Pourquoi les vidéos font six secondes sur Vine (et pourquoi Facebook prend un vrai risque en passant à 15)

 A grand renfort de communication, Facebook a donc annoncé cette semaine l’arrivée du partage de vidéos sur Instagram. Destinée à riposter au succès grandissant du service Vine lancé il y a quelques mois par Twitter, qui avait déjà dépassé Instagram en terme de volume d’échanges, cette décision semble un succès, puisque 5 millions de vidéos avaient déjà été téléchargées 24 heures seulement après le lancement de l’option.

Pourtant, Facebook va peut-être rapidement s’exposer à des ennuis en justice, car pour se démarquer de son concurrent, il a été annoncé que les vidéos partagées sur Instagram pourraient atteindre une durée de quinze secondes, alors qu’elles sont limitées à six secondes seulement sur Vine.

Dans une interview donnée à l’occasion du lancement, Kevin Systrom explique que cette durée de 15 secondes a été choisie plus ou moins au hasard :

[...] c’est un chiffre que nous avons choisi de manière totalement arbitraire. Cela aurait tout aussi pu être plus ou moins. Je sais que cela n’a pas l’air très sérieux, mais c’est la vérité. On avait juste le sentiment que cette longueur serait suffisante pour pouvoir s’exprimer, sans perdre le côté instantané.

Du côté de Vine, il semble au contraire qu’on puisse trouver des raisons au fait que les vidéos partagées ne peuvent durer que six secondes et elles découlent visiblement des restrictions imposées par les règles découlant du copyright aux Etats-Unis. En effet, le fait de tourner des vidéos avec son téléphone n’est pas complètement anodin du point de vue du droit d’auteur, car il est possible par ce biais de reproduire des oeuvres protégées, notamment lorsque l’on assiste à un concert ou quand on réalise un montage à partir d’oeuvres préexistantes.

Le genre de geste qui peut poser problème vis-à-vis du droit d’auteur (Par The Hamster Factory. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr)

En avril dernier, le chanteur Prince, traditionnellement très agressif dans la défense de ses droits d’auteur, a été le premier à adresser une demande de retrait à Vine, en s’appuyant sur la loi DMCA pour des vidéos prises lors d’un de ces concerts. L’utilisateur aurait pu invoquer une défense sur la base du fair use (utilisation équitable), mais il a visiblement préféré obtempérer sans discuter.

Pourtant, on peut se poser la question de savoir s’il est vraiment possible de violer des droits d’auteur en seulement six secondes ? La réponse est en réalité assez complexe. Plusieurs articles sont parus à ce propos sur des sites américains, qui font un parallèle entre le partage de courtes vidéos via les réseaux sociaux et le phénomène du sampling musical qui s’est développé à partir des années 80-90. Celui-ci a en effet donné lieu à de nombreuses batailles devant les tribunaux, à propos de la reprise de parfois seulement quelques notes de musiques, au point de peser lourdement sur l’évolution de genres comme le hip-hop ou le rap.

L’une des affaires les plus importantes qui aient eu lieu en la matière a impliqué le groupe Beastie Boys, pour leur morceau Pass The Mic, tiré de l’album Check Your Haed, publié en 1992. Cette chanson contient une reprise de trois notes de flûte empruntée au morceau "Choir" du flutiste de jazz James Newton (voyez ci-dessous les deux vidéos).

James Newton décida d’attaquer les Beasties Boys pour violation de son droit d’auteur, alors même que ceux-ci avaient bien payé son label pour l’utilisation de l’enregistrement, mais pas l’auteur lui-même pour la "composition" sous-jacente (c’est-à-dire l’oeuvre).

Saisis de cette question, les tribunaux américains devaient conclure en 2003 que l’utilisation de ces trois notes n’étaient pas constitutive d’une violation des droits d’auteur, en application de la théorie de l’usage de minimis. Or il se trouve que l’extrait de trois notes employé par les Beastie Boys durait exactement six secondes.

C’est visiblement en ayant cette jurisprudence en tête que les fondateurs de Vine ont décidé de limiter les vidéos à six secondes seulement quand ils ont créé leur service, afin de limiter les risques juridiques. C’est le site GigaOM qui avance cette thèse, en affirmant tirer l’information d’une source autorisée :

Fortunately, in the case of the Beastie Boys, a California appeals court took a more rational approach to the issue and ruled that a six second (the same length as a Vine video !) flute sample on the song “Pass the Mic” didn’t infringe on copyright. The Supreme Court, in 2005, refused to reconsider the decision.

The upshot, however, is that today we still don’t know for sure how long a sample can be before it infringes copyright. Twitter declined to comment on whether it believes Vine videos are covered by copyright law’s “fair use” exception, but a source familiar with the company told me that the decision to make the videos six seconds long was not a coincidence.

En autorisant la publication sur le service Instagram de vidéos de 15 secondes, Facebook prend donc le risque non négligeable de fleurter avec les limites tracées par la jurisprudence.

Ces questions se posent d’abord dans un contexte américain, mais je cadre juridique est encore plus restrictif en France, où la courte citation n’est pas admise en matière de musique et très difficilement pour l’audiovisuel. D’où l’importance de consacrer par le biais d’une exception la possibilité de réutiliser des contenus à des fins créatives ou transformatives, comme j’ai essayé d’en faire la proposition cette semaine.

Classé dans :Quel Droit pour le Web 2.0 ? Tagged : copyright, courte citation, droit d’auteur, Facebook, fair use, hip-hop, Instagram, musique, partage, vidéo, vine

S.I.Lex

Regard d’un bibliothécaire sur le droit d’auteur, le droit de l’information, le droit de l’internet et des nouvelles technologies, le droit de la culture, les libertés numériques et bien plus encore !

  • contact : calimaq at gmail.com
  • licence CC by

URL: http://scinfolex.wordpress.com/
Via un article de calimaq, publié le 23 juin 2013

©© a-brest, article sous licence creative common info