Retour d’expérience et projets au pays de Brest

Territoires en réseaux : d’internet aux innovations sociales ouvertes

Intervention à la journée du département de Loire Atlantique le 9 Octobre 2012 (enregistrement)

avec des extraits d’un projet d’article à paraître et d’une réponse à l’appel à projet Innovation sociale de l’AVISE, [en partenariat avec Outils Réseaux, Imagination for People, Collporterre, La Péniche, Tiriad et Zoomacom.

Résumé

Au début d’internet, les politiques publiques ont accompagné l’appropriation sociale de ces outils. A Brest, des dispositifs tels que les 105 « PAPI » (Points d’Accès Publics à Internet), les 40 réponses à l’appel à projet les ateliers hebdomadaire nous ont appris l’importance du « faire avec » et du « donner à voir » qui met en partage.
Petit à petit les usages des outils numériques se sont diversifiés, touchant, les services, le travail, les loisirs, la culture, l’éducation. Avec les blogs, les réseaux sociaux, le numérique s’est intégré à notre vie quotidienne.

La société du numérique est celle de l’abondance. Les premiers projets coopératifs tels le CD bureau libre, wiki-brest et le médiablog coopératif nous ont appris l’efficience des outils et méthodologies collaboratives issues du logiciels libres, qui permettent de gérer l’abondance.

La coopération ouverte est un profond changement de culture dans une société où le travail est organisé de manière cloisonnée et hiérarchique. Apprendre à donner à voir, copier, réutiliser, partager demande du temps parce que ce n’est pas dans nos habitudes.
Aujourd’hui l’innovation ouverte progresse dans les entreprises où elle stimule la créativité, dans les services où elle favorise l’implication des personnes, dans le tiers secteur où elle est facteur d’innovation sociale. Dans un monde numérique où la copie ne coûte rien, les données ouvertes, les logiciels libres, les ressources éducatives libres, et nos pratiques de la musique ou des films copiés sont issus de ce changement de paradigme de la rareté vers l’abondance.
Dans notre société en crise écologique et sociale, la transformation se tisse au sein des territoires : des milliers d’innovations préfigurent un changement possible. Et lorsque nous voyons que l’innovation est abondante parce que les envies de faire société sont partout, se pose la question d’utiliser sur nos territoires ces outils et méthodologies de la coopération pour favoriser un mieux vivre ensemble.

C’est cette articulation de l’internet aux innovations sociales ouverte que je vous propose d’aborder, illustré des réalisations mises en œuvre sur le pays de Brest dans le domaine de l’appropriation sociale du numérique. [1]

1 L’innovation sociale, facteur de transformation

Notre monde secoué de crises – aux conséquences multiples, économiques et sociales autant qu’écologiques – ne peut se réduire à une lecture binaire : marché contre État.

D’autres manières de penser le développement existent, des manières plus respectueuses à la fois des humains et de la planète, plus créatives que celles que nos structures représentatives historiques nous assignent, plus coopératives que compétitives. Ces autres manières de faire société passent, entre autres, par l’innovation sociale ouverte et partagée, et par la promotion des Biens Communs.

Aujourd’hui des convergences existent entre celles et ceux qui s’impliquent localement pour participer à une transformation sociale soucieuse de créer des solidarités, d’élargir les biens communs, de reconquérir l’estime de soi des personnes fragilisées, de mieux vivre ensemble et de co-construire des territoires en transition. Et dans la situation de crises multiples que nous connaissons ces innovations, abondantes, peuvent devenir un moteur de l’indispensable transformation sociale. Encore faut-il que cette myriade d’innovations aujourd’hui éclatées deviennent visibles, que des coopérations s’établissent entre acteurs d’un territoire et que la diffusion de ces innovations dans la société soit favorisée.

« Donner à voir l’abondance des innovations, démultiplier les projets par les méthodologies collaboratives » est la démarche que nous développons autour de la mise en réseau de l’innovation sociale en Bretagne.

De la mise en œuvre d’une politique publique : de l’appropriation sociale d’internet et du multimédia, nous avons appris une méthodologie des pratiques collaboratives, du travail en réseau, de la mutualisation (libre et collaboratif). La démarche proposée, au carrefour d’une animation de réseaux d’acteurs de l’innovation sociale et de la formation action aux pratiques collaboratives est susceptible de contribuer à un changement d’échelle de l’innovation sociale.
Cette innovation sociale nous l’avons côtoyée à travers la mis en place progressive du réseau des « PAPI » (Points d’Accès Public à Internet) qui nous appris :

1.1 l’importance du « Faire avec ».

Le réseau en proximité des ’PAPI’ points d’accès public à internet


Lorsque la délégation « internet et expression multimédia » a été créée en 1995, à la Mairie de Brest, c’est grâce à une implication des acteur-ice-s du territoire que s’est construite la politique publique. Avec des moyens réduits, le choix du « faire avec » a permis au groupe « Citoyenneté et Nouvelles Technologies » d’enclencher une politique ouverte de sensibilisation à cette révolution du numérique naissante.
Outre une politique d’équipement menée avec les écoles, le premier axe qui s’est imposé a été celui d’accompagner la mise en place des Points d’Accès Public à Internet les « PAPI ». En s’appuyant aux bibliothèques et équipements de quartier, facilité par le dispositif « emploi-jeunes » un réseau de plusieurs dizaines de lieux d’accès en proximité s’est rapidement développé. Chaque année 5 à 10 nouveaux « PAPI » rejoignent le réseau assurant une couverture complète de la ville en 2011 dans les centres sociaux, maisons pour tous et patronages laïques (13 ans près le premier équipement).

Le choix de proposer un accès public accompagné dans les lieux ordinaires fréquentés par différents publics est fondateur.


Chaque structure avance à son rythme et rejoint le réseau quand elle en voit l’intérêt.

Cet accès public dans les lieux existants assure la diffusion des usages d’internet dans le tissu associatif et les services publics et favorise une plus large appropriation.

Nous y avons appris l’efficacité du « Faire avec » qui permet de toucher l’ensemble des acteurs avec un budget modeste et facilite une diffusion de l’appropriation par les acteurs associatifs.

Aujourd’hui le réseau compte 105 « PAPI » [2] dont beaucoup de lieux de l’action sociale qui accueillent des personnes en situation de précarité ou d’isolement tel les restos du cœur, des structures d’hébergement (FJT, maisons de retraite). Deux projets internet pour tous [3] dans des quartiers de la politique de la ville ont permis de toucher les personnes éloignées des technologies numériques.. Et persuadés que l’écart dans l’appropriation des usages s’amplifie avec la diversification des outils et services du numérique en accentuant les fractures sociales existantes, nous travaillerons en 2013 avec le laboratoire Marsouin [4] à l’analyse de l’utilité sociale de la médiation numérique.

L’accès public accompagné a évolué intégrant la diffusion du logiciel libre, l’expression multimédia, la formation aux compétences numériques, la prise en compte des publics éloignés et aujourd’hui la visioconférence [5] . Dans les projets « internet de quartier, internet de rue » en partenariat avec ATD Quart monde, les animateur-ice-s telles que Régine, nous ont appris l’importance de la médiation numérique en attention aux personnes, l’usage d’internet et du multimédia pour la reconquête de l’estime de soi.

1.2 Un donner à voir de l’abondance de l’innovation

Qu’il s’agisse de circuits courts, d’économie sociale et solidaire, d’initiatives de solidarités, de mieux vivre ensemble, de co-production de contenus culturels, de consommations collaboratives, de développement durable, l’innovation sociale est présente partout dans la société mais reste parcellisée.

C’est à travers l’appel à projet sur le multimédia que nous avons expérimenté cette abondance :

Depuis 12 ans, un appel à projet annuel accompagne chaque année une trentaine d’envies de faire. La plupart des projets sont retenus dès lors qu’ils s’inscrivent dans les axes proposés [6]. L’apport de la ville est modeste (limité à 2300 € par projet) mais cela suffit pour que l’envie de faire se concrétise.
Des dizaines d’innovations voient le jour telles que le projet intergénérations où Monique Argoual’ch met des élèves des dispositifs relais en situation d’être professeurs auprès de personnes très âgées et leur tenir la main dans la manipulation de la souris, eux qui étaient en échec à l’école et ne tenaient pas en place.


Un bilan réalisé en 2007 [7] nous a appris que la mise en réseau des acteurs est aussi importante dans le dispositif que la subvention. Les rencontres autour de projets de webradio, de médiation auprès des personnes isolées, de la mise en biens communs (photothèque collaborative), de fermes de services (maison du libre, infini) diffuse dans la ville une culture commune de l’innovation sociale numérique et du travail ensemble.

Cette abondance de projets (400 depuis le début) a été facilitée par ces dizaines d’ateliers [8] autour de l’écrit public, et de l’usage des nouveaux outils, de l’expression par la radio ou la vidéo, des logiciels libres.

1.3 S’appuyant sur l’expérience des sites participatifs

A travers les magazines participatifs sur Brest nous avons appris depuis huit ans à rendre compte des innovations de nos territoires. Au fil des années, plusieurs centaines d’initiatives ont été rendues visibles, mais souvent de manière cloisonnée. Ce donner à voir des sites participatifs brestois concerne aujourd’hui l’appropriation sociale du multimédia, de la participation, de l’économie sociale et solidaire, du projet éducatif local, de la santé, de la solidarité internationale, de l’action sociale ou de l’égalité femmes-hommes.

Ce souci du « donner à voir » et de l’écriture ouverte a été initié par « @-brest » qui publie une vingtaine d’articles par semaine et diffuse une lettre hebdomadaire à 1500 abonnés. Cette démarche participative est un succès local tant du point de vue du lectorat que dans l’écriture (plusieurs centaines de rédacteurs). Malgré l’absence de problème dans la modération (moins d’un article sur 1 000 pose question) cette écriture ouverte ne s’est guère diffusée au delà de quelques délégations à Brest [9]  ; ouvrir l’écriture sans « maître du web » représente probablement un saut culturel trop important pour les collectivités locales et leur conception de la participation citoyenne.

Comme nous l’avons appris progressivement la diffusion d’une culture du « donner à voir » et du « faire avec » en attention aux initiatives, du travail en réseau ouvert et du partage est un long chemin dans une société marquée par la compétition et l’organisation hiérarchique où l’école nous apprend à « cacher notre copie » des voisins.

1.4 Mais il y a encore peu de croisements entre la grande diversité des acteurs de l’innovation sociale.

Sur un territoire comme le Pays de Brest plus d’un millier de personnes sont concernées par cette innovation sociale au croisement des cultures numériques, de l’éducation populaire, de l’action sociale, des solidarités, d’autres modes de consommations, de développement durable, de territoires en transition, de l’intergénérationnel ou de l’égalité femmes-hommes.

Cette écriture rendue publique sur le web est loin d’être facile pour beaucoup de porteurs de d’innovation qui sont d’abord des acteurs de terrain impliqués dans l’action locale. Toute l’expérience accumulée autour des sites participatifs et des dizaines d’ateliers autour de « l’écrit public » sera précieuse pour accompagner cette écriture associant les acteurs eux-mêmes.

La création de la plate forme Imagination for People nous fournit un outil opérationnel qui rend visible cette abondance des innovations. Les innovations sociales qui sont publiées s’inscrivent dans une démarche internationale qui en augmente la visibilité. Dans cette mise en réseau, nous proposerons aux porteurs de projet de participer aux réseaux régionaux créés sur la plate-forme. Le développement prochain d’un outil cartographique facilitera l’interaction entre porteurs de projet et rendra visible l’abondance locale des innovations.

Guidés par un souci de partage qui enrichit chacun de l’expérience des autres, les écrits de cette plate forme, comme par ailleurs celles des sites participatifs brestois et d’Outils Réseaux sont placés sous une licence (Creative Commons) qui permet explicitement la la diffusion et la réutilisation des contenus.

« En rendant visible des centaines, puis des milliers d’innovations, en rapprochant des acteurs qui se connaissent peu, nous créons une synergie qui croise les compétences et développe le pouvoir d’agir. »

C’est le premier axe de travail avec pour objectif la production de 100 fiches d’innovations sociales réutilisables sur le pays de Brest en portant une attention particulière à la parité femmes hommes et aux personnes isolées socialement dans les innovations décrites.

1.5 Mise en œuvre d’une méthodologie collaborative du donner à voir en réseau

En confrontant les pratiques des deux réseaux de sites participatifs de Brest et Rhône-Alpes [10] nous souhaitons dégager une méthodologie collaborative du donner à voir en réseau réutilisable sur d’autres territoires. L’approche transversale développée dans le projet Imagination for People nous fournira une ouverture à la diversité des champs de l’innovation sociale à travers le millier de fiches déjà collectées à l’échelle internationale.

« Cette prise en compte des différents champs de l’innovation sociale est essentielle pour montrer l’émergence d’un mouvement large et abondant. »

Les expériences des sites participatifs ont été depuis huit ans un fort succès local, en constant développement, mais sans beaucoup de reproduction ailleurs. Il nous faudra prendre en compte cette difficulté dans la définition d’une méthodologie qui permette des partenariats croisés associant aussi bien des réseaux d’acteurs que des collectivités locales qui apportent leur soutien à l’innovation sociale.

2 Construire une méthodologie collaborative facilitant la réutilisation des innovations

Le second axe de travail s’appuie sur les méthodes de réalisation des logiciels libres ; il vise à faciliter la diffusion de l’innovation sociale ouverte sur les territoires. A l’image des logiciels libres, il s’agit de réaliser les « codes sources » des projets d’innovation sociale ouverte collectée, de décrire le « comment faire » des projets (genèse, réussites, échecs, etc.), de « dérouler le film » par un travail de maquettage, de spécification et de réalisation de prototype. Il s’agira ensuite d’analyser les conditions de leur réutilisation et de les enrichir par l’analyse d’autres projets d’innovation sociale.

La société du numérique nous a appris à gérer l’abondance. Copier un logiciel ne coûte presque rien. Aussi la mise à disposition d’un logiciel peut s’accompagner de millions de téléchargements comme c’est le cas pour des navigateurs ou les outils bureautiques du logiciel libre. Améliorer un logiciel est également à la portée de centaines de développeurs dès lors que le code est librement consultable et modifiable. Et hier ce qui était le propre du logiciel s’est répandu dans la production de contenus tel wikipedia et les cartes ouvertes ou ces dizaines de projets tels Telabotanica où des milliers de producteurs amateurs coopèrent avec des professionnels.

L’exemple récent de Sesamath où une équipe de 5 salariés et de quelques centaines de professeurs bénévoles ont développé un environnement numérique de travail utilisé par un million d’élèves en France sans aucune subvention de l’Éducation Nationale est exemplaire de l’efficience des pratiques collaboratives.

L’apprentissage de la co-production : mutualiser et partager

C’est à travers le CD bureau libre, compilation de logiciels de bureautique que nous avons fait la première expérience collective de coopération.


Avec la maturité des outils bureautiques libres nous avons souhaité mettre à disposition des habitants un panel de logiciel libres faciles à installer et utiliser. Avec la complicité et l’implication de Jean-Paul Leclere qui avait réalisé pour l’AFPA un installateur de ce type nous avons engagé ce projet de CD. A travers des espaces collaboratifs, plusieurs dizaines de personnes se sont impliquées pour choisir les outils, le graphisme, les tutoriaux, l’installateur. Un gros travail pour parvenir en quelques mois à un produit simple d’installation qui au gré des versions a été diffusé à 300 000 exemplaires en Bretagne et ailleurs. Les bibliothèques ont mis ce CD en prêt, le PAPI de Kérourien a promu la copie du CD, les 4 universités de Bretagne l’ont distribué à chaque nouvel étudiant, les écoles primaires l’ont adopté.. C’est tout un réseau d’acteurs de la médiation numérique qui se l’est approprié.
Et comme l’exprime Laurent Marseault d’Outils Réseaux ce fut pour beaucoup d’entre nous une expérience irréversible de coopération.
C’est sur ce terreau des réseaux de l’accès public de proximité, des projets et du choix partagé du logiciel libre qu’est né le second projet collaboratif structurant : wiki-brest. A l’image de wikipedia nous avons voulu ouvrir un espace d’écriture collaborative portant sur le patrimoine et le vivre ensemble au pays de Brest.

«  Bienvenue sur Wiki - Brest, les carnets du Pays de Brest

Histoires de lieux, de personnes, de travail, géographie, tranches de vie, chansons, articles encyclopédiques, Wiki - Brest c’est une écriture qui relie habitant-e-s, journaux de quartiers, associations, artistes, bibliothécaires, enseignants... et vous invite à écrire
 »

Partis d’une page vide, nous avons d’abord collecté quelques dizaines d’articles avec le souci d’une écriture ouverte à tous : recettes de cuisine, petites anecdotes.. Un an plus tard, après des dizaines d’ateliers d’initiation, les centaines d’articles rassemblés nous ont permis une première structuration thématique du wiki. Nous avons appris de wikipedia les techniques du portail qui ont permis de proposer des espaces pour les patronages laïques qui y racontent leur histoire, les journaux de quartier qui en font leur mémoire publique. Cette écriture collaborative ne va pas de soi et le succès de wiki-brest tient beaucoup au travail d’animation par les centaines d’atelier, les wiki-journées, les wiki-contoirs où les auteurs présentent leurs écrits.

Aujourd’hui wiki-brest compte 3 560 articles, 10 000 fichiers multimédia, 966 utilisateurs enregistrés, 17 administrateurs et 12 millions de pages vues avec des dizaines de portails thématiques créés au fil des collectes.

Le projet a servi de support à une large information sur les droits d’auteur et l’élargissement des libertés d’usage. Que peut-on mettre en ligne ? Sous quelle licence ? Tout cela est loin d’être évident. De cette sensibilisation sont nées les semaines « Brest en biens communs » [11] organisées en octobre 2009 et 2011 et qui associent un nombre croissant de partenaires concernés par ces questions de droits d’usages et soucieux d’élargir les communs. Les collectes de photos dans les communes du pays de Brest, puis autour des Tonnerres de Brest ont été un succès avec plus de 4 000 photos mises en ligne sur commons, la photothèque de wikipedia. Cela nous a donné l’idée du projet « Brest ville wikipedia » [12] pour enrichir cette écriture partagée autour de Brest.

Avec wiki-brest nous avons aussi appris et diffusé l’usage des wikis. Pour chaque projet, chaque rencontre, nous ouvrons une page qui est écrite en direct lors des réunions et construite de manière ouverte qu’il s’agisse du « Forum des usages coopératifs » du « Centre de ressources de l’accès public au pays de Brest » ou des études de l’économie sociale et solidaire. Un wiki recense aussi tous les textes publiés par le service, les bilan, évaluations, rapports d’activité, études et rencontres auxquels nous participons. [13]

Un peu comme pour les sites participatifs, cette culture de la coopération, de l’expression ouverte et du partage diffuse lentement dans la collectivité à travers des projets transverses comme la cantine collaborative, la semaine des droits de l’enfant, le médiablog coopératif. L’appropriation par des associations comme l’hébergeur associatif infini, la ferme de service libranet, les fablab (porté par la Maison du Libre) les wikidébrouillards des p’tits deb’ de Bretagne, le réseau des bibliothèques collaboratives, l’association des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire, marquent une avancée de cette culture de la coopération et du partage [14].

Les porteurs d’innovation ont un savoir faire de transformation sociale au niveau local, échangé parfois au sein de réseaux thématiques. Il manque aujourd’hui à ces acteurs un outillage méthodologique facilitant le passage à l’échelle. De l’abondance du numérique et du choix du partage et des biens communs sont nées des méthodologies collaboratives qui ont permis dans un temps très court (moins de 10 ans pour wikipedia) l’émergence et le passage à l’échelle de projets innovants mis en biens communs.

C’est cette double approche de la coopération et du partage que nous souhaitons intégrer à l’innovation sociale ouverte. Comme pour le logiciel libre le code ouvert des innovations permet le partage, la réutilisation et l’amélioration continue des « comment faire ».

Cette démarche des codes sources, description fine d’une innovation sociale s’apparente aux collectes de bonnes pratiques mais introduit l’ambition d’accompagner une diffusion en amélioration continue. Il s’agit, dans l’esprit du projet Imagination for People de faire en sorte que le porteur d’une innovation puisse en devenir non seulement l’ambassadeur mais aussi celui que l’on consulte et qui accompagne. C’est là aussi une ambition de ce projet : former et accompagner les porteurs de projet afin que les innovateurs puissent développer leur activité. C’est ce processus d’explicitation qui outille le porteur d’innovation - ébauché cet été autour des cartes participatives – que nous commençons à expérimenter pour évaluer la pertinence de cette approche originale des « codes sources ».

Cette démarche rencontre aussi des mouvements émergeant comme les réseaux de « fablab », où des codes sources sont associés à la fabrication d’objets qui peuvent être dupliqués d’un « fablab » à l’autre par l’utilisation des mêmes machines et la publication des comment faire comme des recettes partagées, réutilisables et modifiables.

3 Organisation d’un réseau collaboratif de l’innovation sociale ouverte

« A côté de cette approche expérimentale des codes sources des innovations sociales, nous nous inspirons des méthodologies de la collaboration issues du numérique pour outiller les réseaux d’acteurs de l’innovation sociale. »

A travers les formations-actions « animacoop » sur le Languedoc Roussillon et à Brest [15], le partenariat entre Outils Réseaux et Jean-Michel Cornu [16] a permis l’élaboration d’une méthodologie de la coopération, méthodologie particulièrement efficace lorsqu’il y a abondance et là où la coopération l’emporte sur la compétition.

Depuis un an Outils Réseaux et ses partenaires ont constitué un réseau francophone « anim-fr » qui regroupe 200 acteurs de la coopération. A travers cette démarche de l’innovation sociale en réseau nous entendons élargir ce réseau - issu plutôt des cultures numériques - vers les acteurs de l’innovation sociale. Le processus de co-élaboration qui caractérise ce réseau depuis sa création sera alors enrichi, favorisant ainsi l’émergence d’une intelligence collective, au croisement des pratiques et réflexions de chacun.

Ce projet permettra également de mutualiser des contenus de formation puisque le partage et la mise en communs des productions des membres sont des éléments structurants de la charte du réseau.
Cette démarche s’inscrit dans un processus de diffusion mise en œuvre par Outils Réseaux autour de la formation à l’animation de projets coopératifs.

Destinée aux porteurs de projets, la mise en œuvre de la formation Animacoop a permis la construction puis la réalisation en 2012 d’une formation de formateurs à l’échelle de régions en Europe (CoopTIC) avec pour objectif un transfert vers des formations de formateurs auprès des régions participantes.

Le projet sera aussi l’occasion d’avancer vers le projet d’Outils Réseaux : la création d’un « archipel » reliant en réseau des îlots, structures de formation diffusant localement cette culture de la coopération.

3.1 Organisation de rencontres territoriales de l’innovation sociale ouverte

Nous avons appris au fil des rencontres d’Autrans, de Moustic (Montpellier), des Étés TIC (Rennes), des territoires en transition (St Etienne), du Forum des usages coopératifs de Brest, de Yes (Grenoble), toute l’importance de temps d’échanges et rencontres des acteurs.

Dans cette démarche nous prévoyons deux types de rencontres :

  • Celles au sein des territoires qui contribuent à rendre visible la convergence des acteurs de l’innovation sociale ouverte autour de valeurs de partage et de coopération.

C’est bien sur une reconnaissance et une mise en valeur des porteurs d’innovation. Mais nous espérons aussi que le tout sera ici aussi plus que l’ensemble des parties. Que de cette mise en lumière de l’abondance des innovations contribuera à faire reconnaître ce mouvement comme un facteur de transformation sociale des territoires.

Cette convergence que nous commençons à observer sur nos territoires doit encore être analysée pour en comprendre les mécanismes et ce qu’elle peut apporter pour contribuer à un changement d’échelle. En particulier il nous faudra regarder si comme nous le pensons, le choix du partage (licence qui permet la libre réutilisation) est - comme dans le numérique - un facteur important de diffusion et d’efficience.

  • Celles entre les partenaires du projet parce que sur bien des champs nous sommes nous même dans une innovation qui a besoin d’être réfléchie et confrontée aux résultats dans une démarche qui doit être explicitée pour être réutilisable.

Et en conclusion

Partis d’une envie de « faire avec, donner à voir, mutualiser » autour de l’appropriation sociale du numérique, la mise en œuvre de projets libres, le travail en réseau nous ont fait découvrir l’efficience mais aussi le plaisir des pratiques collaboratives et des contenus partagés. [17]

Le numérique nous a confronté à un changement de culture à travers la gestion de l’abondance. C’est cette question de l’abondance des innovations sociales que nous souhaitons interroger et démontrer en premier. L’abondance des innovations doit donc - pour participer à un mouvement plus ample de transformation sociale - être rendue visible.

A travers l’analyse et le décryptage du « comment faire », nous nous inspirons des méthodologies collaboratives issues du logiciel libre pour expérimenter l’application des codes sources réutilisables. Avec nos partenaires, nous nous attachons à outiller en méthodologie et à faire participer les porteurs d’innovations à un réseau de l’innovation sociale ouverte où chacun apprend des autres dans un mouvement d’intelligence collective.

Cette démarche est un investissement dans l’accompagnement, la formation, la mise en réseau des porteurs d’innovation accompagnés pour devenir expert de leurs innovations.

Bénéficiant de l’expertise acquise autour de l’écrit public et des sites participatifs, des méthodologies de la coopération, de la formation à l’animation de projets et de réseaux nous souhaitons contribuer à une professionnalisation des réseaux d’acteurs de l’innovation sociale.
Par des rencontres territoriales organisées par nos partenaires locaux, nous espérons favoriser la convergence des acteurs de l’innovation sociale pour encourager l’émergence d’un mouvement qui soit moteur de la transformation des territoires dans ces périodes aiguës de crises environnementale, sociale et économique.

Cette démarche participe au croisement des réseaux de l’innovation sociale plus anciens et ceux émergents, avec le souci d’agir en connecteur et ambassadeur favorisant les partenariats.
Une contribution au vaste mouvement encore diffus de territoires apprenants et qui nous donnent l’espoir d’un autre monde que celui de l’augmentation des inégalités, des solitudes et des pollutions.

[1Mots clés : accès public, écrit public, logiciel libre, bien commun, appropriation sociale, internet, multimédia, pratiques collaboratives, open data, wikis, coopération, intelligence collective, fractures numériques, numérique, Brest

[3Un accompagnement autour d’un dispositif d’accès à 1€ par mois sur Kerourien et Keredern (fiche sur Imagination for People

[4Deux bilans réalisés en lien avec le laboratoire des usages Marsouin ont rendu compte de la diversité des usages et de l’importante fréquentation de ces lieux. Il s’agira ici de répondre à ceux qui s’interrogent sur l’intérêt de l’accès public accompagné. Lorsque 70 % des foyers sont reliés à internet et que 99% des foyers de collégiens ont un ordinateur a domicile.

[5En 2012 l’agglomération a mis à disposition des associations, services publics et acteurs de la cité 15 salles de visio conférences de qualité accessibles gratuitement en proximité dans les quartiers inspiré du réseau des PAPIs .

[8En moyenne un atelier par semaine, dans une dynamique de centre de ressources collaboratif où les animateurs sont aussi formateurs dans leur domaine de compétence pour les logiciels libre, le traitement du son, la vidéo ..

[9Il y a à ce jour 8 magazines de ce type sur la participation des habitants, l’économie sociale et solidaire, la santé, le projet éducatif local , les services et associations d’action sociale, les associations de solidarité, internationale et l’égalité femmes hommes http://www.wiki-brest.net/index.php...

[10Ce sont les sites participatifs Rhône-Alpes solidaires, Rhône solidaires, Drôme-Ardèche solidaires animés par la scop La péniche pour le compte de la région Rhône-Alpes des départements du Rhône, de l’Isére, de la Drôme, de l’Ardèche et de la métro de Grenoble.

[11Le wiki de cette semaine construit sur l’expérience des rencontres [Ecrits écrans publics : http://www.ecrit-public.infini.fr]

[12La collecte de photos pour les Tonnerres de Brest : et les 150 articles produits pour wiki-brest durant cet événement nautique

[14Infini l’hébergeur associatif ; la maison du libre, collectif d’association qui propose une ferme de services et anime le projet de Fablab ; , le médiablog coopératifmis en place notamment dans une trentaine de lycées par la région Bretagne et sur plusieurs dizaines de sites au pays de Brest, [le wiki des petits débrouillards de Bretagne ; http://www.wikidebrouillard.org/]

[16Directeur scientifique de la FING et aujourd’hui animateur du projet « Imagination for People » et des réseaux anim-fr,correspondants.org

[17Merci à l’équipe du service internet et expression multimédia qui par leur attention aux initiatives, leur implication dans la démarche participative permis d’accompagner durant douze ans la mise en œuvre de cette politique publique.

Posté le 17 janvier 2013 par Michel Briand

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