Quelles perspectives pour les activités pédagogiques et de recherche dans la nouvelle directive sur le droit d’auteur ?

La semaine dernière, la Commission européenne a officiellement publié son projet de nouvelle directive sur le droit d’auteur. Ce texte a déjà suscité un grand nombre de réactions, aussi bien de la part des titulaires de droits que des défenseurs des libertés. Chez ces derniers, l’attention s’est surtout focalisée sur deux propositions particulièrement inquiétantes : la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse et la mise en place d’une obligation de filtrage automatisé des contenus sur les plateformes. Néanmoins, le projet contient aussi d’autres dispositions situés méritent qu’on s’y attarde, car certaines vont dans le sens des usages.

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Flag of the European Union. Par rockcohen. CC-BY. Source : Wikimedia Commons.

C’est le cas notamment de mesures en faveur des activités pédagogique, décrites en ces termes par la Commission :

Les étudiants et les enseignants sont certes désireux d’utiliser les matériaux et technologies numériques à des fins d’apprentissage et d’enseignement, mais aujourd’hui, près d’un éducateur sur quatre se heurte chaque semaine à des restrictions liées au droit d’auteur dans ses activités pédagogiques numériques. La Commission a proposé aujourd’hui une nouvelle exception en vue de permettre aux établissements d’enseignement d’utiliser des matériaux à des fins d’illustration dans leurs activités pédagogiques fondées sur des outils numériques et dans le cadre des cours en ligne transfrontières.

La précédente directive de 2001 comportait déjà une exception au droit d’auteur pour l’utilisation d’extraits d’oeuvres à des fins d’illustration de la recherche et de l’enseignement. Mais ccelle-ci restait seulement facultative pour les Etats-membres, sans obligation de la transposer dans la loi nationale. La France a choisi de le faire de son côté avec la loi DADVSI en 2006 et j’ai déjà eu l’occasion de consacrer plusieurs billets à cette question sur S.I.Lex. Mais en fonction des différents choix effectués par les Etats lors de la transposition, de fortes disparités persistaient au sein de l’Union européenne, avec des inégalités flagrantes selon les pays. L’idée de la Commission est donc d’harmoniser la situation au sein de l’Union, en rendant cette exception au droit d’auteur obligatoire et en fixant un « seuil » auquel les Etats devront se tenir, notamment en ce qui concerne les usages numériques.

A première vue, on peut se réjouir que la Commission ait retenu une telle option dans son projet, notamment quand on voit la violente campagne menée par les ayants droit contre le principe même des exceptions au droit d’auteur. Mais il importe de se plonger dans les détails du texte du projet de directive pour évaluer en quoi les propositions de la Commission constitueraient un progrès pour les usages pédagogiques et de recherche, notamment par rapport au dispositif actuellement applicable en France. Je précise que je laisse de côté la question de l’exception en faveur de la fouille de textes et de données (Text and Data Mining) qui figure aussi dans le projet de directive (et je vous renvoie au site Communia pour plus d’informations à ce sujet).

Les activités de recherche inexplicablement écartées

La première chose qui frappe lorsqu’on se plonge dans le texte du projet de directive, c’est que cette nouvelle exception obligatoire concerne les usages pédagogiques, mais pas les activités de recherche. L’article 4 qui traite de ce point est consacré aux « Usages des oeuvres et autres objets protégés dans le cadre d’activités d’enseignements numériques et trans-frontières » (Use of works and other subject-matter in digital and cross-border teaching activities). Or le fait que les activités de recherche n’apparaissent pas est très surprenant, dans la mesure où la directive de 2001 prévoyait bien de son côté une exception « pour les utilisations à des fins éducatives et de recherche non commerciales« . C’est d’ailleurs aussi ce qui ressort aujourd’hui de la législation française, puisque l’exception introduite pour transposera la directive en 2006 portait bien à la fois sur l’éducation et la recherche.

C’est donc déjà une première déception qui nous frappe à la lecture des propositions de la Commission, car si l’objectif est d’harmoniser et de développer les pratiques numériques, il était tout aussi important de le faire dans le champ de la recherche que dans celui de l’éducation. L’actuel dispositif prévu en France prévoit par exemple que des extraits d’oeuvres peuvent être utilisés par des chercheurs lors de colloques, séminaires et conférences. Il autorise aussi la diffusion d’images et d’extraits d’oeuvres dans les thèses, y compris lorsquelles sont publiées en ligne.

Il existe à l’évidence des points de friction sur lesquels la Commission aurait pu se pencher à l’occasion de la révision de la directive sur le droit d’auteur. Par exemple, la Commission pousse clairement pour que la plus grande partie des articles scientifiques produits en Europe soient librement accessibles en ligne en Open Access d’ici à 2020. Mais pour l’instant, il reste complexe et coûteux pour des chercheurs de négocier les droits sur des illustrations accompagnant des articles. L’exception actuellement en vigueur en France ne couvre pas ce type d’usages et comme on le verra plus loin, les propositions de la Commission ne remédieront en rien à ce problème. Plus largement, beaucoup de projets de recherche avec une composante numérique, surtout en Sciences Humaines et Sociales, s’appuient sur la numérisation de corpus d’oeuvres et de contenus, qui peuvent être protégés par le droit d’auteur. Là encore, les propositions de la Commission n’apporteront aucune réponse aux chercheurs sur ce point (si ce n’est sur le volet Text et Data Mining, mais il ne prendra en compte que l’analyse les reproductions necessairesaà l’analyse des contenus et pas leur diffusion, même sous forme d’extraits).

Promouvoir les usages en ligne et au-delà des frontières, vraiment ?

Si l’on en croit les annonces de la Commission, l’objectif de l’exception obligatoire envisagée serait de promouvoir « les activités pédagogiques fondées sur des outils numériques » et de développer « les cours en ligne transfrontières« . L’intention est louable, surtout lorsque l’on voit l’importance croissante prise par des outils comme les MOOC (Massive Open Online Courses) dans l’écosystème de l’enseignement supérieur.

Mais là encore, la déception frappe cruellement à la lecture du texte du projet de directive, car l’exception couvrirait (je traduis) :

(…) l’usage numérique des oeuvres et autres objets protégés dans le seul but d’illustration de l’enseignement, dans la mesure justifée par le but non-commercial poursuivi, au cas où l’usage a lieu dans les emprises de l’établissement éducatif ou à travers un réseau sécurisé accessible uniquement par les élèves ou les étudiants de l’établissement éducatif et son personnel enseignant.

Il y a donc un énorme décalage entre les ambitions affichées par la Commission et ce qui résulte du texte, car on voit bien ici qu’il n’est nullement question de favoriser des diffusions en ligne sur Internet et encore moins de faciliter les usages pédagogiques par-delà les frontières de l’Union européenne. D’après ce que est dit ici, on ne pourra pas aller au-delà d’une diffusion d’extraits d’oeuvres protégées par le biais d’un extranet ouvert seulement aux communautés fréquentant un établissement donné. Les échanges seront donc impossibles entre deux établissements situés sur une même commune : on est donc extextrêmement loin des « cours trans-frontières », alors que c’est pourtant ce dont parle la Commission.

Le dispositif actuellement prévu en France comporte de nombreux défauts, mais il va déjà plus loin que les propositions de la nouvelle directive. Il ne permet certes pas la mise en ligne directement sur Internet de supports pédagogiques contenant des extraits d’oeuvres protégées, dans la mesure où le public visé doit être directement concerné par l’acte d’enseignement ou de recherche. Mais le texte des derniers accords sectoriels signés en 2015 couvre les diffusions par le biais d’un ENT, d’un intranet ou d’un extranet, et surtout le public qui peut être visé est défini de manière assez large comme celui des « apprenants« , compris comme « toute personne qui suit un enseignement ». Du coup contrairement à ce que propose la Commission, l’exception pédagogique française est sans doute applicable à des MOOCs, dans la mesure où les contenus proposés sont accessibles uniquement sur inscription (comme c’est le cas sur la plateforme FUN par exemple) et pas directement en ligne sur Internet. Et l’exception a le mérite de s’appliquer quelle que soit la provenance géographique de ces « apprenants« , sans obligation de rattachement à un établissement donné.

Une subsidiarité problématique entre l’exception et des licences contractuelles

On voit donc que la nouvelle directive risque de ne pas apporter grand chose par rapport à ce qui existe déjà en France, mais il y a un aspect dequi la réforme envisagée qui risque même de provoquer une véritable régression. On peut lire en effet dans le texte un paragraphe très surprenant qui prévoit ceci :

Les Etats-membres pourront prévoir que l’exception adoptée en vertu du paragraphe 1 ne s’appliquera pas de manière générale ou ne couvrira pas certaines types d’oeuvres ou d’objets protégés, dans la mesure où des licences adéquates autorisant les acte décrits au paragraphe 1 sont facilement accessibles sur le marché.

Ce passage signifie que la Commission envisage un étrange mécanisme de subsidiarité entre l’exception pédagogique et des licences proposées par les titulaires de droits. Or c’est normalement l’inverse qui prévaut nornormalement : lorsqu’une exception au droit d’auteur est instaurée, il est souvent prévu que les contrats ne peuvent y déroger (c’est par exemple ce qui est envisagé pour l’exception en faveur du Text and Data Mining). Ici, la directive va en fait laisser la possibilité aux Etats d’introduire une « exception subsidiaire » qui ne jouera qu’au cas où des licences n’existent pas pour autoriser les usages pédagogiques des contenus. Cela revient à laisser une immense marge de manoeuvre aux titulaires de droits pour définir eux-mêmes les conditions d’utilisation des oeuvres et c’est exactement le contraire de ce que l’on veut normalement lorsqu’on met en place une exception. A l’échelle d’un pays, ce dispositif risque déjà de provoquer une complexité énorme, due aux disparités entre les licences proposées par les différents éditeurs de contenus, mais à l’échelle de l’Union européenne toute entière, on n’imagine à peine ce que cela produira comme désordre, en contradiction complète avec l’objectif d’harmonisation affiché par la Commission.

Concernant la France, l’impact d’une telle disposition risque de ne pas être complètement négligeable. En effet dans notre pays, l’exception pédagogique présente déjà un visage « hybride » assez déconcertant, qui est loin de faciliter sa mise en oeuvre. L’exception figure en effet formellement dans la loi, mais elle n’est réellement applicable qu’après que le Ministère de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur signe périodiquement des accords sectoriels avec les différentes sociétés de gestion de droits. Or en pratique, ces accords contractuels ont une importance déterminante sur l’applicabilité de l’exception. Parfois, ils autorisent des usages pourtant interdits dans l’exception législative et parfois au contraire, ils vont introduire des contraintes supplémentaires qui restreignent son champ d’application. Le tout créée une situation extrêmement compliquée pour les acteurs de terrain, même si les accords tendent quand même depuis 2006 à autoriser un plus grand nombre d’usages.

Le système de subsidiarité prévu par ce projet de directive risque déjà de donner une base juridique à ces accords sectoriels, alors que celle-ci était jusqu’à présent relativement douteuse. Mais pire encore, il peut conduire à des régressions, car il suffira que des éditeurs proposent des licences pour l’usage pédagogique de contenus et l’exception sera alors écartée au profit de ces contrats spécifiques, qui prendront alors aussi sans doute le pas sur les accords sectoriels. Autant dire qu’il n’y aura plus réellement d’exception législative et qu’on reviendra à une situation où il faudra négocier les usages pédagogiques directement avec les ayants droit. La loi ne servira que de recours ultime, au cas où les titulaires n’aient rien prévu.

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On voit donc que même si le principe de rendre obligatoire l’exception pédagogique est louable, les propositions de la Commission restent en l’état hautement problématiques. Il y a certes encore loin jusqu’à ce que ce projet soit adopté définitivement et nul doute qu’il fera notamment l’objet d’âpres débats au Parlement européen. Mais les communautés pédagogiques et de recherche devraient sans tarder faire entendre leur voix, car à défaut, la prochaine directive sur le droit d’auteur imposerait aux Etats-membres une exception pédagogique poussive, qui risque surtout de servir de cheval de Troie à la généralisation de la voie contractuelle et à la toute puissance des ayants droit sur la définition des conditions d’usage pédagogique des oeuvres.


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Via un article de calimaq, publié le 25 septembre 2016

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