Enquête participative à Kérourien (Brest)

Identifier les non-usagers et mieux comprendre les situations de non-usages.

Annabelle Boutet, Jocelyne Trémenbert (août 2008)

Du printemps 2007 au printemps 2008, nous avons mis en œuvre une enquête dans un quartier de Brest, le quartier de Kérourien [1] . Kérourien constitue une zone d’habitat social dense où les HLM de l’OPAC prédominent. En outre, c’est un quartier classé en zone urbaine sensible (ZUS).
Cette enquête participative [2] avait pour objectif de récolter des informations sur les limites et les freins à la diffusion des TIC et améliorer les connaissances en matière de profil des non-internautes.
Le second objectif visait à « démocratiser » les outils statistiques en permettant à un groupe d’habitants de participer à l’ensemble du processus d’une enquête par questionnaires.

Un article publié par Marsouin, laboratoire des usages en Bretagne et repris du site http://www.marsouin.org/

Accéder à l’article sur le site de Marsouin

Cette démarche partait de deux constats intimement liés : d’une part, la difficulté qu’il y a à approcher les non-usagers et à les décrire ; d’autre part, la connaissance des non-usagers se fait essentiellement à travers les enquêtes qui sont menées sur les usagers.

Ainsi, plusieurs organismes travaillant sur l’observation et la compréhension de la diffusion des TIC et de la société de l’information ont proposé des typologies visant à mieux caractériser les non-usagers.

En 2005, les analystes du GIS M@rsouin proposaient, dans leur « panorama 2005 des usages des TIC en Bretagne » des profils de non internautes à partir des 47% de Bretons qui n’avaient pas utilisé Internet au cours de l’année précédente [1] . Cette typologie était construite à partir de la connaissance de leur intention future d’utilisation et de leur environnement technologique. On y notait que l’appétence vis-à-vis d’une future utilisation d’Internet était croissante avec le niveau de ’capital social’ (entourage connecté, capacités financières et niveau d’éducation initial). Trois grandes classes se dégageaient : (i) Ceux qui allaient s’y mettre ; (ii) Ceux qui devaient s’y mettre : avec des résistants et des volontaires et (iii) ceux qui étaient loin de s’y mettre (81%) : avec les exclus socio-économiques, les exclus de génération et les indifférents.

L’organisme statistique national du Canada a également élaboré une typologie dans le cadre de son enquête sur l’utilisation d’Internet en 2005 [Cohendet et Stojak, 2005]. Trois groupes de non-usagers ont été identifiés :

  • Le Groupe 1 : dit des « les non-utilisateurs radicaux ». Il s’agit de personnes généralement assez âgées (plus de 65 ans) et/ou aux revenus très modestes. Ils ne voient aucun intérêt à investir dans un accès quelconque à Internet. Même avec une implication forte des pouvoirs publics, la probabilité que ce groupe reste à l’écart est grande.
  • Le Groupe 2 : dit des « utilisateurs potentiels distants ». Il s’agit de personnes généralement âgées de 55 à 65 ans, qui n’ont pas les compétences pour utiliser Internet et peu de motivations pour le faire. Seule une implication forte des pouvoirs publics pour les convaincre de l’intérêt de se connecter et les former à l’utilisation des NTIC serait susceptible dans les années à venir de changer cette situation.
  • Le Groupe 3 : dit des « quasi-utilisateurs ». Il s’agit de personnes qui, pour des raisons de moyens ou de situation géographique (dans des zones rurales ou montagneuses), n’ont pas encore accès à Internet, mais sont désireuses de trouver les moyens de se connecter.

Dans le cadre d’une enquête qualitative menée auprès de 70 non-internautes aquitains, Aurélie Laborde et Nadège Soubiale ont identifié 5 profils de non-Internautes : les « utilisateurs indirects » qui ont recours à leur entourage pour bénéficier des informations et services d’Internet ; les « totalement déconnectés » n’ont aucune expérience et aucune connaissance concrète d’Internet ; les « distanciés » ont une connaissance minimale et/ou une expérience avortée d’Internet mais ne voient pas l’intérêt de poursuivre dans cette voie ; les « abandonnistes » ont utilisé Internet mais ne l’utilisent plus et les « utilisateurs occasionnels ou débutants » [2]

La dernière typologie proposée est celle de l’AWT qui a identifié 6 profils de la fracture numérique à partir des 31 % de Wallons qui déclarent ne pas utiliser Internet : (1) résistants à la nouveauté et réfractaires ; (2) non "usagères" actives ou inactives avec proxys ; (3) fracturés sociaux actifs avec proxys ; (4) fracturés sociaux inactifs et sans proxy ; (5) seniors en couple sans proxy ; (6) seniors seuls sans proxy . [3]

La lecture des enquêtes menées par les instituts de sondage, comme Médiamétrie, ne nous en apprend guère plus sur les non-internautes, si ce n’est en lisant quelques unes de leurs données en « négatif ». Ainsi, si l’on apprend qu’en juin 2008, 58,3 % de la population française âgée de 11 et plus s’était connectée au cours du dernier mois, sommes nous en mesure de déduire que 41,7 % de la population n’avait pas été connectée.

Notons que nous émettons quelques hypothèses concernant le mode de passation des enquêtes pouvant biaiser les résultats en ne donnant pas la place qu’ils devraient avoir aux non-usagers. Ainsi, les taux d’utilisateurs ou de connectés sont sûrement surévalués : en effet, les modes d’administration des enquêtes sont en général peu adaptés pour atteindre des non-utilisateurs potentiels. (ex. Lorsque l’enquête se fait par téléphone, elle exclut automatiquement tous les foyers qui ne disposent pas de ligne fixe mais un téléphone mobile ; si l’enquête se fait en face à face, ce sont alors les foyers installés dans des zones difficiles à interroger tels que les îles, la haute montagne, les zones sensibles ou les personnes résidant dans des habitations mobiles terrestres, sans abris qui sont écartés, etc.). En outre, ces enquêtes, et donc leurs résultats, sont liées à l’acceptation de répondre et les personnes intéressées par les technologies ont davantage tendance à y répondre. Et malheureusement, nous disposons généralement de peu d’informations sur les non répondants.

À travers le « baromètre de la diffusion des nouvelles technologies » du CREDOC de Juin 2007, nous pouvons de même extraire un certain nombre de caractéristiques des internautes et donc aussi des non internautes : la tranche d’âge, le niveau de diplôme, la tranche de revenus du foyer, le type de profession ou la catégorie sociale.
Ainsi, si nous comptons 93 % d’internautes chez les 12-17 ans - soit 7 % de non internautes -, la tendance s’inverse dans le grand âge avec seulement 9 % d’internautes chez les personnes de 70 ans et plus.
Le diplôme génère des différences au moins aussi sensibles : seulement une personne non diplômée sur cinq peut être qualifiée d’internaute, alors que 90% des diplômés de l’enseignement supérieur surfent sur Internet d’une façon ou d’une autre.
Les revenus sont extrêmement corrélés avec la probabilité d’être internaute. Plus les revenus du foyer sont élevés et plus on a de chances de se connecter. On passe ainsi de 42% de connexion pour ceux qui perçoivent moins de 900€ par mois - soit

[1Jullien N. et Tremenbert J., Enquête usage des TIC par les Bretons. Synthèse de l’enquête 2005 auprès des résidentiels. Op.cit.

[2Laborde A. et Soubiale N., « Etude Non Internautes Aquitains. 1ère synthèse des résultats », 2007. www.non-internautes-aquitains.com/pdf/1ersresultats.pdf

[3AWT, « Usages TIC 2007 des citoyens wallons », juillet 2008.

Posté le 4 septembre 2008

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