Loi « République numérique » : quel bilan pour les associations ?

La loi « République numérique » a été adoptée à l’Assemblée nationale la semaine dernière. Bien qu’il reste encore un vote au Sénat, qui devrait intervenir à la rentrée, le texte ne bougera plus à présent, étant donné que les deux chambres sont parvenues à un accord en CMP (Commission Mixte Paritaire). C’est la fin d’un long processus de plus de deux ans pour l’élaboration de ce texte, avec pour la première fois la mise en place d’une plateforme participative en ligne, ayant recueilli de nombreuses contributions de la société civile.

Plusieurs associations impliquées dans les questions numériques sont intervenues au cours de ce processus, et il nous a semblé important de prendre un moment pour faire le bilan de la loi « République numérique », tant sur le fond que sur la forme. C’est ce que nous avons pu faire samedi dernier grâce à la radio Libre@Toi qui a organisé un débat entre des représentants de Wikimedia France, Regards Citoyens, Open Law, l’April, SavoirsCom1 et la Quadrature du Net (que je représentais).

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Pour écouter l’enregistrement en podcast, vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessus ou sur ce lien.

J’ai trouvé cet échange particulièrement intéressant. Nous avons pu faire le point sur les avancées (réelles) que comportent ce texte (par exemple sur l’Open Data, l’Open Access ou le Text and Data Mining), sans pour autant mettre de côté les limites et les reculs du gouvernement sur certains points clés (la définition positive des Communs, la priorité au logiciel libre ou la liberté de panorama).

C’est finalement sur la question même du processus collaboratif que la discussion entre associations fut la plus intéressante. L’exercice nous laisse en effet un sentiment contrasté : nous avons tous convenus de l’opportunité créée par un tel dispositif pour influer sur le contenu d’un texte, mais les limites de l’exercice se sont également faites cruellement sentir. Si certains points ont pu être améliorés par les interventions des associations et des citoyens, d’autres propositions pourtant largement soutenues sur la plateforme ont été bloquées par le gouvernement, suite à des arbitrages internes largement influencés par des manœuvres de lobbying classique.

Nous étions aussi d’accord pour dire que de leurs côtés, les députés et sénateurs ont globalement « joué le jeu » de ce processus participatif en s’emparant de plusieurs propositions issues de la plateforme et en réussissant à les imposer, y compris parfois contre l’avis du gouvernement. Mais dans le contexte de la Vème République, le gouvernement détient une trop grande maîtrise de l’activité législative et la discipline de groupe est trop forte pour que le Parlement puisse vraiment jouer son rôle. Au final, l’attitude du gouvernement nous a paru la chose la plus critiquable, parce que les règles du jeu n’ont jamais été réellement claires vis-à-vis de la société civile, qui aura pourtant été lourdement mise à contribution pendant des mois.

Il est certain que les organisations citoyennes vont se retrouver à l’avenir confrontée à des choix difficiles, car le pouvoir va sans doute multiplier ces processus participatifs d’élaboration des textes. Une telle évolution créent certaines opportunités, mais elle comporte aussi des risques importants d’instrumentalisation. Accepter de participer, c’est nécessairement légitimer une procédure, avec à la clé une diminution des marges de manœuvre pour critiquer ensuite l’action du pouvoir (comme la Quadrature du Net en a fait amèrement l’expérience avec la réaction d’Axelle Lemaire, suite à ses prises de position sur le résultat du processus). D’un autre côté, ne pas participer, c’est risquer de laisser passer des occasions d’influer sur le cours des choses, en laissant le champ ouvert à d’autres groupes de pression, souvent bien mieux organisés que le secteur associatif.

Pour ma part, j’ai retenu une proposition émise par Benjamin Jean d’Open Law qui consisterait à élaborer entre associations de la société civile des chartes soumises ensuite aux autorités publiques pour déterminer des engagements fermes sur les règles des consultations. On pourrait aussi aller plus loin en élaborant un texte commun entre associations, fixant les conditions sine qua non de la participation de nos organisations à une consultation (plateforme nécessairement Open Source – ce qui n’était pas le cas pour la loi « République numérique », transparence du processus de synthèse des contributions, mise à disposition des données liées à la consultation en Open Data, marge de manoeuvre des décideurs concernant les propositions les plus soutenues, etc.).

Une manière d’essayer de reprendre l’initiative et de ne pas subir les avanies d’une « démocratie 2.0 » qui pourrait tout à fait ne rester qu’un leurre de plus et un instrument de contrôle social aux mains du pouvoir…

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Via un article de calimaq, publié le 31 juillet 2016

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