Rencontre 3 : "Précarité, médiation, lien social et TIC" : la synthèse des rencontres du matin

Les rencontres qui ont eu lieu autour de la thématique "Précarité, médiation, lien social et TIC" ont été très riches en partage d’expérience et en dialogue, rapporchant des acteurs qui n’ont pas toujours l’habitude ou le temps de se parler. Voici une synthèse de ces rencontres.

Cet article est repris du site Psaume(Populations Socialement défavorisées et TIC : Analyse des (non-)Usages, des Médiations et des Expériences.)

Aller au devant des plus éloignés

Cette rencontre était placée sous le signe du partage d’expériences autour de l’accompagnement de populations en situation de précarité ou de très grande précarité et de la manière dont les technologies de l’information et de la communication (TIC) étaient utilisées.

Au travers des présentations de Régine Roué sur l’EPN de Kérourien (Brest) de Nathalie Lareur de l’Agheb/Le Phare (Brest), d’Yves Bucas-Français sur les cyber-agora d’Emmaüs (Paris) et des échanges qui se sont poursuivis, il ressort de manière non équivoque que c’est la prise en compte de la personne, de son projet et des liens sociaux qu’elle noue ou renoue qui est important dans les actions qui sont menées ; l’objet informatique est un instrument de ce projet. Cela ne lui ôte nullement de la valeur mais lui détermine la place qu’il occupe dans les relations humaines : même si pour certains la clé USB est devenue un « nouveau gri-gri » qui renferme tous les trésors que produit notre société de l’écrit et du document.

L’apprentissage des outils informatiques est un mode de [re-]valorisation des personnes qui découvrent ou re-découvrent le plaisir d’apprendre, de persévérer et de ‘montrer que l’on sait faire des choses’.Il donne aussi l’occasion de s’ouvrir aux autres. Non pas parce qu’Internet est « une formidable fenêtre sur le monde ! », pour reprendre la formule consacrée ; mais parce que ces espaces sont des lieux de rencontre et d’échange. C’est aussi un moyen de se cacher du regard des autres, tout en continuant à exister auprès de l’administration et auprès de ses proches.

Lieux d’échanges qui reposent aussi sur la force de la médiation portée par les animateurs, les bénévoles. Car la première difficulté à surmonter est l’hétérogénéité des personnes qui fréquentent les espaces et par conséquences l’hétérogénéité des projets. De fait, la compétence ‘technique’ n’est pas toujours mise en avant, même si Emmaüs prodigue maintenant une formation à ses bénévoles formateurs et qu’il est de plus en plus question de la professionnalisation des bénévoles.

Pour conclure, la re-construction des liens sociaux qui se produit dans ces espaces et avec les personnes qui les animent ou les occupent n’a de sens que parce qu’elle se passe dans des rapports de proximité et de familiarité.


Quels publics pour les espaces publics ?

La diffusion des TIC transite par un nombre infini d’espaces soutenus par les collectivités territoriales, portés par des associations ou des individus.

Tous affichent la volonté de permettre à tout le monde « d’accéder à la société de l’information » mais aucun n’adopte des voies similaires.

Les actions de diffusion et de familiarisation des technologies numériques s’inscrivent donc, le plus souvent dans une nébuleuse d’acteurs, individuels et collectifs, institutionnels ou associatifs, etc. Chacun ayant ses propres enjeux, stratégies, ressources pour développer cette fameuse « société de la connaissance ». Chacun ayant également son point de vue quant à la manière de diffuser et d’utiliser ces technologies.

L’objectif de cette rencontre était de confronter, de mettre en présence des acteurs concernés par la question et de les questionner sur le sens qu’ils donnent à leurs actions en faveur de la diffusion des TIC : Emmanuel Mayoud, animateur de cybercommune de Plourin, Gaël Ferragu, animateur à la Résidence Ker Digemer (qui regroupe un foyer de jeunes travailleurs, une résidence pour personnes âgées et un centre d’accueil de jours) où un PAPI est mis à disposition dans le FJT, Paul Person, bénévole pour CLIP-Club Informatique Pénitenciaire qui initie les détenus de la Maison d’arrêt de Brest, et Catherine Bigot, directrice adjointe du pôle économie au Conseil régional de Bretagne.

Où l’on a pu voir le sens que chacun pouvait donner à ses actions entre l’accompagnement des jeunes dans la pratique de jeux en ligne (avec notamment d’explication auprès des parents, et un apprentissage de l’esprit d’équipe) dans la Cybercommune de Plourin, la mission de CLIP de donner un peu de sens à la vie des détenus de la maison d’arrêt de Brest et un peu plus de chance pour le jour de leur retour à l’air libre et la place que peu prendre un PAPI à la Résidence Ker Digemer où sont amenés à se côtoyer des jeunes travailleurs et des personnes âgées.

Les présentations comme les discussions qui ont suivi ont permis de mettre en avant la complexité que représente aujourd’hui la mise en place d’une action en faveur de la diffusion des TIC. Complexité due à l’hétérogénéité des projets, tant du point de vue des animateurs/bénévoles, médiateurs/traducteurs immédiats entre la technologie et les usagers, les usagers eux-mêmes et des institutions politiques.Complexité due à la difficulté que rencontrent ces acteurs dans la définition de leur mission et dans la recherche de soutien. Ainsi, aux animateurs/bénévoles il est de plus en plus demandé de structurer des projets, de répondre à des appels d’offre, de chercher des sources de financement et de se retrouver dans un « dédale » institutionnel pas toujours évident à débroussailler, loin de leurs compétences techniques et professionnelles, ce sont des compétences de financiers, de négociateurs, qui leurs sont demandées. Face à eux, ils trouvent les institutions publiques telles que les conseils régionaux qui tentent d’appuyer le développement des TIC dans un effort de développement économique ou d’aménagement du territoire, ce qui s’est longtemps traduit par un appui en faveur de l’accès aux instruments, plutôt qu’un questionnement sur les usages. Et dans des positions relativement ambiguës, les élus locaux, plus ou moins technophiles, plus ou moins ouverts à l’innovation et prêts à les soutenir.

En conclusion, s’il ressort que les espaces sont des lieux de vie au cœur des villages, des quartiers ou d’une maison d’arrêt qui existent avant tout grâce aux actions de médiations portées par les acteurs concernés : animateurs, bénévoles, élus... cela n’enlève pas la complexité des relations qui s’établissent entre ces différents acteurs.


Illettrisme et ordinateur

Selon un document de l’INSEE, Les difficultés des adultes face à l’écrit, parmi les personnes de 18 à 65 ans, résidant en France métropolitaine, 12% sont en difficulté face à l’écrit. La question posée était de savoir comment les outils informatiques pouvaient participer à l’apprentissage de la langue (et plus globalement sur les savoirs fondamentaux que sont la lecture, l’écriture et le calcul).

A cette question, Pascal Kieger de l’ASF-Espace Formation (Gouesnou) et Abdel Boureghda du centre de ressources informatiques i-com, de la mission France d’Handicap International sont venus présenter leurs expériences respectives.Une nouvelle fois, il se dégage de ces interventions et des discussions qui ont suivi, le principe selon lequel c’est la personne et son projet qui prime et non la machine. On retrouve alors dans les expériences la question de l’accompagnement/médiation et du facteur temps.

Dans le cadre des ateliers d’écriture, l’ordinateur est un moyen de mettre en forme les écrits des personnes, il ne se substitue pas au « crayon-papier » mais est un « plus ». Ce qui est important, c’est d’écrire pour être lu, et ces ateliers se prolongent dans la publication de recueils.

Dans le projet personnel d’une personne handicapée, l’apprentissage des outils informatiques fait partie d’un projet plus général d’apprentissage de l’écriture et de la lecture, non pas comme une fin en soi mais pour « créer du lien, voir du monde, discuter avec l’extérieur, etc ».

Il ressort que si l’animateur/médiateur a une place primordiale dans l’apprentissage, cela signifie aussi qu’il doit accepter de s’effacer devant le projet de la personne et non de lui imposer sa propre vision des choses. En d’autres termes : la nécessité de concrétiser les liens sociaux, de construire un langage commun, d’écouter et de comprendre les envies et les projets : « C’est l’animateur qui doit s’adapter au projet de la personne, pour définir les stratégies pour adapter les outils à la personne » (A. Boureghda)

Ces rencontres ont mis en relief des traits communs aux différentes expériences :

  • la place centrale de l’individu et de son projet de reconquête d’estime de soi ;
  • le rôle de médiateur des animateurs et bénévoles qui doivent faciliter ’l’intégration’ des plus éloignés à la société tout en gardant en point de mire le projet individuel ;
  • l’instrumentalisation des outils informatiques qui ne doivent pas occulter l’objectif principal de re-créer du lien social,
  • la complexification de l’environnement institutionnel et la professionnalisation des animateurs et bénévoles

Tout au long des 3 jours, ces rencontres matutinales ont été en résonnance avec les ateliers de l’après-midi qui invitaient au dialogue avec des chercheurs venus présentés leurs travaux.

Posté le 16 août 2006 par Elisabeth Le Faucheur

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