L’architecture juridique ouverte d’Europeana

Il y a un an, dans un billet consacré au lancement de la Public Domain Mark, j’avais esquissé l’idée d’une bibliothèque numérique à l’architecture juridique ouverte, qui constituait pour moi une sorte d’idéal à atteindre :

Avec l’apport de la Public Domain Mark, combinée avec d’autres licences Creative Commons, on peut imaginer construire une bibliothèque numérique avec une architecture juridique entièrement ouverte. Les briques logicielles du site (moteur de recherche, visualiseur, etc) pourraient être placés sous licence libre et en Open Source ; ses éléments graphiques en CC-By, de la même façon que les textes éditoriaux accompagnant les documents ; la bibliothèque numérique en tant que base de données placée sous licence ODbL ou CC0 ; ses données bibliographiques (notices) et métadonnées sous une licence CC0 ; les oeuvres du domaine public marquées avec la PDM ; les oeuvres encore sous droits sous licence Creative Commons classiques avec l’accord de leur auteur ; les apports des usagers (commentaires, tags, etc) sous licence CC-By également.

On obtiendrait ainsi une bibliothèque numérique entièrement ouverte aux quatre vents… de l’esprit !

Follow me ? Par Autumnsonata. CC-BY-NC. Source : Flickr

Un an plus tard, force est de constater qu’Europeana, la bibliothèque numérique européenne riche de plus de 15 millions d’objets en provenance des bibliothèques, archives et musées d’Europe, a oeuvré dans ce sens et n’est plus si éloignée d’une telle architecture juridique ouverte. Plusieurs projets ont été conduits de manière à permettre la préservation du caractère ouvert du domaine public numérisé et la libération des droits sur les contenus et métadonnées.

Je voudrais ici faire le point sur ces avancées.

Des métadonnées placées sous licence CC0 (Creative Commons Zéro)

La semaine dernière, Europeana a annoncé l’adoption d’un nouveau Data Exchange Agreement, prévoyant le placement des métadonnées fournies par les institutions partenaires sous la licence CC0 (Creative Commons Zéro – Public Domain Dedication). Ce texte prend la forme d’un contrat que les fournisseurs de contenus, bibliothèques, archives et musées d’Europe doivent signer avec Europeana, s’engageant à respecter un certain nombres de standards techniques et juridiques.

La licence CC0 possède un effet très puissant de libération, puisqu’elle conduit à un renoncement complet des droits, de quelque nature qu’ils soient (droit d’auteur, droits voisins, droit des bases de données, droit des marques, droit des données publiques, etc). Concernant des métadonnées, c’est avant tout le droit des bases de données qui est concerné, ainsi que le droit des données publiques. Une telle licence respecte les principes de l’Open Data et Europeana annonce son intention de lancer une politique d’Open Linked Data qui lui permettra de jouer un rôle majeur dans le développement du web sémantique.

Comme toujours, Europeana ne peut presque rien sans le soutien des institutions contributrices, qui lui fournissent les contenus et données qu’elle agrège. Le succès de cette politique de libération des métadonnées était donc conditionné à son adoption par ses partenaires. La British Library constituait cependant un précédent important, qui avait annoncé en novembre 2010 le placement de 3 millions de notices bibliographiques sous licence CC0.

Or la semaine dernière, la CENL (Conference of European National Librairies), qui regroupe les directeurs des bibliothèques nationales en Europe, a donné son soutien à ce nouveau Data Exchange Agreement, ouvrant la voie à une mise en oeuvre effective de cette politique de libération. On peut se réjouir que cette cause de l’Open Data progresse ainsi « par le haut », car comme je l’ai déploré plusieurs fois dans S.I.Lex (1 & 2), les exemples d’Open Data dans le domaine de la culture en France restent très peu développés, en raison de blocages liés au droit des données publiques.
Les licences Creative Commons et la Public Domain Mark pour les contenus numérisés

Cette avancée est plus ancienne, puisqu’Europeana avait annoncé en octobre 2010 l’adoption de la Public Domain Mark, qui permet à une institution de certifier l’appartenance au domaine public d’une oeuvre numérisée et de préserver les droits à la réutilisation, sans ajouter de nouvelle couche de droits sur le domaine public. Nous parlons cette fois des oeuvres numérisées en elles-mêmes et non plus seulement des métadonnées qui la décrivent.

Europeana est en fait allée plus loin que cela. Si vous faites une recherche dans Europeana, vous remarquerez à gauche un filtre permettant de trier les résultats par droits (Refine your search by rights). On constate alors qu’Europeana permet aux institutions contributrices d’indiquer si les oeuvres sont placées sous Public Domain Mark, mais également sous n’importe quel autre type de licence Creative Commons. Le site même d’Europeana est placé sous licence CC-BY-NC-SA.

Ici encore, il s’agit d’une avancée importante « par le haut », car les licences Creative Commons sont encore peu utilisées par les institutions culturelles en France. Quant à la Public Domain Mark, son usage n’est permis à ma connaissance que par MédiHal en France, l’archive ouverte iconographique du CNRS. 

La limite ici est que les institutions culturelles restent libres de choisir les licences attachées à leurs contenus et que l’usage des licence Creative Commons, et encore plus de la Public Domain Mark, demeure assez limité.
Des directives souples pour le respect de bonnes pratiques lors de la réutilisation d’éléments du domaine public

Comme je l’ai dit plus haut, Europeana permet l’usage de licences très ouvertes comme la CC0 ou la Public Domain Mark, qui conduisent les institutions qui les utilisent à renoncer très largement à leurs droits sur les contenus ou à ne pas en faire renaître sur le domaine public à l’occasion de sa numérisation.

Mais pour continuer à encadrer la réutilisation des données et contenus, Europeana a mis en place des « Usage guidelines for public domain works«  qui ne sont pas en elle-mêmes juridiquement contraignantes, mais qui listent un certain nombre de bonnes pratiques en matière de réutilisation.

Ces directives incitent par exemple les réutilisateurs à respecter l’oeuvre originale, en indiquant clairement les modifications qu’ils auront pu y apporter, ou à respecter les institutions contributrices. Elles incitent également les réutilisateurs à partager les contenus qu’ils produisent à partir du domaine public, en les plaçant à leur tour sous licence libre.

Cette manière de procéder me paraît intéressante, car elle montre que l’encadrement des usages en matière de réutilisation des contenus culturels peut emprunter d’autres voies que l’ajout de nouvelles couches de droits qui portent atteinte à l’intégrité du domaine public numérisé.
Un Public Domain Calculator, pour tracer la frontière du domaine public

Dans le cadre du programme Europeana Connect, la bibliothèque numérique européenne a développé un Public Domain Calculator, qui permet de calculer automatiquement si une oeuvre appartient ou non au domaine public. Déterminer si une oeuvre est entrée dans le domaine public peut en effet s’avérer une tâche ardue (j’ai en tête un exemple récent !) et elle l’est encore plus à l’échelle de l’Union européenne, en raison des disparités entre les législations nationales.

Le Public Domain Calculator se présente sous la forme d’un formulaire à remplir, à partir des informations dont on dispose sur l’oeuvre (en quelle année a-t-elle été publiée ? qui est son auteur ? quand est-il décédé ? etc). Il livre ensuite un diagnostic juridique en fonction du type d’oeuvres et de la juridiction dans laquelle on se situe.

Point important à noter, le logiciel ayant servi à développer cet outil, a été placé en Open Source sous la licence EUPL. 
Le soutien d’Europeana au Manifeste du Domaine Public

En janvier 2010, un Public Domain Manifesto a été adopté dans le cadre du réseau européen Communia, qui constitue un texte important pour la défense de l’intégrité du domaine public à l’heure du numérique.

On pouvait lire notamment dans ce texte ce passage important, qui concerne directement les institutions culturelles impliquées dans la numérisation du patrimoine :

Ce qui est dans le domaine public doit rester dans le domaine public. Il ne doit pas être possible de reprendre un contrôle exclusif sur des œuvres du domaine public en utilisant des droits exclusifs sur la reproduction technique de ces œuvres ou en utilisant des mesures techniques de protection pour limiter l’accès aux reproductions techniques de ces œuvres.

L’utilisateur licite d’une copie numérique d’une œuvre du domaine public doit être libre de l’utiliser (la réutiliser), de la copier et de la modifier.

Or en avril 2010, Europeana avait adapté ce texte sous la forme d’une Charte du domaine public proposée aux institutions partenaires, qui reprend les principes forts du Manifeste :

La numérisation du contenu du domaine public ne crée pas de nouveaux droits à son sujet : les œuvres qui font partie du domaine public sous leur forme analogique restent dans le domaine public une fois qu’elles ont été numérisées.
***

Europeana a parfois été critiquée dans son utilité, mais l’un des aspects les plus intéressants de ce projet réside à mon sens dans cette création progressive d’une bibliothèque numérique à l’architecture ouverte, et dans le rôle incitatif qu’elle peut jouer pour faire évoluer les pratiques juridiques au niveau européen.

C’est aussi là la principale limite de la démarche, car Europeana ne peut pour l’instant fournir que le contenant de cette bibliothèque numérique, les contenus étant produits au niveau national par les bibliothèques, archives et musées contributeurs (bien qu’une évolution semble se faire jour sur ce point, dans le cadre du programme Europeana Librairies).

C’est à ce niveau qu’il reste à présent un progrès important à accomplir pour libérer les droits sur les contenus numérisés et sur leurs métadonnées, notamment lorsque les documents d’origine appartiennent au domaine public.

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Via un article de calimaq, publié le 13 octobre 2011

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