De la défensive à l’offensive pour défendre la liberté d’expression, par Rick Falkvinge

On peut se féliciter du spectaculaire succès de la récente action contre les lois SOPA et PIPA mais quelques part il était déjà trop tard. Il ne restait plus qu’à résister, ce qui fut fait et bien fait jusqu’à… la prochaine attaque !

Engagez-vous, comme dirait l’autre, pour casser ce cercle vicieux qui nous voit être trop souvent sur la défensive[1], pour proposer et mettre en place d’urgentes et salutaires alternatives.

Un article qui fait écho à une autre de nos traductions : Le jour d’après le blackout SOPA ou ce que j’aurais aimé entendre de Wikipédia & Co.

Petteri Sulonen - CC by

Il est temps de passer à l’offensive pour défendre la liberté d’expression

It’s Time To Go On The Offensive For Freedom Of Speech

Rick Falkvinge - 22 janvier 2011 - TorrentFreak - CC BY-SA
(Traduction Framalang/Twitter : skhaen, toto, vinci, toto, e-Jim, quota)

L’action collective de la semaine dernière contre les lois PIPA et SOPA aux États-Unis était fabuleuse et sans précédent. Mais n’avez-vous pas remarqué que nous étions toujours sur la défensive ? Nous ne pourrons pas gagner ni même conserver notre liberté d’expression en continuant ainsi.

L’industrie du copyright est tenace et utilise, avec une grande efficacité il faut l’avouer, pour faire voter des lois, la technique dite du « Papa, je veux un poney ». Ils y reviennent sans cesse. Conséquence de cela, nous assistons à une érosion sans fin de nos droits civiques, et à l’enracinement du fait que cette industrie doive profiter de nos impôts.

La tactique dite de « Papa, je veux un poney » fonctionne à peu près comme suit :

La petite fille : Papa, Je veux un poney ! veux un poney ! je veux veux veux un poney !

Le père : Hum, non, hum, hum, non, pourquoi pas plutôt un chien ?

La petite fille : Non non NON ! Je veux un poney ! un PONEY ! … Heu, bon, un chien ? d’accord !

À ce moment là le père pense : « pfiou, je l’ai échappé belle ». Et la petite fille pense « wow, ce fut le chien le plus facile à avoir que j’ai jamais eu ». C’est la tactique « Papa, je veux un poney ».

Nous avons vu cette tactique à l’oeuvre avec le DMCA (NdT : Digital Millennium Copyright Act) aux États-Unis, lequel a largement restreint nos droits sur notre propriété privée, ainsi qu’avec son pendant Européen, la directive InfoSoc (NdT : Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information). Nous pouvons la voir en ce moment même avec ACTA qui, à nouveau, est une illustration de cette attitude « on peut retirer le plus choquant, le plus répugnant. », tout en laissant passer d’autres éléments qui n’en constituent pas moins un énorme pas en arrière en matière de droits de l’Homme. Nous l’avons vu également avec le Directive sur la Conservation des Données.

À chaque fois, nous nous défendons et réussissons à faire supprimer les pires morceaux, en brûlant à chaque fois davantage nos réserves d’activistes. Puis il y a une nouvelle attaque trois ans plus tard. Ajoutons qu’à chaque fois que nous nous battons contre un de ces maux, une dizaines d’autres passent discrètement en douce dans les coulisses du pouvoir.

Le truc, c’est que tant que nous nous bornerons à défendre nos droits, nous aurons en permanence un coup de retard, et nous perdrons toujours. L’industrie du copyright a l’initiative, et le mieux que nous puissions faire est de résorber le retard que nous avons, ou de limiter les dégats déjà provoqués. Cela n’est pas suffisant.

Et il y a pire. L’industrie du copyright a également obtenu le droit de percevoir des taxes sur le commerce de produits sans liens directs avec le droit d’auteur, notamment les médias vierges (NdT : cf la taxe sur la copie privée) mais également des objets ayant à priori peu à voir avec la copie d’œuvres telles que les consoles de jeux, parce qu’elles peuvent théoriquement être utilisées comme support pour copier des ressources de manière tout à fait légale. Vous comprenez ça, vous ? Copier ainsi ne viole pas le monople instauré par le copyight, mais l’industrie du copyright reçoit quand même cette compensation.

Reprenons.

Le monopole du copyright, bien qu’étant très étendu, ne recouvre pas tout acte de copie imaginable. Il y a beaucoup de manières de copier qui sont parfaitement légales et non couvertes par ce monopole. Mais dans le sens du copyright tel que l’entendent les industriels, il ont demandé - et obtenu - une compensation concernant les domaines où le monopole du copyright ne s’étend pas. Une compensation de la poche du contribuable, versée à une industrie privée. Pour n’avoir pas de monopole. Vous y croyez ?

Dans ce schéma de compensation, ils collectent des sommes d’argent faramineuses chaque année sans avoir besoin de faire quoi que ce soit. Beaucoup de cet argent est directement reversé dans la guerre contre nos droits civiques, et dans toujours plus de lobbying pour d’obtenir encore plus d’argent du contribuable, avec de nouveaux schémas de type : « Papa, je veux un poney ». Pour nous, c’est un cercle vicieux. N’importe qui, connaissant un peu les différents moyens de motiver quelqu’un, sait que la pire manière d’optimiser la production consiste à donner de l’argent à une industrie sans tenir compte de ce qu’ils sont en train de faire avec cet argent, que ce soit en bien, en mal, ou en rien du tout.

Donc, pour résumer, l’industrie du copyright s’est mise elle-même dans une position où elle gagne des sommes incroyables en ne faisant absolument rien, et utilise cet argent pour acheter des lois qui leur donneront encore plus d’argent, tout en réduisant notre liberté d’expression. Ce n’est pas seulement inacceptable. C’est répugnant.

C’est une surprise pour personne, je pense depuis longtemps que le monopole du copyright est dangereux (ou au moins inutile) dans son ensemble, et que la créativité, le business et les libertés civiles s’en porterait bien mieux s’il n’existait pas. Pour avoir étudié le sujet pendant 6 ans d’affilée, je découvre toujours plus d’indicateurs qui me confortent dans ma position.

Mais je suis également assez pragmatique pour comprendre que si vous visez la lune et insistez pour ne pas avoir d’étape intermédiaire entre le départ et l’arrivée, non seulement vous n’arriverez jamais à l’atteindre, mais vous risquez en plus de ne pas faire un seul pas en avant. S’engager ne serait-ce que partiellement vers la lune peut déjà vous apporter satisfaction. 99% des problèmes avec le copyright d’aujourd’hui peuvent être résolus avec une réforme réaliste et raisonnable.

Lorsque l’enjeu est d’envergure, on ne peut pas changer toutes les règles du jeu en un jour. Donc visons à établir une proposition équilibrée et raisonnable qui restaure nos libertés civiles tout en conservant certains aspects des investissements qui incitent au développement de la culture.

J’emprunte ce plan au groupe des Verts du Parlement Européen (et plus précisément à la délégation du Parti Pirate qui l’abrite). Essayons de faire passer cette nouvelle législation en Europe, aux USA, en Australie, et partout où l’on pourra :

  • Il faut impérativement mettre au clair que le monopole du copyright ne peut s’étendre à ce qu’une personne ordinaire peut faire avec un équipement ordinaire, chez lui, et sur son temps libre ; ce monopole doit ne réguler que l’activité commerciale, dans le but de faire du profit. En particulier, le partage de fichiers est toujours légal.
  • Échantillons gratuits. Il doit exister des exceptions qui rendent légale la création de remixes et de mashups. Les droits de citation tels qu’ils existent pour le texte, doivent être étendus aux sons et aux vidéos.
  • Les outils de restriction des droits numériques (DRM) devraient être rendus illégaux, car c’est une escroquerie qui nie les droits des consommateurs et des citoyens, à défaut il doit au moins être possible de les contourner légalement.
  • Le monopole du copyright commercial basique est ramené à cinq ans à dater de la publication, extensible à vingt ans si l’oeuvre a été enregistrée dans une base de données appartenant au monopole du copyright.
  • Le domaine public doit être renforcé.
  • La neutralité du Net doit être garantie.
  • La levée d’impôts sur des médias vierges est mise hors-la-loi.
  • De manière générale, la limite doit toujours être très clair. Les déclaration du genre « la justice en décidera » ne sont pas acceptables et sont équivalents à la mise hors-la-loi.

Cette proposition raisonnable, équilibrée, réalisable et réaliste résoudrait 99% des problèmes actuels, tout en maintenant l’ensemble des quatre aspects du monopole instauré par le copyright.

Cela mettait un terme à la chasse aux sorcières contre les ados qui téléchargent des séries télé. Cela résoudrait le problème des oeuvres orpheline, et nous rendrait l’accès à l’héritage culturel du XXème siècle. Et cela résoudrait le problème des contribuables payant l’industrie du copyright sans raison.

Par contre, cela maintiendrait un monopole commercial d’une durée maximale de 20 ans pour les investissements dans des productions culturels, battant en brêche l’argument avancé par l’industrie du copyright selon lequel l’établissement d’un monopole est nécessaire pour encourager la création culturelle.

Même si je ne suis pas d’accord avec les monopoles sur les brevets, il convient de noter que si les companies pharmaceutiques peuvent se contenter d’un monopole commercial de 20 ans (sur les brevets), alors cette durée devrait certainement convenir à Disney et Elvis aussi.

Ceci, ou quelque chose s’en approchant, est ce que nous devons faire. Nous devons reprendre l’offensive pour défendre notre liberté d’expression.

Notes

[1] Crédit photo : Petteri Sulonen (Creative Commons By)

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Via un article de aKa, publié le 24 janvier 2012

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