Nécropyright : qui possèdera l’ombre de Steve Jobs ?

Suite à la disparition de Steve Jobs, les hommages de toutes sortes se sont multipliés (ad nauseam…), mais vous avez peut-être vu passer cette belle réinterprétation du logo à la pomme d’Apple, où la partie croquée était remplacée par l’ombre du créateur de la firme de Cupertino.

Postée initialement sur Tumblr, par Jonathan Mak Long, un étudiant en design de 19 ans résidant à Honk-Kong, l’image s’est répandue viralement sur la Toile, au point de susciter un énorme buzz.

Un peu dépassé par ce succès, le jeune designer explique ainsi ce qu’il a voulu exprimer par cette création :

Je voulais montrer à quel point il faisait partie intégrante d’Apple. C’est comme s’il manquait un morceau d’Apple après son départ.

Suite à cette brillante réussite, Jonathan Mak a vu sa popularité monter en flèche, jusqu’à recevoir plusieurs propositions d’embauche. L’histoire pourrait être belle si elle s’arrêtait là, mais rapidement plusieurs accusations de plagiat ont fusé de la part de personnes prétendant avoir eu avant Mak l’idée d’utiliser l’ombre de Steve Jobs.
Trois inventeurs pour un logo

Jonathan Mak a posté la première fois cette image sur Tumblr le 26 septembre, suite à l’annonce du départ en retraite de Steve Jobs et elle est passée inaperçue pendant un moins, avant que le décès du PDG d’Apple ne la propulse sous les feux de la rampe.

Mais un certain Chris Thornely, graphiste anglais travaillant sous le pseudo de Raid71, affirme avoir créé en mai dernier un logo très ressemblant, mis à part les couleurs qui sont inversées.

Peu après, Farzin Adley, un américain de 25 ans habitant de Los Angeles s’est lui aussi proclamé l’inventeur de cette image, réalisé selon lui rapidement après la mort de Steve Jobs. Il entend à présent la copyrighter et l’enregistrer comme marque afin de s’en servir pour promouvoir la lutte contre le cancer.

Jonathan Mak s’est vigoureusement défendu sur son blog d’avoir plagié quiconque, affirmant être parvenu de lui-même à l’idée de ce logo :

I will not apologize for “ripping off” Mr. Thornley’s work, because like others who have created similar pieces at around the same time (blatant copies notwithstanding), I have arrived at this design on my own.

A vrai dire, on trouve encore sur Internet d’autres images comme celle-ci dont Mak aurait pu s’inspirer. Bien difficile de dire qui a raison dans cette histoire et il n’est pas non plus impossible après tout que plusieurs personnes aient eu au même moment une idée similaire (ce ne serait pas la première fois et il existe même une théorie pour expliquer pourquoi ce phénomène est assez fréquent !).

Néanmoins ces discussions sont assez oiseuses, car en réalité, il n’y a qu’un seul et unique possesseur régulier de l’ombre de Steve Jobs…
Le créateur possédé par sa créature ?

En effet, toutes ces images réalisées à partir du logo d’Apple pourraient être attaquées par la firme comme contrefaçon de marque.

Le droit des marques permet au titulaire d’une marque antérieure de s’opposer à l’enregistrement d’une nouvelle marque, s’il y a similitude des signes utilisés susceptible d’engendrer un risque de confusion.

La jurisprudence admet dans une certaine mesure, au nom de la défense de la liberté d’expression, que l’on puisse détourner des logos afin d’émettre des critiques à l’encontre d’une firme (comme ici). Mais il me semble difficile que cette marge de manœuvre puisse être valablement invoquée pour de simples hommages rendus après la disparition d’une personne.

Apple n’agira certainement pas à l’encontre de personnes ayant simplement voulu témoigner de leur attachement à Steve Jobs, mais la firme pourrait tout à fait le faire si un de ces créateurs, comme Farzin Adley, s’avisait d’essayer d’enregistrer un logo détourné comme marque.

A ce sujet, on notera avec intérêt que Libération avait également produit en France une adaptation de la marque à la pomme pour illustrer sa Une consacrée à la disparition de Steve Jobs. Ce logo, dans lesquels la feuille tombée de la pomme devenait une larme, était également reproduit sur des tee-shirts vendus dans la boutique de Libération, ce qui faisait planer quelques doutes quant au respect du droit des marques. Or, comme le remarque le magazine MacGeneration, ces tee-shirts ont aujourd’hui disparu du site de Libération…

Je trouve assez symbolique que d’un point de vue juridique, l’ombre de Steve Jobs appartienne au final à la firme Apple, qui s’identifiait si fortement à son PDG, comme si la créature avait fini par absorber son créateur. Tel qu’en lui-même enfin le droit des marques le change !

D’ailleurs, en 2010, Apple avait déjà agi de manière étrange à propos de l’image de Steve Jobs, en s’attaquant à une petite compagnie qui vendait des figurines représentant l’homme d’affaire, comme si déjà elle considérait son apparence physique comme une partie intégrante de sa marque… En France, une telle question se règlerait sans doute plutôt sur le terrain du droit à l’image, comme ce fut le cas pour dans la mémorable affaire de la poupée vaudou de Nicolas Sarkozy.
Tu retourneras à la poussière de pixels…

Il n’empêche que même si Apple souhaitait faire disparaître toute trace du logo frappé de l’ombre de Steve Jobs, elle n’aurait certainement pas la possibilité matérielle de le faire, tant cette image s’est déjà diffusée sur le web, grâce à la puissance des moyens de dissémination numérique.

On la trouve partout : intégrée à des vidéos sur Youtube, déclinée sous forme d’origami sur Flickr ou remixée comme ici avec le moteur du jeu vidéo Minecraft :

Tu es poussière et tu retourneras à la poussière… de pixels !

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Via un article de calimaq, publié le 22 octobre 2011

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