Un article initialement publié sur le blog binaire
Depuis quelques mois les appels à un enseignement de l’informatique dans les écoles et lycées se multipliaient, traduisant l’impatience tant de parents que de personnalités politiques, de scientifiques et de représentants du monde numérique. En annonçant dans le Journal du dimanche du 13 juillet 2014 qu’il favoriserait « en primaire une initiation au code informatique, de manière facultative et sur le temps périscolaire », Benoît Hamon a fait un pas – certes timide mais difficile car le sujet n’est toujours pas consensuel.
A défaut d’être la réponse attendue, c’est un signal d’encouragement aux très nombreux enseignants qui innovent jour après jour, luttent contre le décrochage scolaire, en s’appuyant sur les pratiques numériques de leurs élèves pour motiver et former aux approches critiques, mais butent vite sur le manque de compétences informatiques, le leur et celui de leurs élèves. C’est aussi un signal d’encouragement aux très nombreuses associations et aux rares collectivités territoriales qui ont pris à leur charge la formation à l’informatique que l’école différait. Les uns et les autres ont compris que la culture numérique implique une initiation précoce à l’informatique et ne saurait se suffire des « usages ». Les uns et les autres savent que la transition numérique de notre société appelle ces savoirs et savoir-faire, pour de futurs citoyens créatifs, solidaires et lucides.
La programmation encourage naturellement l’apprentissage par l’essai-erreur, le travail collaboratif. Elle place les élèves dans des attitudes actives, créatives, de partage et de contribution. Un projet mené à bien est un plaisir, une fierté. Cela explique ses succès auprès d’élèves décrocheurs. L’entrée du « code » à l’école doit être l’occasion de participer à la transformation de l’enseignement.
Si la volonté d’opérer en douceur semble être de mise avec une amorce par le périscolaire, le choix du primaire comme point de départ peut aussi s’envisager comme l’opportunité d’un changement de fond, une occasion de convergence entre les professeurs des écoles et les acteurs de l’éducation populaire, de la médiation scientifique et numérique, de l’entrepreneuriat social, pour une école ouverte, reliée aux territoires. Reste à savoir l’exploiter. Cet appel au riche tissu de ressources territoriales implique une gestion de projet, qui va mobiliser les directeurs d’école. Il faudra travailler en réseau entre écoles et associations, proposer aux animateurs et éducateurs qui le souhaitent une certification ou une validation d’acquis, l’enjeu pour les élèves étant la base d’une véritable littératie numérique qui aidera les autres savoirs fondamentaux à se révéler.
Le recours au périscolaire ne pourrait évidemment seul suffire. Un enseignement périscolaire se doit d’être créatif, expérimental, ludique, émancipateur, non-institutionnel. Il peut enrichir l’enseignement scolaire, participer à faire évoluer contenus et méthodes, à cultiver des compétences transversales. Il ne peut se substituer à l’école. Une approche basée purement sur le périscolaire ne touchera pas tous les enfants, engendrera des inégalités entre territoires ruraux et agglomérations, entre écoles « branchées » et les autres (même si de telles inégalités pourraient être atténuées par des politiques volontaristes couteuses). Enfin et surtout sans une l’implication active des professeurs des écoles eux-mêmes, l’apprentissage de l’informatique par les enfants restera isolé des autres enseignements et ne pourra pleinement réussir.
C’est là qu’une autre mesure annoncée par Benoît Hamon prend toute son importance, et traduit une vision qui dépasse heureusement la délégation aux associations : l’entrée de son enseignement dans les ESPE (les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education), dont la loi de refondation de l’école a fait le cœur de la transformation numérique de l’enseignement. Il faut avancer rapidement et résolument dans ce sens et accompagner cette mesure par un développement de la formation continue dans ce domaine pour toucher la plus grande partie des professeurs des écoles. La formation de l’ordre de 350 000 professeurs des écoles est un défi considérable, que la profession va devoir organiser. On voit bien qu’il ne s’agit pas seulement de former tous les professeurs « au code », mais de les engager dans la transformation de leurs disciplines et de leur pédagogie, reconfigurées par la « société numérique » et désormais imprégnées par les sciences et techniques informatiques.
Il faut aussi répondre aux inquiétudes légitimes : il ne s’agit pas de former de la main-d’œuvre pour l’industrie du logiciel ; il ne s’agit pas d’appendre à coder pour coder ; il ne s’agit pas d’apprendre une nouvelle discipline abstraite ; il ne s’agit pas non plus d’une démission de l’école, d’une brèche dans laquelle s’engouffreraient les nouveaux acteurs industriels de l’éducation numérique pour se substituer à l’école.
Il reste que la tâche est complexe. Il faudra les efforts de tous et une mobilisation très large pour que ce projet réussisse.
Au-delà de l’école primaire, la déclaration de Benoît Hamon touche le collège et le lycée. Il choisit de s’appuyer d’abord sur les professeurs de mathématiques et de technologie. C’est à court terme une solution. Le vivier de tels professeurs volontaires pour enseigner l’informatique existe mais on atteint vite ses limites, quand cela ne participe pas à accentuer comme en mathématiques une pénurie endémique de tels enseignants. Il est urgent d’ouvrir les portes de l’éducation nationale à des enseignants dont l’informatique est la compétence principale. Le vivier naturel se trouve dans les licences et master d’informatique, et aussi dans les entreprises pour des ingénieurs qui souhaiteraient une reconversion. Sur ce sujet, nous attendons une véritable vision qui fasse bouger les lignes.
Benoît Hamon présente un projet qu’il faut concrétiser et enrichir. Tout ne peut se résumer à une brève initiation au « code informatique ». Il ne suffit pas de savoir écrire des programmes dans un langage informatique quelconque pour, par exemple, comprendre comment fonctionne le moteur de recherche de Google, l’encryption dans un système de vote électronique, ou une base de données « dans les nuages ». Au-delà des seuls aspects scientifiques et techniques, l’enseignement de l’informatique représente le chemin de l’acquisition d’une véritable culture numérique par tous. La formation de ses enseignants en informatique et en culture numérique est la clé de la réussite. C’est bien là une des ambitions que l’éducation nationale doit porter dans les années à venir.
Serge Abiteboul et Sophie Pène, membres du Conseil national du numérique
Sur le site du CNNum