Ouverture des données culturelles : The Times, They Are A Changing ?

J’ai à de nombreuses reprises eu l’occasion de déplorer dans ce blog que l’ouverture des données publiques était en panne dans ce pays en ce qui concerne le secteur culturel. Jusqu’à présent, la Culture était le mouton noir de l’Open Data en France, alors qu’à mon sens, elle aurait du être l’un des premiers domaines à embrasser ce mouvement.

Open Data Scrabble. Par Justgrimes. CC-BY-SA. Source : Flickr

Pourtant, les choses semblent en train de changer graduellement, notamment au niveau de la politique du Ministère de la Culture. J’avais déjà relevé dans S.I.Lex la parution du guide Dataculture en mars dernier, qui constituait un premier pas important en avant. Pour la première fois, le MCC prenait une position franche en faveur de l’ouverture des données culturelles, en adressant à ses services et aux établissements sous sa tutelle des consignes pour mettre en oeuvre une politique d’Open Data, notamment au niveau juridique.

C’est à présent sur C/Blog, le blog du Ministère de la Culture, que l’on remarque des signes qui montrent que cette dynamique semble bien se poursuivre. Plusieurs sites ont relevé que C/Blog avait changé d’apparence visuelle ces dernières semaines, mais ce n’est pas le changement le plus intéressant que l’on puisse repérer.

Une feuille de route Open Data du Ministère de la Culture

En effet dans la section "Projets", on trouve une rubrique "Stratégie Open Data", indiquant qu’une feuille de route Open Data a été publiée par le Ministère. Ce document est proposé au téléchargement et vous pouvez le voir ci-dessous. Il contient des orientations qui me paraissent trancher avec la direction suivie jusqu’alors.

Le simple fait que le Ministère de la Culture publie un document stratégique relatif à la réutilisation de ses données est une conséquence de la feuille de route gouvernementale en matière de partage et d’ouverture des données publiques, adoptée en mars dernier, qui demandait à tous les Ministères de le faire. J’avais eu l’occasion à ce moment de déplorer vivement que les données culturelles ne figurent pas parmi les 6 jeux de données stratégiques identifiés par le gouvernement à propos desquels il souhaitait engager un débat public concernant leur ouverture.

La feuille de route publiée par le MCC semble cependant compenser cette absence initiale, car elle se prononce clairement de faveur de l’Open Data :

Le ministère de la culture et de la communication entend donner sa pleine mesure à la politique gouvernementale en faveur de l’ouverture des données publiques et au soutien d’une économie numérique des données qui est en train de se construire [...]

Le secteur culturel, quelles que soient ses spécificités qui doivent être affirmées et reconnues, ne doit pas s’inscrire en marge d’un mouvement qui est en marche ; et ce d’autant plus que le monde de la Culture s’est emparé depuis de nombreuses années des technologies émergentes du Web pour valoriser ses corpus numérisés et unités documentaires.

La feuille liste 10 actions à entreprendre pour atteindre ces objectifs, dont voici les deux premières :

1. Inscrire l’action du ministère de la culture et de la communication dans une politique numérique de mise à disposition de ses données publiques sur data.gouv.fr.

2. Ouvrir des jeux de données publiques stratégiques issues du secteur culturel en prenant appui sur les prescriptions du rapport Data Culture.

Le point n°5 me paraît également très important, dans la mesure où il évoque la question du web sémantique et du linked data :

5. Investir les technologies du web sémantique et amorcer une dynamique de linked opendata dans le secteur culturel en contribuant au rayonnement de la culture française et de la francophonie sur Internet

On voit que le Ministère parle bien ici de linked open data, qui combine donc à la fois les données liées et l’ouverture. Par le passé, on a pu déplorer que des établissements culturels fassent l’effort de produire des données enrichies dans les standards du web sématique, mais sans aller jusqu’à les ouvrir, ce qui pour moi relève d’un contresens total. C’est ce que je reprochais notament au Centre Pompidou virtuel l’an dernier et les choses n’ont hélas pas évolué depuis. C’est aussi ce qu’on peut déplorer dans un projet comme JocondeLab par exemple, qui porte bien sur le linked data, mais sans que la base Joconde des musées ne soit placée sous licence ouverte.

On espère que les orientations de la feuille de route permettront d’avancer sur ce point.

Deux consultations publiques sur les données culturelles

Ces éléments sont encourageants, et ce d’autant plus qu’ils se déclinent en deux actions concrètes que l’on peut également repérer sur C/Blog.

Deux consultations ont en effet été lancées par le Ministères concernant la réutilisation des données cuturelles. La première propose de "Contribuer de la stratégie Open Data du MCC", en indiquant quelles sont les jeux de données culturelles que l’on souhaiterait voir ouverts à la réutilisation libre et gratuite. Les réponses sont à retourner par mail avant le 14 octobre 2013.

La seconde consultation n’est pas publique, mais elle est à mon sens encore plus intéressante. Le Ministère se lance en effet dans une "évaluation du modèle économique des redevances de réutilisation des données publiques culturelles". Cela signifie qu’il va procéder à un audit pour savoir quelle est la rentabilité réelle des redevances déjà mises en place en matière de réutilisation des données culturelles. C’est sans doute l’un des angles d’attaques les plus intéressants pour faire bouger les lignes, car si les données cultuelles ont une grande valeur d’usage, elles sont loin d’être la "poule aux oeufs d’or" que certains ont trop tendance à y voir. Au terme de cette étude, on pourra savoir si cela vaut réellement la peine de continuer à faire payer les données de la culture ou s’il ne vaut mieux pas au contraire lever les barrières tarifaires pour les faire entrer dans une "économie de la notoriété", comme l’indique la feuille de route.

Il aura donc fallu le temps, mais il semble bien qu’un vent de changement commence à se lever en matière de réutilisation des données culturelles. On le perçoit aussi nettemet dans le discours qui es tenu par certains responsables. Je vous invite notamment à écouter cet entretien avec Camille Domange, chef du département des programmes numériques du ministère :

Le vrai changement, c’est que le régime juridique particulier, dit "exception culturelle", qui a longtemps constituté un obstacle à l’ouverture, n’est plus présenté comme tel. C’était déjà le cas dans le guide Data Culture, dont Camille Domange était l’auteur, et c’est à nouveau répété très clairement ici.

Quelles répercussions sur les établissements culturels ?

Ces signes sont encourageant, mais si l’orientation générale paraît en train de tourner, il faudra voir si les grands établissements culturels suivent à présent, car c’est à ce niveau que les verrous les plus forts persistent. A vrai dire, le Ministère de la Culture était déjà contraint de s’engager dans une politique d’ouverture, dans la mesure où il était soumis à la circulaire Etalab de 2011, qui lui fait obligation de publier ses données sur data.gouv.fr sous licence ouverte.

Mais cette circulaire laisse le choix aux établissements culturels sous sa tutelle d’ouvrir ou non leurs données. Certains, comme la BnF, se sont engagés volontairement dans une politique d’Open Data, mais ce n’est pas le cas pour de grands établissements comme le Louvre, le Musée d’Orsay, le Musée du Quai Branly, Versailles, le Centre Pompidou ou l’INA. Or c’est à ce niveau que des données importantes se situent.

Pour qu’elle soit suivie d’effet concret, cette feuille de route devra donc emporter l’adhésion à ce niveau et vaincre les résistances encore fortes qu’opposent certains établissements à l’ouverture.

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Les parties intéressées à l’ouverture des données culturelles, qu’ils s’agissent d’entreprises ou de groupes militants, devraient appuyer ce mouvement en répondant à la consultation publique sur la stratégie Open Data du Ministère.

Nous verrons d’ici la fin de l’année si nous pouvons enfin fredonner The Times, They Are Changing… ;-)

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S.I.Lex

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Via un article de calimaq, publié le 31 juillet 2013

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