L’accord Sacem / Creative Commons, une révolution ?

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Il a déjà été beaucoup dit à propos de l’accord signé par la Sacem et Creative Commons le 9 janvier 2012, de cette alliance, de prime abord, surprenante (notamment sur Aisyk’s thinking, Ecrans, S.I.Lex, …). Les négociations ont été longues, entamées, dans les faits, il y a plusieurs mois ; l’accord fut annoncé dès septembre (aussi) et, si surprise il y a eu, c’est que cet accord a finalement été conclu.

Une alliance improbable

Les points de frictions entre Creative Commons et les sociétés de gestion collective semblaient insurmontables.

En mettant son œuvre sous une licence Creative Commons, l’auteur [1] autorise d’emblée et gratuitement certains usages, plus ou moins étendus selon la licence adoptée, d’une ou plusieurs de ses œuvres. Rien de véritablement révolutionnaire avec ces contrats compatibles avec les règles du droit d’auteur (FAQ Creative Commons), auquel vous êtes nombreux à recourir aujourd’hui.

Mais confier la gestion des droits sur l’utilisation de ses œuvres à une société de gestion collective telle que la Sacem, obligeait à céder ses droits sur l’ensemble de ses créations musicales et à en percevoir les droits pour toute reproduction ou représentation. Aucune œuvre d’un sociétaire de la Sacem ne pouvait être utilisée gratuitement.

L’élargissement de la notion d’usage privé

Nouveaux, voire révolutionnaires, sont, en effet, sont certains usages autorisés par la Sacem pour des fins non commerciales. Je fais allusion à l’autorisation accordée pour illustrer un blog ou un site web personnel, pour échanger des fichiers ou écouter de la musique en streaming, … . Je ne peux manquer d’interpréter ces autorisations comme un glissement du clivage collectif /privé, traditionnel en droit d’auteur, vers un clivage non-commercial /commercial, plus adapté aux usages des œuvres facilités par un nouvel environnement.

Favorisant le partage, un tel infléchissement était très attendu. C’est ce qui avait été suggéré dans un livre vert de la Commission européenne publié en 2008 (pdf) [2]. Dans un billet consacré aux « internautes amateurs », j’avais mis alors l’accent sur les apports des licences libres.

Des questions et plusieurs aspects critiques

  • Le clivage commercial/non commercial

En dehors de quelques cas évidents, décrypter ce que les uns et les autres entendent par usage commercial et non commercial n’est pas simple, comme nous l’avions souligné, Anne-Laure Stérin et moi-même, dans un article de la revue Documentaliste. Ceci explique mon intérêt pour les listes des usages autorisés et interdits figurant dans le texte de l’accord, dont certaines formulations sont quelque peu absconses, ou d’autres qui, appliquées à la lettre, ne pourraient pas être exercées.

Dans ce billet sur les usages amateurs, déjà évoqué, j’avais mis l’accent sur le fait que l’usage non commercial, dans le cadre d’une «  économie hybride  », celle qui établit des passerelles entre économie de partage et économie commerciale, restait à clarifier.

Dans les licences Creative Commons, la finalité non commerciale, qui peut être directe ou indirecte, notion que l’on retrouve dans l’accord Sacem /Creative Commons, présente en effet des difficultés d’interprétation. Comment qualifier, en effet, les usages gratuits d’une université privée et payante, ceux des chercheurs qui perçoivent par ailleurs des droits d’auteur, un blog utilisé par un consultant pour se faire connaître ou un blogueur qui accepte des micro-paiements ? Les licences Sacem /CC ont tranché pour les œuvres de leurs sociétaires : ils sont interdits.

Et les bibliothèques ? Lionel Maurel a déjà analysé tous les aspects de la question dans son billet publié sur S.I.lex dès la publication de l’accord.

Les bibliothèques sont « des lieux accueillant du public », lieux considérés dans l’accord comme donnant lieu à des utilisations commerciales. Mais ne serait-il pas abusif de considérer que la cotisation des usagers en fasse une activité commerciale ? Un lieu générant des recettes ? Ou que l’utilisation de la musique donne lieu à des contreparties ? Aucune de ces définitions ne semble convenir.

Lieux de découverte, assumant un rôle de promotion de la musique, les bibliothèques sont des lieux que tout auteur, ou société les représentant, devrait privilégier. Quant à la sonorisation, elle me laisse, moi aussi, perplexe : que sont ces locaux associatifs devant être sonorisés ? Je n’imagine, quant à moi, qu’une sonorisation lors d’une manifestation. Pourquoi l’autoriser à des associations à but non lucratif et non à des bibliothèques, qui remplissent des missions d’intérêt général ? On note toutefois avec satisfaction que la liste des utilisations non commerciales n’étant pas close, et que la porte reste fort heureusement ouverte.

L’accord a certes le mérite d’exister, mais il pose, on le voit de nombreuses questions.

  • Autres points critiques

Il ne s’agit que d’une expérience d’une durée de 18 mois. On espère qu’elle sera concluante et que le contrat soit, tout simplement, appelé à évoluer.

Le bornage de l’usage non commercial sera donné par la Sacem et non par les auteurs et les éditeurs, comme aux États-Unis où, comme l’indique Ecrans, l’ASCAP, l’équivalent de la Sacem dans ce pays, ce sont les auteurs et les éditeurs qui font le choix des usages qu’ils entendent autoriser de leurs œuvres.

Une frilosité (diabolisation ?) face à l’usage gratuit rémunéré, comme le souligne Antoine Moreau dans son interview présentée sur PopTronics. Une interdiction pour des usages gratuits donnant lieu à des compensations financières (micropaiement sur les sites, …), empêche ainsi certaines plateformes comme Jamendo de diffuser de la musique placée sous ces licences Sacem /Creative Commons.

L’extrême viralité de l’usage commercial. Toute diffusion mixte reverse la musique libre dans le fonds de la Sacem. Alors que ces licences, indique la Faq du site Creative Commons, peuvent parfaitement bien coexister avec des usages commerciaux, ce contrat n’est-il pas une tentative de récupération, par la Sacem, de musiciens qui lui échappent ?

L’usage des œuvres à des fins non commerciales donne toujours lieu à une redevance pour copie privée, perçue lors de l’achat des supports vierges. Que la source soit licite posait déjà problème, comme le soulignait la Quadrature du Net ; que l’usage gratuit donne également lieu à des reversements, laisse perplexe [3].

On note enfin que c’est la version 3.0 des licences Creative Commons qui est proposée aux auteurs d’œuvres musicales, alors que la version 3.0 traduite et transposée dans le droit français de ces licences n’est pas encore mise en ligne.

A suivre …

Illustr. Colourful metallophone. Fotopedia. CC by nc-nc-nd

[1] L’auteur doit disposer de tous les droits ; l’accord CC /Sacem le rappelle fort opportunément : il faut pour ceci l’accord de tous des (éventuels) coauteurs, compositeurs et éditeurs de l’œuvre.

[2] Dans ce document, la Commission européenne songeait à insérer une exception au droit d’auteur en faveur des usages non commerciaux d’œuvres protégées.

[3] Si dissocier les œuvres copiées licitement de celles qui le sont illicitement est difficile, il en est de même des copies d’œuvres diffusées à titre gratuit de celles qui le sont à titre payant. Mais ne pourrait-on pas évaluer leurs poids respectifs ?

Paralipomènes

’actualité du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de l’accès à l’information et de la liberté d’expression à partir d’une veille exercée pour l’ADBS (association de professionnels et de l’information) et l’IABD (Interassociation archives-bibliothèques-documentation).


URL: http://paralipomenes.net/wordpress/
Via un article de Michèle Battisti, publié le 23 janvier 2012

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