Le Parlement déserte ses hémicycles

La semaine passée au Sénat, puis cette semaine à l’Assemblée nationale, le Parlement français a innové : pour la première fois, des débats de contrôle en séance publique plénière se sont déroulés en dehors des hémicycles. Mardi 15 et jeudi 17 juin, les sénateurs ont siégé quelques heures dans la salle Médicis pour discuter de l’application de la réforme de l’Hôpital puis des nanotechnologies. Du côté du palais Bourbon, les députés en séance ce mardi 22 juin s’en sont allés débattre du principe de précaution dans la salle Lamartine.

À cette occasion, le président de l’Assemblée Bernard Accoyer justifiait l’initiative en ces termes :

« La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat dans la salle Lamartine afin qu’il soit plus direct, plus vivant, plus spontané et ainsi plus fructueux.

La salle Lamartine à l’Assemblée nationalePhoto Assemblée nationale

On peut comprendre la démarche : ces salles étant plus petites et disposant de matériel plus moderne, les échanges y sont facilités. Mais il est symboliquement très surprenant de voir organiser des débats de plénière dans des salles de réunion, lesquelles ne peuvent acueillir qu’un nombre restreint de personnes, bien inférieur au total des parlementaires de chaque Chambre. À supposer que les 343 sénateurs et 577 députés aient souhaité assister à ces débats, il aurait alors fallu une bonne dizaine de ces « mini-hémicycles » ! Même si cette situation n’est pas souhaitable, le message passé auprès des parlementaires est clair : certains débats de plénière sont réservés à quelques dizaines d’experts.

Ainsi, à l’inauguration de cette pratique au Sénat, quelques sénateurs ont protesté :

M. Guy Fischer. – La Conférence des Présidents a décidé, à la majorité, que ce débat se ferait non dans l’hémicycle, mais ici. Pourquoi ? Nous nous y étions opposés et voulons le faire savoir une nouvelle fois, même si cela ne sert à rien. Rien ne justifie de conduire un débat dans cet hémicycle, surtout quand le premier est vide, sauf à conclure que certains sujets n’intéressent qu’un « petit hémicycle ».

Pourtant, l’avenir de l’hôpital et l’accès des femmes à l’IVG n’est pas un petit sujet. Nous vivons douloureusement cette forme de relégation, qui s’apparente à un affaiblissement de la démocratie parlementaire.

M. le président G. Larcher. – Ce n’est pas un « petit hémicycle », mais la « Salle Médicis ». Je vous renvoie au compte rendu intégral de la Conférence des Présidents du 27 avril et de celle du 19 mai : il ne mentionne pas de vote. Il y a eu un accord pour tenir, à titre expérimental, une séance plénière salle Médicis, avec tout le protocole attaché à la séance publique. Votre déclaration aurait davantage sa place en Conférence des Présidents.

M. Jean-Pierre Sueur. – Permettez à des parlementaires non membres de la Conférence des Présidents de vous poser la question : pourquoi tenir ici une réunion qui aurait pu se tenir dans l’hémicycle ? Y a-t-il deux statuts pour la séance publique ?

Bancs de l’hémicycleau Palais BourbonCC-by-nc-sa mainblanche

Cette situation inédite est l’une des conséquences prévisibles des réformes de la Constitution et du règlement : de plus en plus, l’essentiel du débat parlementaire se déroule en commission. Comme notre étude le montrait, les réunions de commissions, rarement publiques, ont vu un regain de participation depuis la réforme. À l’inverse, l’hémicycle, lieu central des débats accessible à tous, est progressivement déserté et tend à devenir une simple chambre d’enregistrement au sein de laquelle les votes défilent. L’organisation de débats de plénière à la façon des commissions dans des salles de réunion renforce cet état de fait et institutionnalise la désertion des bancs en hémicycle.

Si l’on peut comprendre ce choix, clairement assumé par la réforme du règlement de l’Assemblée et par les conférences des présidents, il pose le problème de la visibilité des travaux organisés dans ces conditions. Ces salles disposent bien de tribunes publiques mais elles ne peuvent malheureusement pas accueillir autant de visiteurs : les traditionnelles visites de groupe invités par un parlementaire ont déjà fait les frais de ces changements, se retrouvant privées d’assister à la séance publique.

Le parlement a la double tâche de participer à la création de la loi et de contrôler l’exécutif. Pour traiter la question du contrôle, les deux chambres expérimentent désormais la tenue de ces débats entre une poignée de parlementaires. En organisant encore un peu plus la désertion des hémicycles, les institutions n’acteraient-elles pas symboliquement leur impuissance à s’emparer de la question de l’absentéisme ? Quelle qu’en soit la réponse, ce sont les citoyens qui se retrouvent un peu plus exclus encore de ces débats.

Déménagement des sénateurs en salle Médicispour le débat sur les nanotechnologies du 17/06/10

Déménagement des députés en salle Lamartinepour le débat sur le principe de précaution du 22/06/10

L’adresse originale de cet article est http://www.revue-reseau-tic.net/Le-...

Via un article de Roux, publié le 7 juin 2011

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