Loi sur la Création : tout ça pour ça ?

Souvenez-vous : en 2012, le candidat François Hollande avait promis de faire adopter une « grande loi signant l’acte deux de l’exception culturelle française et remplaçant Hadopi« . Le 16 juillet 2012, une mission était confiée à Pierre Lescure pour faire des propositions concernant ce texte, au terme d’une large concertation. Et le 13 mai 2013, cette mission aboutissait à la remise d’un volumineux rapport comportant une liste de 80 mesures relatives au droit d’auteur et à la création.

luiprésident

Le site « Lui Président » fait le point sur les 60 engagements de campagne de François Hollande, dont celle-ci sur « l’acte II de l’exception culturelle ».

Pendant des mois ensuite, l’examen de cette loi a été sans cesse reporté, durant le passage d’Aurélie Filippetti au Ministère de la Culture, remplacée par Fleur Pellerin. Mais les choses se précisent enfin, avec la parution du texte du projet de loi sur le site du Conseil Économique, Social et Environnemental saisi pour avis.

Guillaume Champeau commente sur Numerama en faisant remarquer que ce texte ne comporte, comme on pouvait s’y attendre, aucune disposition relative à la Hadopi qui serait donc maintenue en l’état. Mais si on y regarde de plus près, on ne peut qu’être frappé de voir à quel point ce projet s’avère creux et vide, surtout au regard des ambitions qui avaient été avancées.

Rarement, la montagne aura à ce point accouché d’une souris…

Liberté, j’écris ton nom (et c’est tout…)

Le projet porte le nom de « Loi sur la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine« . Il s’ouvre sur un article 1 dont la grandiloquence doit être destinée à masquer le vide qui s’en suit.

Article 1er

La création artistique est libre.

La belle affaire… S’il s’agissait de consacrer une liberté fondamentale, cette précision est redondante et inutile, car la liberté de création est incluse dans la liberté d’expression, elle-même déjà reconnue depuis la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789

La suite liste un ensemble d’actions que l’État, les collectivités locales et leurs établissements peuvent conduire pour soutenir la création artistique. La formulation reste cependant très vague et n’apporte rien de bien concret par rapport à ce qui existe déjà. La question essentielle est celle des moyens qui seront débloqués pour financer ce type d’actions et la loi est vierge de toute précision à ce sujet…

Le projet continue des mesures destinées à assurer « Le partage et la transparence des rémunérations dans les secteurs de la création artistique« . On y trouve notamment des dispositions qui vont conforter les droits des artistes-interprètes dans leurs relations avec les producteurs, en particulier pour leur garantir qu’ils toucheront bien une rémunération sur tous les modes d’exploitation de leurs prestations. C’est assurément un progrès, qui devrait notamment permettre d’éviter que certains artistes-interprètes ne touchent rien ou quasiment rien pour la diffusion de leurs musiques sur les plateformes de streaming type Deezer ou Spotify. Plus loin, le projet détaille également des mesures pour améliorer la « transparence des comptes d’exploitation » des oeuvres cinématographiques, en mettant de nouvelles obligations à la charge des producteurs.

De telles évolutions sont positives, car elles renforcent la position des créateurs face aux intermédiaires économiques. Mais franchement, est-ce cela qu’on était en droit d’attendre d’un « Acte II de l’exception culturelle » ?

Les enjeux du numérique méticuleusement esquivés

Le rapport Lescure, s’il n’était pas exempt de graves défauts, avait au moins le mérite de pointer de vraies questions. Il attirait l’attention sur les limites atteintes par le mécanisme de la copie privée face aux évolutions numériques ; il appelait à assouplir la chronologie des médias pour accélérer la mise à disposition des oeuvres ; il envisageait la possibilité de mettre en place des régimes de gestion collective obligatoire pour les exploitations numériques des oeuvres.

Mais plus que cela, le rapport Lescure prenait aussi en compte la question des nouveaux usages et il comportait une série de mesures de rééquilibrage du système : la promotion de l’interopérabilité et le contrôle des DRM, le développement d’offres de ressources numériques en bibliothèques, l’extension des exceptions au droit d’auteur, notamment en faveur des usages pédagogiques et de recherche, des handicapés ou des usages transformatifs (mashup, remix), la consécration positive du domaine public ou l’utilisation des licences libres, notamment pour les oeuvres subventionnées par de l’argent public.

On pourrait dire que la loi sur la création n’est qu’une boîte vide, mais hélas, c’est pire… (Image par Richard Kelland. CC-BY-SA. Source : Flickr)

Au final de toutes ces propositions, que reste-t-il dans le projet de loi ? Une partie est bien intitulée « Promouvoir la diversité culturelle et élargir l’accès à l’offre culturelle« . Elle se résume cependant à une reformulation de l’exception prévue en faveur des handicapés, introduite en 2006 avec la loi DADVSI. Cette modification aboutirait à de plus amples possibilités pour les publics empêchés d’avoir accès à des versions adaptées d’oeuvres sous forme numérique. C’est un enjeu important et on peut saluer la présence de ces mesures dans ce texte.

Mais le projet de loi ne va pas plus loin et le volet création/droit d’auteur ne contient rien de plus que les quelques mesures que je viens de lister… On est donc face à un texte de statu quo, qui a visiblement été pensé pour ne rien modifier substantiellement, dans une approche purement conservatrice. Aucun des vrais enjeux du numérique n’est véritablement pris en compte par cette nouvelle loi.

Cet immobilisme dans la loi nationale fait écho avec le lobbying déployé en ce moment à Bruxelles pour faire obstacle aux propositions du rapport Reda sur la réforme du droit d’auteur. Le gouvernement continue de soutenir les demandes des titulaires de droits, qui font des pieds et des mains pour empêcher que le sujet du droit d’auteur soit remis en débat. On sent bien que l’approche est la même avec ce projet de loi « en trompe-l’oeil », qui permettra au gouvernement de dire qu’il a fait quelque chose sans apporter rien de réellement nouveau.

Un silence de la loi qui n’est pas innocent…

Mais en vérité, l’art du trompe-l’oeil et de la dissimulation vont plus loin encore. On pourrait finalement se dire que cette loi n’est pas si mauvaise, car elle a au moins le mérite de ne pas introduire d’éléments fondamentalement nocifs, comme les précédentes réformes l’avaient fait : les DRM avec la loi DADVSI et la riposte graduée avec la loi HADOPI. Quand on voit l’approche catastrophique du gouvernement sur les questions numériques (LPM, loi sur le terrorisme, loi sur le renseignement), on pourrait se dire que l’on ne s’en tire pas si mal avec cette loi sur la création : vide, mais relativement inoffensive.

Hélas, le silence de cette loi sur les aspects numériques est tout sauf innocent. Car en effet, comme La Quadrature du Net le dénonce depuis maintenant des mois, une nouvelle forme de répression est bien mise en oeuvre par le gouvernement, mais adossée à une stratégie de contournement du législateur et du juge.

La vérité de la politique du gouvernement n’est pas dans cette loi… elle est ailleurs !

Suivant les recommandations du rapport Imbert-Quaretta, le gouvernement a choisi d’apporter son soutien à l’élaboration de Chartes, conclues directement entre les titulaires de droits et les intermédiaires techniques. La première a été signée en mars dernier à propos de la publicité en ligne et une autre est en préparation au sujet des intermédiaires de paiement. Destinés à « assécher les financements des sites pirates », ces textes visent en réalité à mettre en oeuvre un véritable « SOPA contractuel », par lequel ces intermédiaires acceptent de mettre en oeuvre une « police privée du droit d’auteur », en dehors du contrôle du juge.

Le pire, c’est qu’avec cette nouvelle approche, le gouvernement n’a en réalité même plus besoin de passer par la loi, car ce nouveau visage de la répression progresse entièrement par le biais d’accords contractuels, négociés entre des acteurs privés avec la bénédiction des pouvoirs publics. Le but est de pouvoir avancer rapidement et discrètement, sans être soumis à l’obligation de soumettre ces dispositions à un débat public ou de risquer un vote négatif au parlement, comme on a pu le voir avec la loi SOPA ou l’accord ACTA.

Il est donc logique que la loi sur la création en soit donc réduite à n’être plus qu’une coquille vide. Car l’essentiel se joue désormais ailleurs…

C’est au niveau européen que la bataille la plus décisive pour l’avenir a lieu en ce moment, autour de la révision de la directive de 2001 et la France semble hélas bien partie pour faire plier la Commission et réussir à transformer la réforme annoncée du droit d’auteur en une très dangereuse révision du régime de responsabilité des intermédiaires techniques, qui serait une manière de prendre une revanche sur l’échec de l’ACTA.

Et au niveau national, c’est à présent dans l’ombre, loin des débats parlementaires, que le gouvernement déploie sa nouvelle stratégie de « lutte contre la contrefaçon commerciale », qui n’est qu’une manière d’éjecter de la boucle le législateur et le juge. On voit d’ailleurs que cette approche est en train de faire tâche d’huile, comme l’ont montré les récentes revendications des chaînes de télé françaises vis-à-vis de Facebook et Twitter, qui demandent à ces acteurs de déployer volontairement des dispositifs de filtrage automatique des contenus.

Cette extra-judiciarisation de l’application du droit d’auteur est le nouveau paradigme dans lequel nous sommes peu à peu en train de basculer et les choses pourraient aller très loin si rien n’est fait pour l’empêcher.

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Au final, on peut donc dire que non seulement ce gouvernement se sera révélé incapable d’élaborer un programme positif de réformes appropriées aux nouveaux enjeux de la création dans l’environnement numérique. Mais pire encore, son approche est révélatrice d’une véritable démission du politique, qui abandonne ces questions essentielles à des acteurs privés au mépris du respect des droits fondamentaux.

Mais même en présentant un texte vide au Parlement, le gouvernement prend encore le risque de mettre sur la table la question du droit d’auteur et de la création. Il y a encore matière à agir en proposant aux parlementaires des amendements pour faire en sorte que les vraies questions soient au moins posées.


Classé dans :Des lois et des débats Tagged : création, DADVSI, droit d’auteur, Hadopi, loi, SOPA

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Via un article de calimaq, publié le 30 mai 2015

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