Le livre numérique en bibliothèque : une mutation juridique laborieuse

La semaine dernière, j’ai eu la chance d’intervenir lors d’un colloque juridique organisé à Amiens par le CEPRISCA consacré aux "biens numériques" à l’invitation d’Emmanuel Netter.

L’approche retenue par cette journée était intéressante, car elle consistait à se pencher sur les changements juridiques qu’occasionne le passage au numérique sur la notion de "biens". Les biens constituent une catégorie juridique fondamentale, autour de laquelle s’articule le droit des biens, que l’on oppose traditionnellement au droit des contrats.

Mais la numérisation provoque une érosion du statut juridique de la plupart des biens, qui tendent à se transformer en services avec une fragilisation des droits reconnus aux utilisateurs. Là où les biens matériels nous assuraient une propriété, les services nous sont accordés dans le cadre d’une simple licence d’utilisation, souvent sans possibilité de négocier les termes de ces contrats. La journée a fait un tour d’horizon de ces mutations en cours à travers des exemples comme le statut des données personnelles, l’impression 3D, les crypto-monnaies, les noms de domaine ou les applications pour smartphones.

J’avais pour ma part été chargé de traiter un sujet directement impacté par ces évolutions : celui du livre numérique en bibliothèque et de la notion problématique de droit de "prêt numérique". Si un équilibre avait pu être trouvé pour la mise à disposition de supports analogiques sur la base d’une licence légale, il peine fortement à se reconstituer pour le livre numérique pour lequel le cadre juridique incertain renvoie les acteurs sur le terrain contractuel.

Cette présentation est l’occasion de faire le point sur la question à un moment important. Au niveau européen, le prêt d’eBooks en bibliothèque a fait l’objet d’un renvoi devant la Cour de Justice de l’Union Européenne depuis les Pays-Bas et cette décision pourrait complètement bouleverser la donne, tandis qu’une réforme de la directive sur le droit d’auteur est annoncée pour 2016. Au niveau mondial, l’IFLA agit auprès de l’OMPI pour pousser un traité international consacré aux exceptions en faveur des bibliothèques et archives, qui engloberait la question du prêt numérique. Mais les négociations paraissent au point mort à cause de l’opposition des États développés.

En attendant, des évolutions se dessinent au niveau national, et notamment en France, avec la mise en place progressive du projet PNB (Prêt Numérique en Bibliothèque), visant à développer sur une base contractuelle une plateforme centrale pour faciliter les rapprochements entre éditeurs, librairies et bibliothèques. Comme un certain nombre de bibliothécaires, j’ai les plus grandes réserves vis-à-vis de ce projet, dont le but premier me paraît d’éviter de poser la question de la nécessaire réforme du cadre législatif sur la question du livre numérique en bibliothèque.

PS : merci @Fourmeux, à qui j’ai emprunté quelques slides pour cette présentation.

 


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Via un article de Lionel Maurel (Calimaq), publié le 4 octobre 2014

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