Médiation numérique et territoire : des acteurs en réseau au service du citoyen

Dans un article précédent, nous avons développé les enjeux et les bonnes pratiques de la « médiation numérique » dans l’univers des institutions culturelles, bibliothèques et musées.

Ce terme de médiation numérique est utilisé aujourd’hui dans le domaine de l’aménagement numérique du territoire et de l’accompagnement des usages, dans un sens assez différent, mais complémentaire.
Ce qui est au coeur de la médiation, ce qui en est l’enjeu et l’objet principal, c’est la relation tendue et parfois conflictuelle que l’humain entretient avec les technologies numériques.

Alors ... « Médiation culturelle via le numérique » versus « médiation homme/technologies numériques » ?

Une notion polysémique

Ce terme de médiation numérique est utilisé aujourd’hui dans le domaine de l’aménagement numérique du territoire et de l’accompagnement des usages, dans un sens assez différent, mais complémentaire. Dans cet univers professionnel, la médiation numérique consiste à accompagner des publics variés vers l’autonomie dans les usages quotidiens des technologies, services et médias numériques.

Au delà des ateliers d’initiation aux outils, il s’agit aussi de mettre en oeuvre des projets permettant aux participants de s’approprier des usages en situation : réalisation d’un site sur la mémoire et le patrimoine local, tournoi de jeux vidéos en doublette parent-enfant, rencontre-débat sur les libertés et responsabilités individuelles dans l’usage des réseaux sociaux ...

Ce qui est au coeur de la médiation, ce qui en est l’enjeu et l’objet principal, c’est la relation tendue et parfois conflictuelle que l’humain entretient avec les technologies numériques.

« Médiation culturelle via le numérique » versus « médiation homme/technologies numériques » ? Nous voici en présence de facettes différentes de la médiation numérique. Ces facettes sont pourtant davantage complémentaires qu’opposées, et l’univers des bibliothèques se trouve au carrefour de ces approches qui diffèrent dans la méthode.

Un enjeu d’équité sur les territoires

Dans une société dite « de la connaissance », une maîtrise minimum des outils technologiques (ordinateur, guichets automatiques, téléphone mobile ...), des compétences informationnelles pour se repérer dans la masse d’informations disponibles, de même qu’un rudiment de culture générale sur le numérique, tendent à devenir des compétences nécessaires pour exercer une citoyenneté de plein droit.

Nombre de personnes ne sont pas familières avec les technologies numériques, ignorent les services et contenus auxquelles elles permettent d’accéder, peinent à s’adapter aux évolutions rapides des matériels, et se trouvent défavorisées ou handicapées dans leur vie quotidienne par leur manque d’autonomie dans l’usage de ces outils.

Accompagner ces personnes vers l’autonomie dans ce nouvel environnement où la communication humaine passe de plus en plus souvent par des objets et interfaces numérique est un véritable enjeu de société : un enjeu d’équité.
La question des compétences numériques de base

Les termes de fracture ou de fossé numérique (digital divide en anglais), caractérisant les disparités d’accès et d’utilisation de l’informatique et de l’internet, ont connu un grand succès à la fin des années 90. Aujourd’hui encore, les analystes parlent des 3 dimensions du fossé numérique [1], un fossé générationnel (écarts de pratiques selon l’âge), un fossé social (écarts selon le niveau de revenus) et un fossé culturel (écarts selon le niveau d’instruction).

Cette approche descriptive, constate les disparités mais ne permet pas d’en comprendre les causes et encore moins d’identifier les dynamiques à mobiliser pour les réduire.

La notion d’illettrisme numérique évoquée quelquefois, a le mérite d’insister sur les enjeux d’une absence de savoir-faire avec ces nouveaux outils numériques, … mais elle présente l’inconvénient de stigmatiser les publics concernés, en insistant sur le côté négatif des choses. La langue anglaise dispose d’un mot affirmatif et positif pour désigner les compétences numériques : digital literacy.

Litteracie Numerique

Les canadiens du Réseau Éducation-Médias proposent la traduction « littératie numérique », qu’ils définissent par :

  • les aptitudes et les connaissances voulues pour avoir accès aux nouvelles technologies et utiliser une série de logiciels de médias numériques ainsi que des périphériques comme l’ordinateur, le téléphone portable et la technologie Internet ;
  • la capacité de comprendre les applications et les contenus numériques ;
  • les connaissances et les aptitudes requises pour pouvoir créer à l’aide de la technologie numérique.

La posture professionnelle du médiateur numérique

La médiation numérique est avant tout une posture, qui peut concerner des professionnels exerçant des fonctions diverses au sein de structures de différents secteurs : culturel, social, éducatif, santé ...

La médiation numérique doit permettre aux publics d’exercer un choix et un regard critique sur les systèmes technologiques qu’ils apprennent à utiliser. Pour cela, il est indispensable que les savoirs procéduraux soient complétés par la construction de compétences informationnelles (ex : capacité à trouver l’information recherchée sur le net ou dans une base de données) et de compétences stratégiques (ex : capacité à choisir l’outil le mieux adapté pour obtenir un résultat particulier). Du fait de l’obsolescence rapide des savoir-faire liés aux technologies de l’information, les méthodes pédagogiques utilisées doivent privilégier le développement de compétences transversales et de méta-compétences cognitives, c’est à dire la capacité « d’apprendre à apprendre ».

Le travail du médiateur consiste à aider les publics à apprivoiser ces technologies étranges, lointaines, barbares que sont les outils numériques, afin de parvenir à les domestiquer suffisamment pour les faire rentrer dans la sphère intime de leurs activités quotidiennes et de leur maison.

Ainsi, le médiateur doit veiller à adopter une attitude bienveillante vis à vis des personnes, sans jugement de valeur sur leurs aptitudes ou opinions, et une neutralité critique vis à vis des technologies.

  • Le médiateur n’est pas un évangélisateur : il n’est pas là pour promouvoir un progrès technologique qui serait nécessairement synonyme de progrès social pour les personnes.
  • Le médiateur n’est pas un vendeur : il propose de mettre en relation l’humain avec la technologie, mais il n’a pas d’objectifs quantitatifs de contrats à signer. Il a une obligation de moyens, mais pas une obligation de résultats.
  • Le médiateur n’est pas un préconisateur : son rôle est d’informer et de former la personne afin qu’elle puisse faire des choix par elle-même et non pas de lui conseiller ce qui est le mieux pour elle.

Des Espaces publics numériques en quête de légitimité

Pour accompagner les publics à développer les aptitudes et savoirs de base en matière de numérique, des lieux spécialisés appelés Espaces publics numérique (EPN) ont été créés à la fin des années 90. Ce modèle montre aujourd’hui ses limites et les acteurs des territoires comme les professionnels travaillant dans ces lieux, sont en recherche d’un second souffle.

Lors des « Assises de la Médiation numérique au service des territoires et de leurs habitants » à Ajaccio en septembre dernier [2], une question a été au coeur des discussions : Faut-il des lieux spécialisés pour la médiation numérique ou bien cette fonction ne doit-t-elle pas à être prise en charge par un réseau d’acteurs polyvalents et des structures travaillant en partenariat ?

Le médiateur numérique : passerelle entre l'usager et l'administration

Illustrons cette notion de partenariats à construire sur un territoire, à travers un exemple, celui des Relais de services publics.

Certaines collectivités rurales ont décidé d’adosser le dispositif « Relais de Services Publics » [3] aux Espaces publics numériques existants sur leur territoire, afin de proposer un accompagnement de proximité. Un département comme le Lot, pionnier en la matière, développe ainsi un maillage du territoire en points de visio-accueil.

Les bonnes pratiques

  • Construire des partenariats avec les organismes : Pôle Emploi, CAF, Caisses de retraite, CPAM ...
  • Soigner l’accueil et la convivialité de lieux.
  • Former les médiateurs avec l’aide des organismes concernés.
  • Banaliser l’usage des outils de visio-conférence.

Des pistes pour le futur

A l’interface entre le citoyen et l’administration, le médiateur est un bon capteur de la satisfaction des usagers. Il peut faire remonter l’information vers les organismes afin qu’ils améliorent leur offre, et pour peu qu’on lui en reconnaisse la légitimité, il peut expérimenter localement de nouveaux services et contribuer à en imaginer d’autres.

Les professionnels de la médiation numérique ne manquent pas d’idées, auront-ils les moyens de leurs ambitions ?

Ce texte a été publié dans le magazine ARCHIMAG N° 250 Décembre 2011-Janvier 2012 et sur le le blog Savoir en actes.

[11- Voir le rapport du Centre d’Analyse Stratégique « Le fossé numérique en France » - 20 avril 2011

[33- Circulaire du 2 août 2006 sur la labellisation de Relais Services Publics (RSP), Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT)

Posté le 6 février 2012 par Philippe Cazeneuve

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