire les adresses successives des auteurs, puis, après leur mort, celles de leur ayants droit. Il peut donc s’avérer assez rapidement difficile de les retrouver pour négocier les droits dont a besoin pour exploiter leurs œuvres.

Il faut pourtant retrouver les auteurs car la loi est imparable : tout nouveau mode d’exploitation non prévu par le contrat au départ nécessite une nouvelle négociation. Si la numérisation n’est pas mentionnée, si un intéressement de l’auteur n’est pas expressément prévu dans le contrat, l’éditeur serait tout bonnement contrefacteur.

  • Des lois et des directives pour régler la question

Le projet Europeana ou, pour les éditeurs, la longue traîne pour les éditeurs, trouver des solutions légales s’imposait.

Avant la loi de mars 2012 sur l’exploitation numérique des livres indisponibles, des accords avaient été conclus  :

- en novembre 2010, entre Hachette avec Google pour numériser le catalogue d’Hachette, ce qui a fait l’effet d’une bombe puisque des négociations portées par le ministère de la Culture étaient en cours ;

- en février 2011, finalement, entre le SNE, le ministère de la Culture et la BnF pour organiser la numérisation de 500 000 ouvrages indisponibles, soit une grande partie du patrimoine culturel du XXe siècle.

Quant à la directive européenne sur les œuvres orphelines, sur le point d’être adoptée prochainement, soit en 2012, on peut faire remonter les premières réflexions approfondies à l’année 2006.

  • Pourquoi les bibliothèques doivent-elles s’y intéresser ?

Parce qu’elles ont dans leur collection des livres indisponibles et des œuvres orphelines et parce qu’elles ne peuvent pas les diffuser en ligne, du moins sur l’internet .

Parce que cette loi et cette directive auraient pu faciliter la mise à disposition numérique des ces œuvres présentes légalement dans leurs fonds

  • Qu’a fait l’IABD ?

Au niveau européen, elle s’est appuyée sur Eblida, puis sur Information sans frontières, chargées du lobbying au nom d’Eblida, de Liber, de Jisc et d’Europeana, sur plusieurs sujets ouverts en ce moment : les orphelines mais aussi la réutilisation des informations publiques.

Au niveau national, elle a fait des déclarations à différentes étapes de la proposition de loi sur les livres indisponibles, mais aussi lorsqu’une proposition sur les œuvres visuelles orphelines avait été examinée par le Sénat. Auparavant, encore, lorsque les premières velléités de directive européenne étaient apparues en Europe, lorsque le CSPLA avait produit son premier rapport et lorsque Google avait fait parler de lui, …

Au-delà des nombreuses déclarations mises en ligne sur le site de l’IABD et lues par divers acteurs du monde économique et politique, des représentants de l’IABD ont été auditionnés par des membres du Sénat et de la Chambre des députés.

Des amendements aux deux propositions de lois (œuvres orphelines visuelles et livres indisponibles) ont bien évidemment été déposés.

  • Pour quels résultats ?

L’IABD œuvre pour obtenir un accès équilibré à l’information.

Lorsqu’il s’agit d’œuvres orphelines, les marges de manœuvre accordées aux bibliothèques par la nouvelle loi sur les livres indisponibles sont trop étroites. Mais sans l’IABD, il y a fort à parier qu’aucune disposition n’aurait été prise en faveur de l’usage des œuvres orphelines en bibliothèque.

Doit-on s’en contenter ? Baisser les bras au regard des faibles résultats obtenus au regard des efforts qui ont été menés (voir ci-après, la liste des communiqués de l’IABD) ? Non, bien sûr. Le lobbying se poursuit.

Il convient de s’appuyer sur les lois et règles en vigueur et négocier notamment en prouvant la non-concurrence entre les œuvres mises à la disposition du public en bibliothèque et l’exploitation commerciale des mêmes œuvres par les éditeurs. Puisque tel est l’enjeu, bien sûr, surtout lorsque les bibliothèques négocient avec Google pour numériser leurs livres, mais les éditeurs aussi, comme on l’a vu. Dans les deux cas, la négociation avec un acteur privé d’un tel poids est délicate et le politique doit s’y mêler.

De manière concrète, on a besoin de présenter des cas où, hors de la BnF, on a besoin d’œuvres orphelines pour alimenter un portail, réaliser une exposition virtuelle, par exemple. On en a besoin pour expliquer que la recherche des ayants droit se fait, que le gel de l’œuvre est une atteinte plus grande faites aux intérêts de l’auteur. Que la bibliothèque est prête aussi, s’il le fallait, à indemniser les ayants droit, mais que ceux-ci, bien souvent ne revendiquent pas de dédommagements financiers, lorsque l’usage est non commercial. Pourquoi une gestion collective ?

L’intérêt général, le financement de la création à terme, au bout de 10 ans lorsqu’il s’agit d’œuvres orphelines, par le reversement des droits à des sociétés de gestion collective ? La valorisation des œuvres par les bibliothèques l’est tout autant.

Agir sur la loi, certes, mais les impératifs économiques de certains acteurs sont indissociables eux aussi. Et la négociation contractuelle apparaît. Couperin, Carel … mais ce sont des négociations difficiles, comme le démontrent les problèmes rencontrés avec les éditeurs scientifiques (Appel d’Harvard). Une voie par des licences nationales  ? Le politique apparaît et avec le politique la notion de proportionnalité consistant à mesurer les enjeux concrets des usages, en fonction d’objectifs d’intérêts généraux à atteindre.

L’adoption de la directive européenne sur certaines utilisations des œuvres orphelines est l’occasion de reprendre le dossier.

Œuvres indisponibles et orphelines. Communiqués de l’IABD

2012
Une loi sur les livres indisponibles : de la difficulté d’être orphelin ! (5 mars)
Œuvres orphelines. Lettre ouverte à Mme Gallo, eurodéputée (15 février)
Livres indisponibles. L’article L 134-8 n’empêche en rien une exploitation commerciale des œuvres orphelines (30 janvier)
L’article L. 134-8 est essentiel pour l’équilibre de la loi sur les livres indisponibles (25 janvier)
Pour une exploitation gratuite des œuvres orphelines respectant les droits de chacun ! (16 janvier)

2011
Exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle : pour des usages collectifs des livres orphelins et indisponibles (14 décembre)
Les amendements de l’IABD à la proposition de loi sur les livres indisponibles (24 novembre)
Livres indisponibles et orphelins : quel enjeu pour les bibliothèques ? (10 novembre)
Visibilité des livres indisponibles dans les bibliothèques numériques. Quelles avancées dans l’accord définitif Hachette Livre – Google ? (25 août)
Bientôt une directive européenne pour faire renaître les œuvres orphelines (31 mai)
500 000 livres numérisés : pour quels usages ? (16 février)

2010 
Garantissons les usages collectifs des œuvres numérisées ! (7 décembre)
La proposition de loi relative aux œuvres visuelles orphelines est adoptée par le Sénat (29 octobre)
L’IABD répond au questionnaire du « comité des sages » sur la numérisation du patrimoine culturel européen (29 septembre)
Propositions d’amendements : Donner accès aux œuvres visuelles orphelines en toute légalité (23 juin)
Déclaration de l’IABD du 18 juin 2010 : Donner accès aux œuvres visuelles orphelines en toute légalité (18 juin)

2009
Numériser et communiquer en toute légalité les œuvres orphelines au public (2 décembre)

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 12 juin 2012

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