Vidéo en ligne et démocratisation des savoirs

Comment démocratiser l’accès au savoir par l’intermédiaire de la vidéo numérique ? Cette interrogation demande de regarder les usages réels de la vidéo dans les contextes de formation et à recenser les limites actuelles pour mieux les dépasser.

Oasis-tv.net, pour ceux qui ne connaissent pas encore, oasis est un projet porté par l’Université de Nantes et du CNAM pays de la Loire.

L’idée de départ est simple. Il s’agit d’exploiter de mettre en commun des ressources vidéo, et de permettre par l’intermédiaire des réseaux de dispenser le savoir et la culture scientifique.

Plus concrètement il s’agit d’une banque de ressources d’autoformation, en accès libre et qui contient de nombreux documents vidéo. Cours colloques, évènements sont donc accessibles pour tout utilisateur des réseaux à haut débit, en direct comme en différé

Ce projet existe depuis 2 ans et nous a permis de tirer de nombreux enseignements.

Je me limiterai aux aspects pédagogiques, bien qu’il y ait beaucoup de choses à dire sur la gestion de ce type de projets, dans un contexte particulier qui est celui de l’université.

Ce n’est pas les praticiens qui me démentiront, les projets utilisant la technologie sont souvent caractérisés par de nombreuses utopies. De mon point de vue elles sont nécessaires pour mobiliser les individus. Mais difficile aussi d’en rester là. La réalité d’usage nécessite d’en reconnaître les limites.

Sur Oasis nous sommes partis du postulat que la vidéo à une utilité en pédagogie.

Si cette idée peut paraître séduisante, encore faut-il en faire la démonstration.

En l’occurrence les chiffres d’audience ne plaident pas forcément en faveur du projet de démocratisation des savoirs qui nous anime. En un an, nous avons eu 15 000 visiteurs.
Ce chiffre est à la fois faible et important. Faible au regard des consultations d’autres sites, celui de l’université de Nantes enregistre 150000 connexions / mois. Cependant 15000, cela représente à peu de choses près l’audience cumulée des auditeurs du CNAM Pays de la Loire et de la formation continue.

Comment sortir des utopies ? cela revient à se poser des questions en rapport avec le projet initial de vulgarisation scientifique. Autrement dit, comment véritablement est-il possible de désenclaver la culture cultivée, réservée à un petit nombre ?

Pour tenter de répondre à cette question cherchons à recenser les contraintes qui empêchent un élargissement d’usage.
J’en listerai au moins 3

1. Evacuons la première contrainte, la plus évidente, celle de la technologie. Si les évolutions technologiques sont permanentes, il faut se rappeler qu’elles peuvent aussi exclurent de facto des catégories entières de population. Veillons à ce que la course à l’armement technologique ne devienne pas un impératif. Aujourd’hui la maturité des technologies permet de faire des choix pérennes et ouverts au plus grand nombre.
La modernité technologique ne doit pas devenir un argument ni pour les pro TIC, ni pour les anti-TIC. A mon sens la question doit plutôt être centrée sur les apprentissages, qui par définition couvrent plutôt des temps longs et donc font mauvais ménage avec l’innovation technologique à tout va.

2. Au delà de ces aspects, il y a des contraintes qui sont liées aux idées reçues.
L’internet et la vidéo ne sont pas toujours perçus comme des modes légitimes d’accès au savoir. L’écrit comme une évidence fait souvent force de valeur incontournable. Trop souvent la culture dite « sérieuse », la pensée critique, universitaire, se pense en référence à l’écrit (se référer aux recherches de Simondon / Balle). L’université particulièrement a peu investit jusqu’ici pour développer une politique patrimoniale qui s’appuie sur l’image comme vecteur de diffusion et de valorisation de la science.
Il n’est qu’à voir l’état de multiples structures audiovisuelles dans les universités pour se persuader de cette réalité.

3. Autre stéréotype Il arrive que la vidéo soit entrevue comme un bon moyen pour se dispenser des enseignants. Il sont « mis en boite », avec leur expertise, et le tout est appelé à devenir re-jouable à volonté, via le numérique. Combiné à une conception réduite de l’autoformation, cela donne un modèle-(stéréo)-type d’usager :
un internaute, seul face à un PC consultant à son domicile des vidéo pédagogiques. On connaît pourtant les limites de tels dispositifs. Contre ces modèles dominants, il est nécessaire de rappeler quelques apports en matière de sciences de l’éducation.
1. La ressource (vidéo en l’occurrence) ne doit pas devenir centrale dans la formation. Elle n’est qu’un instrument au service d’un projet d’apprentissage. Le plus souvent elle s’intègre dans une série d’activités qui ne sont pas forcément technologiques, d’ailleurs

2. La vidéo numérique ne veut pas dire forcément accès distant. La vidéo numérique peut s’utiliser sur des quantités de supports différents. Sur CD, en cours ou en ligne. On peut aussi n’utiliser que le son.

3. La force du collectif est aussi une donnée à ne pas négliger. Apprendre en groupe est une façon de casser l’isolement qui est la cause de nombreux abandons. La salle de cours, le centre de ressources, peuvent être des espaces profitables à l’usage de la vidéo.

4. La vidéo n’est pas seulement qu’un support que l’on reçoit. Le numérique, et sa simplification de manipulation, permet aussi d’envisager plus facilement de faire participer les étudiants à des opérations de production de contenus, et développer avec eux des activités pertinentes de co-construction des savoirs.

Sur oasis, utilisé comme plate-forme d’expérimentation pédagogique, cela donne différents cadre d’usage de la vidéo. Si je tente de dresser une typologie, je vois au moins trois sortes d’utilisation distincts de la vidéo.

1. La vidéo en accès libre, comme outil d’autoformation est bien entendu le modèle le plus courant. Les ENT et les campus numériques sont bien entendu les premiers bénéficiaires de la vidéo. Mais en dehors de ces cadres structurés, on constate également un développement des accès libres. La vidéo comme accès libre à la culture, ou pour des problématiques d’autoformation, en dehors des cadres institués. De ce point de vue l’accès aux ressources via le réseau Internet change réellement la donne (je dis cela pour les sceptiques). Il y a ici un décadrage territorial de la zone de diffusion de l’université qui à mon sens est un véritable bouleversement.
Sur oasis, les internautes viennent au ¾ du national et ¼ de l’international.
On constate aussi que les internautes suivent les évènements, répondent au forum, au chat à condition que ceux-ci soient annoncés en amont. La dimension communication, préparation des évènements (bref ce que l’on nomme ingénierie) est ici importante.
2. A partir d’oasis on utilise aussi la vidéo en groupe dans des sessions de travail.
La vidéo en ligne est un support d’expression collective, et permet d’initier une réflexion avec les étudiants. La vidéo est le plus souvent consultée en ligne, mais peut l’être sur un support CD. Le rôle de l’enseignant devient donc plus un travail d’accompagnement, qui utilise les ressources en fonction de ses objectifs. Encore
faut-il qu’il connaissent l’existence de la ressource. De ce point de vue l’organisation de la vidéo sous forme de base de donnée est un plus pour trouver l’information pertinente.

3. La vidéo peut être support à d’autres activités. Les étudiants peuvent être associés à la production de contenus, texte, images, comme synthèse d’un travail de réflexion. Par exemple lors des journées Dumazedier, les étudiants ont été mobilisés pour participer à l’élaboration d’un colloque sur l’autoformation. Une séance de 4 jours à été spécialement programmée pour qu’ils participent à la conception de contenus en rapport avec le colloque. Leur travail a consisté en une recherche documentaire,
la réalisation de dossiers, la production de contenus en rapport avec la thématique de l’autoformation. Le tout a été filmé et synthétisé sous la forme d’une vidéo de 10 mn accompagnée des travaux des étudiants. Le résultat d’ensemble est disponible sur le web, et donne une nouvelle ressource enrichie consultable, modifiable, critiquable par les autres promotions.

En conclusion
Aujourd’hui oasis contient 200 heures de contenus. C’est un début. Mais si l’enjeu est de s ‘adresser au plus grand nombre il faut penser à élargir l’offre. Il ne faut pas se raconter d’histoire, il reste encore bien du chemin à parcourir. Rien d’anormal à cela non plus ;
à mon sens, le développement des usages des web-tv et de la vidéo numérique ne passera que par un retour à plus de pragmatisme, détaillant les usages réels. Cela passe notamment par un travail étroit de compréhension des communautés d’utilisateurs (présentiel et à distance). Après les années euphoriques liés au TIC et à la formation à distance, l’heure est sans doute venue à des discours plus modestes, plus en phase avec des préoccupations pédagogiques, il n’en reste pas moins vrai que les résultats nous apparaissent prometteurs.

Extrait de la conférence donnée lors de l’université d’automne - le 25 octobre 2004 - La conception de contenus numériques de formation.

Posté le 1er novembre 2004 par walter

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