Les bibliothèques, un secteur vital pour l’économie et la société

Dans un contexte de crise économique, mais aussi de crise culturelle et des valeurs, les bibliothèques ont plus que jamais un rôle essentiel à jouer. Une conférence, co-organisée le 11 mai 2012 à Copenhague par Naple [1] et Eblida [2] visait à définir les points d’ancrage pour faire reconnaître les vecteurs d’innovation et de démocratie que représentent les bibliothèques.

Bien au-delà de l’activité traditionnelle de conservation des œuvres, les bibliothèques sont, en effet, des lieux de culture, de loisirs et de partage. Leur mission consiste non seulement à fournir un accès à l’information mais aussi, voire surtout, comme le souligne l’eurodéputée finlandaise Tarja Cronberg, à donner aux citoyens les moyens d’acquérir des connaissances et de construire une société [3]

Mais au-delà de l’accent mis sur la citoyenneté, thème de la conférence, l’aspect économique était bien présent. Les politiciens, en effet, n’hésitent pas à investir pour bâtir ces magnifiques cathédrales [4] que sont bon nombre de bibliothèques prestigieuses. Hésiter à leur donner les moyens de fonctionner est un non sens économique.

Obstacles

Le monde politique en est peu conscient et si les bibliothèques jouissent d’une bonne image, celle-ci est généralement lisse. Or les bibliothèques évoluent dans un environnement complexe où un droit d’auteur de plus en plus restrictif côtoie le libre accès et, moins complexe à mes yeux, mais avec des enjeux financiers indiscutables, un monde où les nouvelles technologies s’ajoutent à des services traditionnels. Comment répondre aux besoins du public et, par là même à l’intérêt général ? La survie des bibliothèques et, comme vous l’aurez compris, de missions essentielles pour la société et l’économie, sont à ce prix.

Les bibliothèques publiques se trouvent face à des éditeurs dont le modèle économique est lui aussi en crise. Elles doivent aujourd’hui répondre aux questions qui ne se posaient qu’aux bibliothèques scientifiques pour les périodiques en ligne. Et ces questions, comme l’a démontré récemment l’université d’Harvard [5], sont loin d’être résolues.

Que faire, lorsque l’on entend acheter des livres numériques, face à des conditions contractuelles drastiques ou inimaginables dans l’univers papier, comme les retraits a posteriori de certains titres ou des refus de vente, pratiques constatées aux Etats-Unis ? Maîtriser les règles contractuelles ou s’aider de professionnels qui savent les maîtriser est un premier élément de réponse. Mais cela peut s’avérer insuffisant et le droit de la concurrence être inopérant lorsqu’il s’agit de contrats entre bibliothèques et éditeurs.

Refusant catégoriquement de voir les pratiques américaines arriver en Europe, Eblida a invité officiellement les associations européennes d’éditeurs et de librairies représentées à cette conférence, à rédiger un Memorandum of Understantanding ou accord de bonnes pratiques, au niveau européen. L’élaboration de ce code sera accompagnée d’une campagne de sensibilisation destinée notamment aux politiciens. La lecture étant un instrument de la démocratie, la démocratie (ne mâchons pas les mots) est à ce prix.

Engager le dialogue est une excellente initiative. Attention néanmoins ! On est ici dans le domaine de la Soft Law, non contraignante, et le MoU pour l’usage des œuvres indisponibles par les bibliothèques, signé en septembre 2011, ne s’est pas toujours traduit par des résultats probants.

« Yes, you can » [6]

Dialoguer avec le monde politique, présenter des solutions et non uniquement faire part de ses craintes, présenter des points concrets prouvant que les bibliothèques font partie du secteur de l’économie créative [7], c’est sur ce plan qu’il faut se placer. Les bibliothèques ne doivent pas uniquement perçues comme des lieux de conservation du patrimoine.

Celui qui achète une œuvre à tous les droits, affirme Cory Doctorow dans une intervention (forcément) décoiffante où les éditeurs, accaparant les contenus, étaient présentés comme des pirates. Doit-on faire une analogie avec l’ouvrage papier sur lesquels on gardait une maîtrise, ou accepter que le numérique fasse basculer dans un système différent ? Vieille question toujours non résolue. Comment arbitrer, par ailleurs, entre les éditeurs qui par des DRM veulent préserver un modèle économique et obtenir un retour sur investissement, et les bibliothécaires pour qui ces DRM représentent des obstacles ?

La magnifique machine (relativement) bien huilée du monde analogique est inadaptée. Pour les éditeurs, lors de la table-ronde qui a suivi, la solution est simple : l’Etat doit financer les bibliothèques pour qu’elles puissent financer les éditeurs ; mais dans un contexte de crise, le vœu risque d’être pieu. Pour les libraires, le danger pour l’économie et la démocratie vient de Google et d’Amazon. Bonne remarque : l’impact de la désintermédiation, et la prédilection donnée au modèle B2C doit effectivement être évalué à l’aune économique et sociétale.

Les bibliothécaires ont souligné qu’ils voulaient répondre aux attentes des lecteurs et ne pas se voir imposer des limites par les éditeurs. « Méritant des conditions spéciales », pourquoi ne pas leur donner la possibilité d’acheter des contenus, leur laissant ensuite le soin d’en régler les usages ? Il n’est pas question non plus de se voir imposer les conditions en fonction de capacité à payer et le MoU préconisé par Eblida sera là pour définir les conditions d’une licence équitable.

Les éditeurs, bien souvent, bénéficient aussi d’aides publiques Dans ce cas, pourquoi ne seraient-il pas tenus d’accorder des conditions particulières aux bibliothèques ? C’est ce que l’IABD pour les livres indisponibles financés par le Grand emprunt. Négocier directement avec les auteurs ? Pourquoi pas, mais cette approche ne peut être que marginale. Enfin, quitte à parler de fonds publics, pourquoi pas évoquer les licences nationales, à l’image des négociations en cours, aujourd’hui réservées au domaine universitaire en France ?

Point de vue décalé, mais pas inintéressant que celui de Tarja Cronberg qui soulignait qu’investissement n’est pas automatiquement synonyme de créativité, et qu’il y a aussi une place pour l’imagination.

Eblida fête ses 20 ans cette année, « un bel âge pour changer de cap ! » et se présenter dorénavant comme un secteur d’activité à part entière.

Illustr. Library. A shot from the top of Copenhagen’s enormously impressive ‘Black Diamond’ Royal Danish Library.John Crossley. Flickr CC by-nc-sa

Notes


[1] National Authorities on Public Libraries in Europe (Naple)
[2] European Bureau of Library, Information and Documentation Associations (Eblida)
[3] N’allons pas trop loin toute même ; les bibliothécaires, s’ils ont pour mission de valider l’information, n’ont pas vocation à remplacer les journalistes,
[4] Quel bel exemple que la bibliothèque nationale d’Astana au Kazakhstan, parmi bien d’autres réalisations. C’est ce qui m’a frappé aussi en visitant la Bibliothèque royale de Copenhague (voir illustration).
[5] Harvard Faculty declare journal price increases unsustainable, Jonathan LeBreton, Temple University Libraries, April 25, 2012
[6] Cité pendant la conférence. On ne s’en lasse pas, même si ce slogan est a priori protégé par le droit d’auteur.
[7] Tel était l’objet de deux ateliers organisés lors de cette même journée du 11 mai.

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 17 mai 2012

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