Les civic techs sont-elles l’avenir de la démocratie ? Entretien avec Christophe Itier

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Si Nuit Debout est actuellement sous les feux des projecteurs en France, le renouveau politique par l’action citoyenne est atomisé et polymorphe. Interroger cette tendance à la mobilisation collective revient à poser la question du vivre ensemble et de notre rapport au pouvoir. Entretien avec Christophe Itier, co-fondateur du mouvement reGénération, pour prendre le pouls de notre démocratie, débattre sur l’influence des collectifs citoyens et l’apport des civic techs.

christophe-itierLe sujet de la crise de la représentativité est récurrent en France et se caractérise par un taux d’abstention élevé. Comment l’interprétez-vous ?

Christophe Itier. Premièrement, l’abstention résulte de pratiques politiques archaïques qui ne sont plus crédibles, au sein d’un système trop confortablement installé. Le cumul des mandats dans le temps et dans les espaces, tout comme les conflits d’intérêts avec des élus parfois nommés au sein de cabinets, cela n’est plus acceptable. La part du vote fondée sur la conviction est de plus en plus faible, même les insiders n’en peuvent plus. Ensuite, la sphère politique française résonne encore en Etat-Nation alors que l’économie est largement mondialisée et qu’il faudrait parler de construction européenne. Les citoyens pensent, à raison, que le pouvoir n’a plus de prise sur le réel. Nous avons 500 000 élus en France – ce qui est énorme – et malgré ça, le sentiment de déconnexion n’a jamais été aussi fort.

ReGénération est un trait d’union entre élus et citoyens

Notre volonté est donc de travailler sur le “micro”, sur la personne de l’élu afin de recréer du lien avec les citoyens. ReGénération fonctionne comme un trait d’union entre ces deux groupes. Nous souhaitons aussi aller plus loin et permettre à des salariés du privé, des jeunes, des profils atypiques d’accéder à des responsabilités pour que les élus soient davantage représentatifs de la population.

Les personnalités politiques sont-elles déconnectées de la réalité, ou est-ce simplement que l’on en attend trop d’elles ?

C. I. Il y a vraisemblablement un peu des deux. L’incarnation d’un discours au travers d’un projet politique n’existe plus. Au regard des primaires, la hausse du nombre de candidats est inversement proportionnelle aux propositions concrètes pour redresser notre pays. Il s’agit d’une bataille d’égos dont l’unique objectif est d’être placé pour battre Marine Le Pen en 2017. En 2002, voir le FN au second tour était une claque, aujourd’hui c’est un fait acquis. Le chômage et les entreprises doivent être les problématiques premières sur l’agenda politique. Le débat sur la déchéance de nationalité qui a occupé l’espace public pendant 4 ou 5 mois est une aberration totale.

Ne peut-on pas au moins espérer un renouvellement de l’offre politique ? Le courant récemment lancé par Emmanuel Macron s’inscrit-il pour vous dans cette perspective ?

C. I. Le mouvement lancé par Emmanuel Macron, En Marche, a le mérite de casser les codes de l’offre politique. Il se sort des carcans des logiques partisanes et fait bouger les lignes sur un plan idéologique. En tant que rocardien, je suis convaincu que l’Etat Providence est derrière nous. Le “méchant patron” versus le “gentil salarié”, ça n’existe pas. Aujourd’hui, 50% des travailleurs ont une sécurité maximale avec un emploi à vie, 20% sont en CDI et 30% sont des nouveaux entrants. Nous sommes obligés de revoir la notion de risque zéro pour le partager et inventer de nouvelles formes de travail.

Dans quelle mesure les civic techs peuvent-elles permettre d’un renouveau démocratique ?

C. I. 78% des français se disent prêts à voter à la présidentielle pour un candidat qui ne serait ni issu, ni soutenu par un parti politique (sondage ELABE pour Atlantico, 17/02/2016). Les civitechs sont un ensemble d’outils permettant de donner corps cette volonté. Nous utilisons Consultvox, sur lequel un citoyen lambda peut faire une proposition. En trois mois, nous avons eu plus de 200 contributions sur le site et nous allons faire une une série de propositions concrètes pour le lancement de #NotreDémocratie le 28 avril. Notre action est complètement décorrélée de 2017, nous regardons bien au delà de la présidentielle pour enclencher un changement de fond. Les modes de consultation historiques ne fonctionnent plus. Les affiches, les tracts, c’est fini, ça ne permet de parler qu’aux conquis alors que de nouvelles opportunités s’offrent à nous !

Notre priorité est triple : lutter contre le décrochage scolaire, permettre aux séniors de bien vieillir et développer les nouvelles formes de travail

Concrètement, quelles sont les problématiques que vous souhaitez adresser ave réGénération ? 

C. I. Nous proposons une rénovation des pratiques et du personnel politiques. Notre priorité est triple : lutter contre le décrochage scolaire de 80 000 jeunes en Hauts de France et les raccrocher à l’emploi, permettre aux séniors de bien vieillir et de ne pas subir leur perte d’autonomie, développer et encadrer les nouvelles formes de travail. Pour cela, nous mettons notamment en place des hackathons citoyens lors desquels des gens viennent faire des propositions et mettre des projets en place sur ces trois enjeux.

Il semble que ces mouvements touchent les classes les plus favorisées de la population, souvent déjà sensibles à ces questions et plutôt de gauche. Ne court-on pas le risque de tomber dans une boboisation du renouveau politique ?

C. I. C’est vrai que nous sommes obligés de nous appuyer sur les insiders, ceux qui souhaitent changer le système mais qui n’en sont pas exclus, avant de tirer tout le monde vers le haut. Mais les fondateurs de reGénération sont tous profondément ancrés dans la société civile : par exemple, Pierre Mathiot, en tant qu’ancien directeur de Sciences Po Lille, lutte pour la promotion de l’excellence pour tous et Patrick Goldstein, à la tête des Urgences de Lille, est en contact direct avec les souffrances des gens. La mobilisation de ce type de profils est un prérequis, un préalable à une mobilisation bien plus large. C’est en alimentant le débat public de manière sereine, avec nos amis de Voxe, La Transition ou Le Drenche, que nous permettrons un apprentissage collectif de la démocratie. C’est possible mais ça prendra des années.

Voxe, MaVoix, LaPrimaire.org, Bleu Blanc Zebre, Gov, Démocratie Ouverte, La Transition et bien d’autres occupent le terrain du renouveau citoyen : seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ?

C. I. Nous nous connaissons pour la plupart d’entre nous, collaborons de manière ponctuelle et nous respectons mutuellement. Nous tenons absolument à garder notre ADN respectif. Chaque mouvement à sa particularité, son utilité, une réalité précise et un ancrage local ou thématique donné. Si nous voulons continuer à hacker la politique, il n’y aurait rien de pire que de faire une fédération de collectifs citoyens. Pourquoi Nouvelle Donne et Nous Citoyens ne parviennent pas à véritablement décoller ? Parce qu’ils se sont pliés aux codes de la vie politique française, là où le ticket d’entrée et trop élevé. De notre côté, nous refusons la guerre des tranchées avec les partis politiques classiques. Nous préférons mettre en tension le système, le faire évoluer. 

Si nous voulons continuer à hacker la politique, il n’y aurait rien de pire que de faire une fédération de collectifs citoyens

Nous sommes en 2022 : est-il toujours question d’élire un président et si oui, à quoi ressemble-t-il ?

En 2022, il sera encore beaucoup trop tôt pour espérer un changement radical. Le président sera encore élu au suffrage universel. Dans mon rêve le plus fou, le président de la République serait un entrepreneur social avec un objectif de performance économique omniprésent et un goût pour l’intérêt général prononcé.

Pour poursuivre le débat, retrouvez reGénération à Sharing Lille le 21 avril.


Image à la une : The Moment of Regeneration, 2004 / L’Instant de la Renaissance / 55 pièces. Tissu cousu, uréthane, bois, peinture / Dimensions variables / Courtesy Victoria Miro Gallery, Londres / © Yayoi Kusama

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Via un article de Samuel Roumeau, publié le 19 avril 2016

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