Photographies, Creative Commons et Clause non-commerciale (Réponse à l’UPP)

L’Union des Photographes Professionnels a réagi à un article paru dans Numerama « Lescure envisage-t-il de rendre les Creative Commons payantes ? » par un communiqué de presse dans lequel je suis directement cité et qui me prête des propos auxquels je souhaiterais apporter un démenti catégorique.

Quand tu lis un communiqué de presse de l’UPP… (Facepalm, par Brandon Grasley. CC-BY. Source : Flickr)

Voici le passage en cause, que je cite in extenso :

L’UPP loin de « faire la guerre aux amateurs  » qui, pour rappel, sont également auteurs, s’est d’ores et déjà exprimée sur les Creative Commons. La diffusion des œuvres ne doit pas se faire au détriment du financement de la création, essentiel à son renouvellement. Les Creatives Commons devraient permettre aux auteurs de créer un lien avec le public et non les pousser à renoncer à leurs droits.

L’UPP s’est donc uniquement prononcée contre l’option commerciale des licences Creative Commons qui permet à des sociétés de cumuler toujours plus de capital sans rémunérer les auteurs.

L’expérience pilote de la SACEM (voir ici) sous licence Creative Commons option non-commercial, lancée début janvier 2012, a le mérite de définir ce qu’est un usage commercial.

 Contrairement aux propos tenus par Guillaume Champeau, ce n’est pas forcément le cas d’une image publiée sur un site Internet où figure de la publicité.

 Ce raisonnement a également été soutenu par Lionel Maurel, tant repris par Numerama.com (!), dans son article Le non commercial, avenir de la culture libre », le 18 octobre 2012, sur le site Owni. Il fait valoir, à juste titre, qu’une majorité des Commoners réservent l’usage commercial, notamment dans le secteur de la photographie, pour lequel ce modèle n’est pas adapté et dangereux pour la profession.

L’UPP confond deux choses différentes et tire des conclusions complètement erronées de l’article que j’ai écrit à propos de la clause non-commerciale des Creative Commons (republié sur S.I.lex sous le titre Défense et illustration de la clause non-commerciale).

Je fais partie des personnes qui estiment que l’emploi de la clause NC des licences Creative Commons peut être légitime selon les situations, sinon même intéressant pour mettre en place des modèles économiques, tout en laissant circuler les oeuvres sur Internet. J’ai écrit l’article en question dans un contexte où dans le cadre du passage à la nouvelle version des licences Creative Commons, certains membres de la communauté s’étaient exprimés pour supprimer la clause non-commerciale des options proposées par les Creative Commons.

J’ai défendu alors que ce serait une très mauvaise idée, d’une part parce que le choix de la clause NC est majoritaire parmi ceux qui utilisent les licences Creative Commons et d’autre part, parce que dans certains cas, comme je l’ai dit plus haut, je pense que l’usage de cette clause est justifié.

Notamment dans le domaine de la photographie, on trouve des créateurs qui ont très bien réussi à mettre en place des modèles économiques en diffusant leurs clichés sous une licence comportant la clause NC (voir les travaux de Jonathan Worth ou Trey Ratcliff).

Par ailleurs, je pense essentiel de ne pas discréditer la notion de Non-commercial, car elle serait amenée à jouer un rôle essentiel dans le cadre de la légalisation des échanges non-marchands, qui me paraît constituer une direction majeure pour la réforme du droit d’auteur, et qui figure dans les programmes défendus par la Quadrature du Net ou par le Parti Pirate.

Ceci étant dit, je désapprouve profondément les positions de l’UPP concernant les licences libres. L’UPP considère en effet que les photographies placées sous des licences autorisant les usages commerciaux font une concurrence déloyale aux photographes professionnels et elle cherche d’une manière ou d’une autre à faire en sorte que ces usages gratuits deviennent impossibles.

C’est ce qui les a conduit par exemple à dénoncer le concours Wiki Loves Monuments lancé par la fondation Wikimedia en écrivant jusqu’au Ministère de la Culture et à demander à ce que Wikipédia change sa licence pour en plus permettre les usages commerciaux (si,si…). L’UPP a lancé par ailleurs une Association contre le libre de droits, dont l’action confond dans un même élan la lutte contre les microstocks photo (à mon sens légitime) avec les photographies sous licence libre.

Dans son Manifeste pour les photographes, qui liste ses propositions en direction des pouvoirs publics, l’UPP va beaucoup plus loin et elle s’en prend directement aux pratiques amateurs :

Le développement d’une offre de photographies gratuites par des sites communautaires (ex : Flick’r ou Wikimedia) ou offre low cost (0,14 € l’image) par des banques d’images appelées microstocks (ex : Fotolia) a eu des effets catastrophiques sur le marché de la photographie professionnelle. Fondées sur des logiques de contributions d’amateurs (crowdsourcing), ces offres déloyales à l’égard des photographes professionnels ont créé un effet d’aubaine dont profitent un nombre croissant d’utilisateurs professionnels.

La solution qu’elle propose consiste à demander un modification du Code de Propriété Intellectuelle « prévoyant que l’usage professionnel d’œuvres photographiques est présumé avoir un caractère onéreux« . Une telle disposition aurait l’effet catastrophique de « neutraliser » l’effet des licences libres et de mettre en place une sorte de NC universel qui pèserait sur toutes les photographies postées en ligne.

J’ai eu l’occasion dans plusieurs billets de dénoncer ces projets, qui constituent selon moi une forme particulièrement exacerbée de la guerre au partage généralisée qui fait rage actuellement. Par ailleurs, lors de notre audition avec Silvère Mercier pour le collectif SavoirsCom1 devant la Mission Lescure, j’ai eu l’occasion de défendre la légitimité des pratiques amateurs, notamment dans le domaine de la photographie en ligne.

Pour que les choses soient donc absolument claires, j’insiste donc sur le fait que l’usage de licences libres, autorisant les usages commerciaux, a toute sa légitimité, dans la mesure où c’est le choix retenu par les auteurs. J’utilise d’ailleurs depuis le début la licence CC-BY pour S.I.Lex etje dénie à quiconque le droit de m’interdire de le faire.

Vouloir interdire ce type de licences, comme le souhaite l’UPP, me paraît particulièrement néfaste et dangereux. Je dirais même que cela bafoue complètement la philosophie même du droit d’auteur, qui veut que c’est à l’auteur de décider souverainement des usages de ses créations. Ce sont pourtant des propositions que l’UPP a faites devant la mission Lescure, qui semblent heureusement ne pas être en voie d’être retenues, d’après le démenti apporté par Pierre Lescure cette semaine.

Ceci étant dit, je ne condamne pas l’ensemble des propositions que fait l’UPP dans son manifeste et j’ai déjà eu l’occasion de dire dans un autre billet qu’un compromis pourrait sans doute être trouvé, à condition justement que ces professionnels cessent de se tromper de cible, de stigmatiser les amateurs et d’amalgamer des choses qui n’ont rien à voir, comme les microstocks photo et les photographies sous licence libre. L’UPP constitue un des rares représentants de titulaires (avec la Spedidam) qui se prononce en faveur de la licence globale. Leurs propositions contre les contrats proposés par certains éditeurs ou contre la pratique abusive du « D.R. » me paraissent aussi intéressantes.

Je me tiens à la disposition de l’UPP pour prolonger cette discussion, mais je réagirai à nouveau avec la plus grande énergie si l’on continue à déformer mes propos.

Classé dans :Alternatives : Copyleft et Culture Libre Tagged : Creative Commons, Lescure, licences libres, non commercial, numerama, photographie, UPP

S.I.Lex

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Via un article de calimaq, publié le 2 mars 2013

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