Cachez ce mashup que je ne saurais voir…

A la fin de l’année dernière, j’avais été invité à une conférence organisée à la BPI sur le thème du mashup. Intitulé "Visionner, annoter, monter : les nouvelles pratiques du mashup", cet évènement présentait le grand intérêt de réunir des artistes du mashup, des bibliothécaires et documentalistes, un sociologue consacrant ses recherches à ces pratiques et j’étais chargé de faire le juriste de service pour expliquer l’arrière-plan légal.

Cette conférence a été filmée et enregistrée et il se trouve qu’elle a été diffusée par la suite sur le site de France Culture Plus à destination des étudiants, ce qui me paraît une excellente chose en soi, étant donné la place qu’occupent aujourd’hui ces pratiques.

mashup

Conférence sur le mashup sur le site de France Culture Plus

Or à la fin du texte de présentation, on peut lire ceci qui n’a pas manqué de m’interpeller :

mashup1Cela signifie qu’en raison des problèmes juridiques que posent les pratiques transformatives qui faisaient l’objet de cette conférence, seul l’enregistrement sonore peut être consulté et non les images et vidéos qui avaient été présentées par les participants pour illustrer leurs propos.

Or c’est particulièrement dommage, car ces sélections étaient de très grande qualité. Guillaume Delapierre (alias Giovanni Sample) nous avait présenté des échantillons de sa pratique du sample de vidéos. Jean-Yves de Lépinay, directeur des programmes au Forum des images, avait montré une sélection très riche des différents types de mashups et le sociologue Micheal Bourgatte nous avait ouvert une partie de sa propre collection qu’il utilise dans le cadre de ses recherches (ont peut heureusement la retrouver ici sur Youtube). Les bibliothécaires de la BPI avaient terminé la conférence en nous montrant des productions réalisées avec des usagers de la bibliothèque et les équipes de l’IRI lors d’ateliers de mashups.

Tous ces petits bijoux de créativité contemporaine, nous ne pourrons donc pas les voir pour des raisons juridiques et il me semble que cet état de fait illustre à merveille l’ambiguïté de la situation actuelle. D’un côté des conférences comme celles qui a eu lieu à la BPI attestent que les pratiques transformatives comme le mashup et le remix commencent à gagner en légitimité, et l’organisation depuis 3 ans du Mashup Film Festival au Forum des Images le prouve également. D’un autre côté, la rigidité des règles du droit d’auteur empêche un site comme celui de France Culture de montrer les images d’une conférence… Quelle meilleure confirmation de l’état de schizophrénie culturelle dans lequel nous nous trouvons et de la situation de prohibition qui frappe encore les pratiques transformatives !

Néanmoins, les choses pourraient changer, car suite aux recommandations du rapport Lescure, le Ministère de la Culture a demandé au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) de se saisir de la question du statut des usages transformatifs, avec pour objectif de "sécuriser" ces nouvelles pratiques. J’ai pu noter qu’Aurélie Filippetti a fait mention de cette mission sur le mashup et le remix pendant la plénière Culture de l’Université d’été du Parti Socialiste :

Il fallait pouvoir s’attaquer à la grande transition du numérique, qui a bouleversé l’économie de la culture, mais aussi les pratiques. Et aussi les pratiques des jeunes, les pratiques de diffusion, les pratiques de création elles-mêmes. Les jeunes ne sont pas simplement des consommateurs de culture, ils sont aussi des praticiens, des créateurs, des acteurs de leurs propres pratiques culturelles à travers et grâce au numérique. Mais il faut qu’il y ait un cadre juridique sécurisé en la matière, que ces nouvelles pratiques qui se développent, le mashup, le remix, qu’on puisse les accompagner et leur donner toute la sécurité juridique qui est nécessaire.

Nous entrons dans une séquence où l’on peut espérer qu’une modification législative intervienne pour rendre ces pratiques créatives compatibles avec le droit d’auteur en France. Et j’avais essayé de montrer au mois de juin dernier qu’une marge de manoeuvre réelle existe au niveau de la loi française pour changer les choses en profondeur. Trois pistes me paraissent exploitables (le détail des propositions ici) :

1) Élargir l’exception de courte citation

2) Limiter la portée du droit moral

3) Permettre le contournement des DRM pour la création d’oeuvres transformatives

Il faudra suivre de près les travaux au CSPLA et plus encore les débats législatifs qui s’ensuivront, si l’on ne veut pas laisser passer cette chance historique, afin que les nouveaux créateurs ne soient plus obligés de se cacher et qu’on puisse librement montrer les fruits de leurs travail.

Il est croustillant que dans le même temps, Canal+ à l’occasion de la première de la nouvelle mouture du Grand Journal ait plagié sans vergogne le créateur d’une vidéo sur Youtube et cherche à présent à se justifier en disant que c’est juste de "l’inspiration". On est d’un côté avec la répression et la stigmatisation de pratiques amateurs créatives et de l’autre avec la morgue d’industries culturelles dépassées, soutenant la fermeture du système alors qu’elles ne sont même plus capables d’inventer par elles-mêmes

Si c’est la créativité qui est vraiment importante, il FAUT que le système change !

***

Je vous laisse avec plusieurs vidéos en lien avec ce sujet. Tout d’abord une conférence sur la Culture libre donnée par Lawrence Lessig au printemps dernier. Elle permet de constater la place centrale qu’occupe dans la pensée du créateur des Creative Commons la question de la légalisation du remix. Il introduit notamment une distinction intéressante entre Mix et Re-Mix (à partir de 12 minutes).

Par ailleurs, je vous recommande de visionner les vidéos de la conférence-manifeste "Demain l’art sera libre et généreux", organisée en juin dernier par le Forum des Images dans le cadre du Mashup Festival Film, à laquelle j’avais eu le grand honneur de participer.

Animée avec brio par Xavier de la Porte, cette conférence fleuve de plus de 4 heures est l’occasion de découvrir l’incroyable diversité des pratiques transformatives, ainsi que de prendre connaissance des débats qu’elles suscitent.

PS : merci @BlankTextField, qui m’a signalé à la fois l’article sur la conférence sur France Culture Plus et la vidéo de Lessig.

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S.I.Lex

Regard d’un bibliothécaire sur le droit d’auteur, le droit de l’information, le droit de l’internet et des nouvelles technologies, le droit de la culture, les libertés numériques et bien plus encore !

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Via un article de calimaq, publié le 29 août 2013

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