Biens communs, neutralité du réseau et économie de l’attention (webinaire)

Il y a deux semaines, j’ai été invité par Jean-Michel Salaün à participer à un webinaire, organisé entre la France et le Québec, dans le cadre du master Architecture de l’information de l’ENS Lyon.

Le sujet qu’il m’avait été demandé de traiter était particulièrement intéressant. Il s’agissait d’explorer les relations entre les notions de Biens communs, de neutralité du réseau et d’économie de l’attention. J’avais produit pour l’occasion un Storify, qui m’a servi de canevas pour l’intervention et à partir duquel les étudiants du Master ont pu préparer des questions.

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Le webinaire en lui-même a fait l’objet d’une captation vidéo, que vous pouvez retrouver dans les conditions du direct sur Youtube, mais aussi remonté par Pierre Benech (merci à lui) sur Internet Archive, suivant les quatre parties de mon propos :

1° Les atteintes à la Neutralité du net menacent Internet conçu comme un bien commun.

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2° Ces atteintes principalement sont le fait d’acteurs qui cherchent à instrumentaliser à leur profit les mécanismes de l’économie de l’attention.

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3° Un grand nombre de ces atteintes se font sous couvert de l’objectif de protection de la propriété intellectuelle.

Neutralité du Net, Economie de l'attention et Biens communs - Archinfo - Free Download & Streaming - Internet Archive 2013-04-27 13-53-294° Un des moyens de protéger la neutralité du net consiste à constituer e à défendre des biens communs de la connaissance.

Neutralité du Net, Economie de l'attention et Biens communs - Archinfo - Free Download & Streaming - Internet Archive 2013-04-27 13-53-52L’un des principaux intérêts de cette formule de webinaire consiste à pouvoir recevoir en temps réel les questions et les remarques des participants. A l’issue de la présentation, les étudiants ont pu laisser dans un pad des commentaires concernant les points forts et les points des thèses qui leur avaient été présentées et je les reproduis ici :

Points forts

Nous avons vu que dans l’économie du partage, toute œuvre de l’esprit devient égale aux autres par le fait même qu’elle est partagée. Cette économie n’est donc pas à l’abri de l’hyperfocalisation sur des contenus que l’on peut juger moins intéressants. C’est là justement où je vois le grand avantage à ce système de régulation libre qui contrairement à notre industrie culturelle standard est régie par des critères marchands qui n’ont souvent rien à voir avec les critères artistiques et culturels.(PM)

J’ai beaucoup aimé la distinction faite que le piratage (partage de contenu) n’est pas du vol. Analogie souvent utilisée, mais ultimement pas efficace pour faire comprendre la valeur du contenu créatif, ce sur quoi les producteurs de celui-ci devrait se concentrer. Aussi l’idée que les communautés de partage ne sont « pas le far-west, il y a une structure mise en place/auto-régulation très présente, pour s’assurer qu’il n’y ai pas de surexploitation par certains pour que tous ajoutent de la valeur dans la communauté. » et le retour sur le concept des « commons » vu au départ soi que justement la « tragédie des commons » est fausse pour le contenu créatif, mais que l’on doit considérer quand même cette question dans le débat. (CD)

Lionel a parlé d’une solution à la fois à la liberté d’accès aux contenus des utilisateurs et à la rémunération des créateurs sur le net : la contribution créative, un surcoût à l’abonnement internet. Puisque les sommes accumulées grâce à ce surcoût seront redistribuées aux créateurs, cela les encourage du même coup à partager ce qu’ils ont créé. Ce qui me plaît dans cette solution, c’est qu’elle est soutenue par une logique plus « saine ». Plutôt que de surveiller et traquer ceux qui copient illégalement des contenus, on redistribue les bénéfices du surcoût à l’abonnement aux créateurs. L’utilisateur a accès à plus de contenus, mais doit aussi faire sa part en donnant un peu d’argent, ce qui le responsabiblise. (JH)

La neutrailité d’internet passe par l’application de la théorie des biens communs, c’est-à-dire une régulation par la communauté des ressources partagées. Mais aussi, cela suppose d’éviter la « tragédie des communs », en faisant en sorte que la source de la circulation des biens sur internet ne tarisse pas. Ce qui demande une contribution de tous. (ALN)

Lionel Maurel souligne qu’il y a de moins en moins de distinction entre le contenu amateur et professionnel sur le Web. Cet éclatement du cadre éditorial puisse être vu comme un point positif, mais il pose des défis considérables pour la rémunération des producteurs de contenu. J’ai bien aimé que Lionel Maurel expose que des solutions existaient et qu’il ne se borne pas à dire que la situation actuelle était inchangeable. (MCL)

La force de la proposition du « système de contribution creative » de M. Maurel est son audace radicale. C’est à dire : tous les contributeurs au contenu d’Internet seraient rénuméres par un système de surtaxe imposée aux utilisateurs d’Internet. Il s’agit au fait d’une modification radicale des la distribution des oeuvres sur Internet (ADV)

Une proposition a fortement attiré mon attention : celle de partager les oeuvres qui sont épuisées ou plus disponibles. Wow ! (I.L.)

Manques

J’aurais aimé en savoir plus sur la contribution créative. A-t-on déjà pensé à la façon dont les sommes seraient redistribuées aux créateurs et selon quels critères ? Est-ce qu’on donnerait à chacun la même somme ? Sinon, est-ce qu’on tiendrait compte du temps de travail, de la qualité, du nombre de partage ? Est-il possible de penser à un calcul qui tiendrait compte de plusieurs critères ? Ce serait dommage que l’argent redistribué ne le soit qu’en fonction du nombre de partage… Aussi, il y a tellement de contenus publiés, réussirait-on à en garder la trace ? Comment redistribuer ces sommes puisqu’on consulte des site à une échelle internationale ? J’aurais aimé savoir s’il y avait des groupes ou des ministères qui se penchaient sur ces mêmes questions au Québec ou au Canada. (JH)

Moi aussi j’aurais bien aimé qu’il aborde les mécanismes qui seraient mis en place si l’on adopte un modèle de contribution créative. Comment peut-on rénumérer tous les contributeurs de contenu ? Sur quels critères ? Les professionnels seront-ils aussi rémunéré que les amateurs ? À la quantité de contenu produit sur le net et l’échelle à laquelle ce phénomène se déploie, je me pose la question comment un tel système peut être appliqué ? (EMD)

J’ai une autre réserve par rapport à la contribution créative. Plusieurs créateurs ont besoin d’argent avant de commencer leur projet. Par contre, la contribution créative ne serait possible qu’une fois le contenu créé. Il ne s’agit pas d’une forme de financement. Il faudra probablement que des formes de financement existent en parallèle. Parallèlement à cette question, je me demande si la contribution créative ne vendrait pas amoindrir ou transformer le rôle de l’État. C’est lui qui, jusqu’à maintenant, s’occupe de redistribution (impôts). Pourrait-on envisager une contribution créative différenciée selon les revenus des utilisateurs ? (JH)

Une partie qui a retenu mon attention, et qui fait vibrer ma fibre de sceptique avouée, est celle où Philippe Aigrain dit être pour la légalisation du partage d’information non marchand sur le Web, tout en proposant une contribution créative par un surcoût de l’abonnement Internet par mois, au créateur de contenu sur Internet, principalement aux créateurs amateurs. Ça me semble totalement ingérable. Devant l’explosion des contenus, comment faire pour redistribuer une redevance à des millions de créateurs amateurs, sur quelle bases, etc. Bref, en théorie, l’idée peut être intéressante, mais en pratique, je serais très surpris qu’on puisse y arriver. [M.R]

J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi les communautés de partage qui se sont dotées de mécanisme de régularation sont si différentes du piratage et en quoi ces règles évitent la surexploitation des ressources. Souvent, ces communautés ont pour règle d’avoir un ratio de 1 pour 1, soit avoir autant d’upload que de download. Je peux comprendre que ces règles soient intéressantes dans une logique de biens communs, mais il reste que l’application actuelle du droit d’auteur ne le permet pas. (JB)

- Est-ce qu’avec cette taxation proposée des usagers, nous ne risquerons pas d’aggraver la fracture numérique ? Beaucoup des familles ne pouvons pas se payer une connexion haute vitesse. Je suis contre un tel modèle de financement. (AS)

- Je suis plutôt d’accord avec AS. En fait, je trouve que M. Maurel ne parle pas assez de pays comme la Chine ou l’Iran. Mais le sujet de ce webinaire est très vaste. (GC)

J’aurais aimé dans toute sa présentation qu’il nous présente comment l’enjeu de la neutralité du net est perçue dans d’autres pays (EMD).

Même si on agit en garantissant le partage des connaissances (bien commun), il va toujours avoir l’autre pilier de l’économie à réglementer et à gérer pour que cette solution puisse tirer son potentiel de réussite. Par exemple, dans une économie qui recherche l’attention du consommateur, que faire pour permettre une « chance » égale des contenus de réussir à être vus et lus par les individus ? Je fais une analogie avec la longue traîne dans le marché du livre. La même chose de produit sur le Net, non ? (RRB)

Je trouve que c’est le point faible du discours de Lionel Maurel. J’ai vraiment de la difficulté à voir comment serait réparti cette « contribution créative ». Cela pourrait créer une compétition malsaine pour obtenir le plus de visibilité (il y a déjà assez de matériel débile sur le web… pas besoin d’en rajouter). Alors rétribuer les gens pour le nombre de « clics » ou de « j’aime » n’est pas souhaitable. Je ne voudrais pas avoir à payer pour qu’on récompense des gens pour leur quête de gloire. Il me semble que l’autre option (faire payer les gros joueurs – « les taxer ») est une meilleure solution. Cela me surprend qu’il mette tant de passion à défendre cette « contribution créative » alors qu’il ne semble pas y avoir songé sérieusement (dans les détails). Et tout le monde sait que « le diable est dans les détails » ! (MT)

Le point faible du système de contribution créative proposé par Maurel réside dans la faiblesse du système de l’économie de l’attention dans l’économie du bien commun. Comment faire pour ne pas subir les effets néfastes ?

Il semble effectivement qu’il y ait plusieurs obstacles à la mise en place de la contribution créative. Sur ce point, n’y aurait-il pas des leçons à tirer des tentatives nationales de financement de la culture à l’extérieur du Web ? Par exemple, au Québec, la mise en place des enveloppes à la performance pour financer les oeuvres cinématographiques a été désastreuse pour le cinéma d’auteur. Le critère de popularité est facilement quantifiable (box-office pour le cinéma, nombre de partages sur le Web) contrairement à celui de la qualité, beaucoup plus subjectif (notre conférencier a lui-même avoué être inapte à juger cette question). Il est possible de croire qu’en basant la contribution créative en tout ou en partie sur ce critère, l’un des seuls quantifiables liés aux contenus sur le Web, c’est-à-dire le nombre de partages, nous pouvons nous attendre à une mise en avant d’oeuvres répondant aux critères de la culture populaire au détriment de ceux, plus originaux, relevant d’une culture dite « indépendante ». Alors que la liberté d’expression sur le Web encourage une diversité au sein des contenus, la contribution créative pourrait peut-être aller contre cette caractéristique fondamentale du réseau. (AP)

Ces objections reviennent souvent à propos de la contribution créative. On trouvera un certain nombre de réponses, notamment sur le mode de calcul et de répartition des sommes collectées dans ce billet consacré aux différences entre la contribution créative et la licence globale.

Bravo et merci à l’équipe du master Architecture de l’information pour m’avoir proposé cette expérience innovante ! Cette formule du webinaire ouvre des perspectives vraiment intéressantes pour organiser des débats et produire des contenus de manière collaborative.


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S.I.Lex

Regard d’un bibliothécaire sur le droit d’auteur, le droit de l’information, le droit de l’internet et des nouvelles technologies, le droit de la culture, les libertés numériques et bien plus encore !

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Via un article de calimaq, publié le 30 avril 2013

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